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Centre
d’Études
Supérieures
delaMarine
cesm.etudes@marine.defense.gouv.fr
Faut-il supprimer la limitation
de responsabilité en matière
de créances maritimes ?
Juliette DECOLLAND
Master de droit
Lauréate du prix Daveluy 2011
Faculté de Droit
Faut-il supprimer la limitation de responsabilité
en matière de créances maritimes ?
Mémoire pour le Master 2 « Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques »
Présenté par Juliette DECOLLAND
Soutenu le 9 septembre 2011
Sous la direction de Monsieur Arnaud MONTAS
Année 2010-2011
2
Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Université
de Nantes.
3


REMERCIEMENTS
Je souhaiterais chaleureusement remercier Maître Luc Piéto, ainsi que Messieurs Arnaud Montas et
Patrick Chaumette pour leurs précieux conseils.








4
TABLE
DES
SIGLES
ET
ABRÉVIATIONS

CA : Cour d’appel
CC : Conseil constitutionnel
Cass. : Cour de cassation
Civ. 1ère
: Cour de cassation, 1ère
chambre civile
Ch. Mixte : Cour de cassation, chambre mixte
Com. : Cour de cassation, chambre commerciale
Crim : Cour de cassation, chambre criminelle
D : recueil Dalloz
DMF : revue du Droit Maritime Français
DTS : droit de tirage spécial
JO : Journal Officiel de la République Française
JCP : Juris-Classeur périodique
Lebon : recueil Lebon
OMI : Organisation Maritime Internationale
TC : Tribunal de commerce
REDE : Revue Européenne de Droit de l’Environnement
RCA : Responsabilité civile et assurances
RTD Civ. : Revue Trimestrielle de droit civil
Soc. : Cour de cassation, chambre sociale
5
SOMMAIRE

INTRODUCTION ..................................................................................................................................................6
PARTIE I : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE
RESPONSABILITE ............................................................................................................................................ 17
TITRE I: RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DU
RISQUE MARITIME.............................................................................................................................................. 18
Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de mer couru par le navire. ............. 18
Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence de risque maritime.................... 28
TITRE II : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DE
L’INTERET GENERAL.......................................................................................................................................... 37
Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère d’intérêt général des activités
maritimes....................................................................................................................................................... 37
Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en présence d’un intérêt supérieur ou exclusif
de l’intérêt général. ...................................................................................................................................... 46
PARTIE II : PARVENIR A UNE MEILLEURE REPARTITION DU RISQUE MARITIME............. 53
TITRE 1 : LE DESAVEU D’UN SYSTEME INEGALITAIRE DE LIMITATION ......................................................... 53
Chapitre 1 : Une répartition déséquilibrée du risque de mer.................................................................... 54
Chapitre 2 : Tentatives jurisprudentielles de neutralisation du système. ................................................. 58
TITRE 2 – ESQUISSE D’UNE NOUVELLE REPARTITION DU RISQUE MARITIME................................................ 63
Chapitre 1 : Assurer la responsabilité en matière de créances maritimes............................................... 63
Chapitre 2 : Refondre l’instrument de mesure de la limitation................................................................. 67
CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 71
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 72
ANNEXES............................................................................................................................................................. 76
1. CONVENTION DU 19 NOVEMBRE 1976 SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE EN MATIERE DE
CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 77
2. PROTOCOLE MODIFICATIF DU 2 MAI 1996 ................................................................................................... 90
3. TABLEAUX COMPARATIFS DES PLAFONDS D’INDEMNISATION................................................................... 97
4. DIRECTIVE DU 23 AVRIL 2009 RELATIVE A L'ASSURANCE DES PROPRIETAIRES DE NAVIRES POUR LES
CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 98
5. EXTRAITS DU CODE DES TRANSPORTS....................................................................................................... 102
6
Introduction
1. A Christian Lapoyade-Deschamps qui déclarait que « par principe, la réparation du préjudice
économique pur est gouvernée, tout comme les autres, par la règle d'or de l'équivalence entre la
réparation et le dommage »1
, Antoine Vialard s’indignait : « Tout comme les autres ???
Heureux civiliste pour qui les choses sont simples. La règle d'or du droit maritime est, bien au
contraire, le principe de la responsabilité limitée du propriétaire ou de l'armateur ou de l'ex-
ploitant du navire »2
.
2. Or, la responsabilité civile se définit comme l’obligation de réparer le préjudice résultant de
l’inexécution d’un contrat ou de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à
autrui par son fait personnel ou par le fait des personnes dont on répond, ou encore par le fait
des choses que l’on a sous sa garde3
.
Les conditions de fond de la responsabilité contractuelle ou délictuelle étant remplies, le préju-
dice préalablement évalué devrait donner lieu au versement de dommages et intérêts compensa-
toires, censés replacer la victime dans l’état où elle se serait trouvée si le dommage ne s’était
pas produit.
3. Mais, le droit maritime français dispense l’affréteur, l’armateur, l’armateur-gérant, le proprié-
taire, le capitaine, ou leurs autres préposés terrestres ou nautiques, de réparer intégralement cer-
tains dommages, matériels ou corporels, survenus à l’occasion de l’utilisation d’un navire4
, et
qui donnent naissance à des créances maritimes. Ce droit à limitation est en revanche écarté en
présence d’une faute intentionnelle ou inexcusable de la part du bénéficiaire.
4. Si l’indemnisation est partielle, il n'en est pas de même de la responsabilité qui, dans tous les
cas, reste entière. Par conséquent, au lieu de limitation de responsabilité, peut être vaudrait-il
mieux parler de limitation de la réparation. Mais cet abus de langage s'avère très fréquent en
1
Christian Lapoyade-Deschamps, Revue de droit comparée, 1988, p.368.
2
Antoine Vialard, in Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Presses universitaires de Bordeaux,
2003.
3
Article 1382 et suivants du Code civil
4
Article L5121-2 et suivants du Code des transports.
7
droit des sociétés dont certaines sont dites, précisément, à responsabilité limitée. Ainsi, malgré
une possible confusion entre les notions de réparation et de responsabilité, nous avons estimé
qu'il était plus commode de continuer à utiliser l'expression consacrée par l'usage.
5. Ce mécanisme particulier n’affecte pas le droit à réparation du créancier même si son quantum
est plafonné à un montant exprimé en droits de tirage spéciaux (DTS). L’indemnisation peut fi-
nalement être entière si le juge déchoit le débiteur de son droit à limitation en raison de sa faute
intentionnelle ou inexcusable. Il s’agirait donc plus d’une obligation restreinte5
de dédommager
ou encore d’une réduction de la contribution à la dette.
6. Quelle est la justification contemporaine de la limitation de réparation accordée au propriétaire
de navire ? Est-il toujours pertinent de maintenir cette institution propre au droit maritime quand
le droit commun (i.e. le droit terrestre) ne connaît que le principe la réparation intégrale ?
7. La difficulté pour répondre à cette question réside dans le fait que la limitation a acquis une très
grande autorité pour deux raisons : une raison temporelle d’abord puisqu’elle trouve ses origines
dans l’Antiquité ; une raison juridique puisqu’elle a été consacrée en droit international. Contes-
ter une institution si ancienne suppose donc le déploiement d'un ensemble argumentaire relati-
vement fourni.
8. Dès lors, pour savoir si cette dérogation au droit commun qui prive la victime du préjudice
d’une partie des dommages et intérêts auxquels elle aurait pu prétendre se justifie toujours, il
apparaît indispensable de rappeler dans un premier temps d’où elle vient et pourquoi elle a été
instituée. Martine Rémond-Gouilloud écrivait à juste titre que « combattre l’archaïsme ne signi-
fie pas négliger l’histoire [qui] explique les règles et leurs modulations au fil des siècles.
[…] On ne saborde pas une institution vieille de mille ans sans s’interroger sérieusement sur
ses raisons d’être »6
. S’ensuivra l’examen du contexte dans lequel s’inscrit sa remise en cause.
5
Walter Muller, Obligation restreinte ou responsabilité limitée ?, DMF 1964, p.195.
6
Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988.
8
9. La limitation de responsabilité prend source dans le droit romain7
: en effet, si en principe, le
propriétaire de navire, l’exercitor navis, était indéfiniment tenu par les actes passés par son capi-
taine, l’on notait déjà quelques exceptions.
La première est tirée du droit commun : l’actio de peculio, action accordée par le préteur et di-
rigée contre l’exercitor navis, limitait l'obligation de celui-ci à raison des dettes contractuelles,
nées lors de l’expédition maritime, à la valeur du pécule reconnu au capitaine (l’alieni juris, fils
de famille ou esclave, sous l’autorité du pater familias).
La deuxième tient à l’idée qu’une chose n’est pas censée causer plus de dommages qu’elle n’a
de valeur. Ainsi, par l’abandon noxal, l’exercitor navis pouvait remettre au créancier le navire
et sa cargaison et éteindre par la même la dette extracontractuelle qu’il avait envers lui.
A l’inverse, et c’est la troisième exception au principe, le navire faisant partie de la dot de la
femme était tenu à l’abri des créanciers de son mari.
10. Bien qu’une partie de la doctrine nie toute filiation entre ces atténuations connues en droit ro-
main, et le droit médiéval, de nouvelles techniques contractuelles apparaissent vers le XIè siè-
cle, perpétuant l’idée d’une limitation de la responsabilité du propriétaire de navire, en marge de
l’abandon du navire et du fret.
On citera le contrat de commande (qui s’apparente cette fois au prêt nautique athénien8
, et qui
se muera en société par commandite) par lequel des investisseurs, les commanditaires,
confiaient leurs marchandises à des patrons de navire, commandités pour les revendre à desti-
nation et réaliser une plus value. Ils ne risquaient ainsi que leur apport, le propriétaire du navire
n’ayant pas à les rembourser en cas d’échec de l’expédition maritime. Si au contraire, elle réus-
sissait, les capitalistes recevaient une part importante du gain. Mais, il s’agissait surtout, dans
l’esprit des associés, de contourner l’interdiction papale de l’usure (prêt à intérêt à des taux ex-
cessifs).
7
Antoine Vialard, Historique de l’organisation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, in La limita-
tion de responsabilité des propriétaires de navires de mer, thèse, université de Bordeaux, 1969.
8
Il passera dans le droit français sous le nom de prêt à la grosse aventure, aux articles 311 et suivants du Code de
commerce de 1807.
9
Se dessine alors progressivement la notion de fortune de mer, qui apparaît comme une univer-
salité de droits et d’obligations, distincte du patrimoine personnel du propriétaire de navire,
destinée à un but particulier : l'expédition maritime. Matériellement, sa reconnaissance est fa-
cile puisque ses éléments sont tangibles. Les biens isolés sont le navire et ses accessoires, les
marchandises embarquées ; les créances et dettes sont celles inscrites sur le journal de bord. La
justification se trouve dans le fait que le capitaine est soustrait à la surveillance du propriétaire,
tout à fait libre de ses décisions prises en mer et dans les ports étrangers. Ses initiatives sont
donc incontrôlables. En outre, il convient d’admettre que les risques pris et les charges assu-
mées par l’armateur sont démesurés, le navire, sa cargaison et son équipage pouvant se perdre
en mer au cours du voyage. Mais, en contrepartie de cette responsabilité réelle, les créanciers
de l'expédition ont un droit préférentiel voire exclusif sur la fortune de mer.
Alors que le concept de limitation de la responsabilité a gagné toute l’Europe au XIVème siè-
cle, l’ordonnance de Charles Quint promulguée en 1415 retient que le propriétaire abandonne
le navire et le fret pour les délits et quasi délits du capitaine, mais reste indéfiniment obligé par
les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions.
11. Puis, selon l’Ordonnance de la marine de 1681, les propriétaires de navire sont responsables des
faits du maître mais en sont déchargés par l’abandon du navire et du fret. De même, l’article
216 du Code de commerce de 1807 dispose que: « tout propriétaire de navire est civilement
responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l’expédition. La respon-
sabilité cesse par l’abandon du navire et du fret ». Ce qui est certain c’est que le propriétaire est
responsable pour tous les faits du capitaine, contractuels, quasi délictuels ou délictuels commis
dans le cadre de ses fonctions, conformément au cinquième alinéa de l’article 1384 du Code ci-
vil relatif à la responsabilité du commettant du fait de ses préposés. Une controverse surgit alors
quant à la possibilité laissée au propriétaire de se libérer dans tous les cas de ses obligations par
l'abandon du navire et de sa cargaison.
12. Ce régime de responsabilité, que le Code napoléonien avait reconduit, est aboli par la loi du 3
janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer. Elle restreint également la
limitation aux seules dettes de responsabilité, c’est-à-dire nées de la réalisation d’un dommage,
à l’exclusion des dettes contractuelles nées de l’inexécution fautive des obligations du débiteur
comme la non rémunération d’une prestation (le non paiement d’une réparation effectuée sur le
navire par exemple).
10
13. Le droit germanique avait préféré un système de limitation en valeur : les créanciers du capi-
taine et de l’armateur n’avaient plus à craindre que le navire sombre et qu’ainsi leur gage soit
réduit à néant par le mécanisme de l’abandon d’un navire à l’état d’épave. Le propriétaire pou-
vait limiter la réparation à hauteur de la valeur du navire au début de l’expédition, estimée après
l’événement qui donne lieu à responsabilité, et augmentée de la valeur du fret.
En Angleterre où l’abandon en nature avait toujours été ignoré mais où la possibilité
d’abandonner une somme d’argent avait été reconnue dès le XVIIIè siècle, le Merchant Ship-
ping Act de 1894 opta pour la constitution d’un fonds en livres sterling, calculé proportionnel-
lement au tonnage du navire.
14. En raison de la diversité des régimes de limitation de responsabilité, le besoin d’un harmonisa-
tion des législations s’est fait sentir. L’œuvre du Comité maritime international a donc été
d’élaborer un système renonçant à l’abandon de tradition continentale, s’inspirant largement des
principes britanniques de responsabilité limitée.
Trois Conventions internationales se sont succédées : la Convention de Bruxelles du 25 août
1924 pour l’unification de certaines règles relatives à la limitation de responsabilité des proprié-
taires de navires de mer ; la Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de
responsabilité des propriétaires de navires de mer ; la Convention de Londres du 19 novembre
1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (LLMC : Limitation of
Liability for Maritime Claims)9
, révisée par le Protocole du 2 mai 1996.
La loi française n°67-5 du 3 janvier 1967 incorpore la Convention de 1957 dans l’ordre juridi-
que interne ; puis, la loi n° 84-1151 du 21 décembre 1984 qui intègre la Convention LLMC est
modifiée par les lois n°86-1272 du 15 décembre 1986 et n°87-444 du 26 juin 1987. De même
que la loi n°2006-789 du 15 juillet 2006 qui a ratifié le Protocole modificatif, elles sont doréna-
vant codifiées dans le Code des transports par l’Ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010.
C’est dire la force de la tradition, l’autorité acquise par la limitation de responsabilité, et le
poids que lui a donné l’Organisation maritime internationale. Selon Georges Ripert, « cette
9
Entrée en vigueur en France le 1er
décembre 1986 (Décret n°86-1371, 23 déc. 1986, JO 1er janv. 1987).
11
unanimité [des législations] nous avertit que nous touchons à un des principes fondamentaux du
droit maritime […] C'est pourquoi on a pu dire que la limitation de responsabilité est la clé de
voûte du droit maritime »10
.
15. Pour s’en affranchir, il faudra démontrer l’obsolescence de certains des fondements classiques
régulièrement invoqués au soutien de la limitation érigée en institution : la soustraction du capi-
taine à la surveillance de son commettant, la fortune de mer et la solidarité face au risque de
mer.
16. C’est le doyen Rodière11
qui est le plus sceptique à l’idée que la limitation de responsabilité soit
instituée pour éviter au propriétaire de navire d’être ruiné par la « mauvaise foi » et les
« étourderies » du capitaine, justification avancée par Valin dans son commentaire de
l’ordonnance sur la Marine de 1681.
Il explique en premier lieu que, dans les faits, l’absence de contrôle effectif du commettant sur
son préposé se retrouve dans bien d’autres situations que dans le domaine maritime. Nous ajou-
terons que le développement des télécommunications présentes à bord permet au capitaine
d’être en relation directe avec son commettant, de sorte qu’il n’est plus autant isolé et indépen-
dant que par le passé. Ainsi, aussi éloigné de son port d’attache soit-il, le capitaine peut « se
conformer aux instructions des gérants », comme le prescrit l’article L5114-37 du Code des
transports.
En deuxième lieu, cette argumentation serait aussi erronée en droit puisqu’elle ferait irréfraga-
blement présumer une « faute de choix » du capitaine par son commettant, alors que le cin-
quième alinéa de l’article 1384 du Code civil pose au contraire que le commettant endosse en-
tièrement la responsabilité de ses préposés « dans les fonctions auxquelles il les a employés » et
pour lesquelles ils sont censés avoir été choisis d’après leurs qualifications particulières. Si ce
choix a été mal fait, alors le commettant doit en assumer seul les conséquences et ne saurait se
soustraire à sa responsabilité au prétexte que son préposé présentait des compétences techni-
ques et nautiques auxquelles il n’avait qu’à s’en remettre.
10
Georges Ripert, Droit maritime, tome II, n°1228 et s, Rousseau 1952.
11
René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent et avenir, DMF 1973, p259.
12
En troisième et dernier lieu, René Rodière ne voit aucun lien entre la modalité choisie pour la
limitation (à l’origine l’abandon du navire et du fret) et la méfiance du propriétaire à l’égard du
capitaine.
17. Pour ces raisons, le statut du capitaine n’a jamais pu et ne pourra jamais justifier la limitation,
même en contrepartie d’une jurisprudence qui facilite la reconnaissance de la responsabilité du
gérant de navire pour le fait d’autrui, marquant ainsi la perte d’autonomie du droit maritime par
rapport au droit commun. On en veut pour preuve la jurisprudence Lamoricière de la Première
chambre civile de la Cour de cassation qui considère le capitaine comme un préposé, qualité in-
compatible avec celle de gardien de navire qui revient à l’armateur. Prenant appui sur l’ancien
article 3 de la loi du 3 janvier 196912
énonçant que « L'armateur répond de ses préposés terres-
tres et maritimes dans les termes du droit commun » (soit l’article 1384 alinéa 5 du Code civil),
cet arrêt de principe en date du 15 juin 1951 anéantit les dispositions de l’article 5 de la même
loi, selon lesquelles « le capitaine est responsable de toute faute commise dans l’exercice de ses
fonctions ».
Depuis la consécration de l’immunité procédurale13
du préposé par l’arrêt Costedoat14
, sa res-
ponsabilité ne peut être directement recherchée par la victime s’il a agit dans le cadre de ses
fonctions, sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant. Dans
ce cas de figure, l’impunité du préposé ne cède que devant la commission d’une faute civile in-
tentionnelle ou d’une infraction pénale (qui pourrait être assimilée à une faute inexcusable)15
.
L’action du créancier contre le préposé est également ouverte dans deux autres hypothèses :
celle de l’abus de fonction16
, et celle où il a outrepassé les limites de sa mission, dans le cadre
de ses fonctions. Le demandeur se tournera donc en général vers le commettant, vraisemblable-
ment plus solvable. Quant au maître, il ne dispose d’aucune action récursoire contre le capitaine
à moins qu’il se prévale d’une subrogation dans les droits de la victime, eux-mêmes circonscrits
aux hypothèses susmentionnées17
.
12
Loi n°69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes, abrogée par l’ordonnance n°2010-1307
du 28 octobre 2010.
13
Civ. 1e
, 12 juill. 2007, n°06-12.624 et 06-13.790, obs Patrice Jourdain, L’immunité du préposé ne serait pas une ir-
responsabilité, RTD Civ. 2008, p. 109.
14
Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat, RTD Civ. 2000, p. 582.
15
Civ. 2e
, 21 févr. 2008, obs Laydu, Retour sur l’immunité restreinte du préposé, D 2008, p. 2125.
16
Cass, ass. plén., 19 mai 1988, Bull. civ. n°5 : exonération de la responsabilité du commettant dont le préposé a agit
hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions.
17
Civ. 2e
, 20 déc. 2007: Bull. civ. II, no
274.
13
Même dans ces quatre éventualités où sa responsabilité peut encore être reconnue, on doute que
le capitaine ait encore l’occasion d’invoquer la limitation de responsabilité, que repousse la
faute intentionnelle ou inexcusable (sauf à considérer qu’il ne s’est pas rendu coupable d’une
telle faute à l’occasion du dépassement de pouvoirs). Cette possibilité lui avait pourtant été of-
ferte par la Convention LLMC de 1976, tandis que, sous l’empire de la législation antérieure18
,
ce bénéfice était réservé aux seuls propriétaires de navires. En définitive, citer le capitaine et les
autres préposés terrestres et nautiques (dont les membres de l’équipage) au titre des personnes
qui « agissant dans l’exercice de leurs fonctions » peuvent bénéficier de la limitation, est prati-
quement inutile19
.
18. René Rodière, recherchant toujours le véritable fondement de l’institution, évoque la fortune de
mer, tenue à l’écart de la fortune de terre. Il explique que « si le propriétaire voyait sa respon-
sabilité limitée et si la modalité de cette limitation résidait dans l’abandon du navire et du fret,
c’est parce que l’armateur, à chaque nouveau voyage de son bâtiment, mettait en risque ce na-
vire, comme les marchands mettaient en risque leurs cargaisons, les matelots leur vie et leurs
loyers ». Ainsi, pour une expédition maritime, « chacun n’engageait qu’une partie de ses biens,
soit comme limite de ses engagements envers les tiers, soit comme limite de ses pertes direc-
tes »20
. Seulement, le trafic maritime s’est intensifié et fragmenté (notamment avec le tramping)
si bien que le patrimoine affecté à la réparation des victimes doit se renouveler après chaque
événement dommageable et non pour chacun des voyages, ceux-ci étant difficilement identifia-
bles et mettant en concurrence de trop nombreux créanciers. La fortune de mer ne correspond
donc plus aux structures commerciales du monde maritime actuel.
A ces difficultés pratiques vient s’ajouter le fait que l’abandon en nature, permis par la Conven-
tion internationale de Bruxelles de 1924, a été remplacé en 1957 par un système de limitation
dégressif ne tenant même pas compte de la valeur du navire mais de son volume total intérieur,
c’est-à-dire son tonnage brut exprimé en unités de jauge21
.
En outre, la Convention de 1957 assimile aux propriétaires de navires les armateurs, les exploi-
tants, et leurs préposés, si bien que bénéficient de la limitation des personnes qui n’engagent au-
18
Convention de 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires.
19
Si ce n’est qu’il figure en tant que représentant de l’armateur et peut à ce titre être assigné.
20
Voir note 9.
21
L’article L5000-5 du Code des transport renvoie à la Convention internationale sur le jaugeage des navires, signée à
Londres le 23 juin 1969, qui établit des principes et des règles uniformes relatifs à la détermination de la jauge des navi-
res effectuant des voyages internationaux.
14
cun bien leur appartenant, à l’exception éventuellement du fret escompté. Cette tendance est ac-
centuée par la Convention de 1976 qui s’affranchit totalement de la référence à la propriété du
navire en parlant de limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, dont jouis-
sent désormais les assistants et les assureurs.
19. En définitive, le seul fondement classique qui ne soit pas tombé en désuétude est celui de la
solidarité des Hommes face aux périls de la mer, à laquelle tient toute l’originalité du droit mari-
time. La mer est un milieu dangereux et hostile, un élément naturel quelque peu imprévisible,
qui ne pardonne aucune erreur humaine et ne tolère aucune défaillance technique. C’est pour-
quoi le risque de mer est supporté par tous ceux qui ont un intérêt au succès de l’expédition : les
armateurs d’une part et les créanciers maritimes d’autre part, dans des proportions évidemment
différentes. Il n’en demeure pas moins qu’une partie du dommage causé par les premiers reste à
la charge des seconds.
La limitation de responsabilité n’est d’ailleurs pas la seule institution du droit maritime qui
mette en œuvre la solidarité des Hommes, lesquels ont pris conscience de l’interdépendance
étroite existant entre les marins et les terriens, et qui les incite à se porter mutuellement secours.
Ainsi, l’assistance et le sauvetage procèdent également de cette idée et, à leur sujet, on parlera
de solidarité externe, puisque celle-ci intervient entre usagers de la mer. Quant à l’avarie com-
mune, elle tient à une solidarité interne en ce qu’elle unit ceux qui ont un intérêt dans
l’expédition maritime.
Cette solidarité, que traduit le particularisme du droit maritime et qui ne doit pas être confondue
avec l’obligation in solidum, explique la survie des activités maritimes qui sont pour la plupart
d’intérêt général. Sans elle, les investisseurs ne miseraient que sur des activités terrestres dont
ils seraient quasiment sûrs de retirer un important profit.
20. Mais la spécificité du droit maritime a pu avoir un impact politique négatif. D’une part, la faible
indemnisation allouée aux ayants droits des naufragés peut paraître injuste aux yeux de
l’opinion publique qui a parfois le sentiment que la limitation de responsabilité ignore la protec-
tion due aux victimes. C’est pourquoi Yves Tassel propose de « retrouver l’esprit du droit mari-
time : la mise en commun du risque dans le respect des intérêts légitimes de chacun »22
.
22
Yves Tassel, Le droit maritime, un anachronisme ?, revue juridique en ligne Neptunus, 1995, vol 1-2.
15
D’autre part, le principe de la limitation n’a pas été toujours été accepté par l’ensemble des opé-
rateurs maritimes eux-mêmes. Les chargeurs des pays en voie de développement, producteurs
de matières premières, souffraient de se voir opposer la limitation de responsabilité par les
transporteurs occidentaux, perçue dans les années 1960 comme un moyen de domination. Mais
s’étant progressivement dotés d’une flotte commerciale, leur attitude à l’égard de la limitation a
changé : ils s’y sont même montrés favorables lors de la rédaction de la Convention internatio-
nale de 1976. Cette évolution « est fondamentale, eu égard au rôle essentiel qu’ils jouent au-
jourd’hui dans la création des normes maritimes, à travers leur action à l’intérieur des institu-
tions spécialisées de l’ONU » dont l’OMI23
. On imagine donc leur attachement à l’institution
qui accompagne leur essor économique, et qu’ils sont désormais carrément réfractaires à l’idée
de sa suppression.
21. Les limitations de responsabilité spécifiques, du fait de la pollution par le déversement
d’hydrocarbures24
, de substances nucléaires25
ou dangereuses26
, n’échappent pas non plus à la
critique : c’est l’argument de la défense de l’environnement qui est cette fois avancé lors de ca-
tastrophes écologiques au premier rang desquelles les marées noires provoquées par des navires
sous-normes. Il est par exemple reproché à la première de limiter la responsabilité du proprié-
taire de navire au coût des mesures raisonnables de remise en état du milieu dégradé par la pol-
lution27
.
22. Alors faut-il supprimer le principe même de la limitation de responsabilité en matière de créan-
ces maritimes, en perte de cohérence et de légitimité ? Selon le professeur Yves Tassel,
« personne ne peut le penser et personne ne le dit »28
, du moins parmi les opérateurs maritimes
23
Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p 9.
24
Convention de Bruxelles sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, signée le
29 novembre 1969 (Civil Liability Convention -CLC-), entrée en vigueur le 19 juin 1975 ; Protocole modificatif du 27
novembre 1992 ; article L160-1 du Code de l’environnement ; article L5122-25 Code des transports.
25
Convention relative à la responsabilité des exploitants de navires nucléaires, signée le 25 mai 1962 à Bruxelles (pas
entrée en vigueur) ; Convention du 17 décembre 1971 dans le domaine du transport maritime de matières nucléaires ;
art. L5122-1 Code des transports.
26
L’entrée en vigueur de la Convention de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation des dommages liés au transport
par mer de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses -SNPD- (Angl. International Convention on liability and
compensation for damage in connection with the carriage of Hazardous and Noxious Substances by sea -HNS-), modi-
fiée par le protocole de 2010, est attendue pour avril 2012.
27
Karine Le Couviour, « Après l’Erika, réformer d’urgence le régime international », JCP 2008, I, 126. ; Antoine
Vialard, Responsabilité limitée et indemnisation illimitée en cas de pollution par hydrocarbures, in L’Europe des trans-
ports, La documentation française 2005, 749 ; Elizabeth Terzic, Les alternatives à l’exclusivité du système CLC / FI-
POL, REDE 1/2009, 5.
28
Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.
16
qui la perçoivent comme la condition sine qua none de la rentabilité et de l’assurabilité de leur
activité.
23. Mais, a priori réservée à ceux qui bravent le danger de se perdre en mer dans l’intérêt général,
l’institution a été dévoyée. Il apparaît donc urgent d’en restreindre le champ d’application à
l’aune de ces deux critères : le risque de mer et l’intérêt général (partie I).
Les modalités de sa mise en œuvre trahissent également la vocation de cette institution en ce
qu’elle répartit inégalement le risque maritime entre les bénéficiaires de la limitation de respon-
sabilité et leurs créanciers (partie II).
17
Partie I : restreindre le champ d’application de la limita-
tion de responsabilité
La limitation de responsabilité ne se justifie pleinement que si ses bénéficiaires affrontent le risque
de mer (Titre I) dans l’intérêt général (Titre II).
18
Titre I: restreindre le champ d’application de la limitation de res-
ponsabilité à l’aune du risque maritime.
La limitation de responsabilité devrait être écartée quand le risque de mer, qui justifie ce ré-
gime exorbitant (chapitre 1), n’a pas pris une part déterminante dans la survenance du dommage
(chapitre 2).
Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de
mer couru par le navire.
L’omniprésence et l’importance du risque de mer justifient toujours que la réparation des
créances maritimes soit plafonnée. Il vaut donc mieux accentuer la prévention des dommages que
supprimer la limitation de responsabilité (section 1) dont le bénéfice doit impérativement être réser-
vé aux navires, et c’est là toute la difficulté qu’ont les juges à délimiter la notion d’engin capable
d’affronter les périls de la mer (section 2).
19
Section 1 – Accentuer la prévention du risque maritime justifiant le maintien de la limitation
de responsabilité.
1. Des différents arguments, plus ou moins périmés, que l’on a pu avancer pour justifier la limita-
tion de responsabilité, on ne retiendra pour l’instant que le risque de se perdre en mer, élément
naturel invariablement capricieux.
2. Le risque de mer est inhérent à la navigation maritime. L’article L5000-1 du Code des trans-
ports, issu de l’ordonnance du 28 octobre 2010, en donne une conception relativement
large puisqu’il considère comme maritime « la navigation de surface ou sous-marine pratiquée
en mer, ainsi que celle pratiquée dans les estuaires et cours d’eau en aval du premier obstacle à
la navigation des navires. La liste de ces obstacles est fixée par voie réglementaire ». Les périls
de la mer guettent le navire jusque dans les estuaires, les fleuves et les rivières qu’il fréquente.
Mais, au-delà de ces obstacles qui constituent les limites des affaires maritimes, il y est sous-
trait.
3. Certes augmentés par de rudes conditions climatiques qui éprouvent la robustesse du navire et
de son équipage, ils perdurent sur une mer d’huile. On en veut pour preuve le naufrage du Tita-
nic, paquebot soit disant insubmersible dont la coque se déchira sur un iceberg, une nuit de
calme plat. La mer reste un milieu dangereux par tous les temps, car elle amplifie les consé-
quences des avaries et des erreurs humaines. Elle ne laisse aucune chance de survie à ceux qui
s’y trouvent en détresse : si le navire s’abîme, l’Homme suit inéluctablement son triste sort.
4. Cette dernière remarque est également valable pour la navigation aérienne mais certains auteurs
refusent de pousser plus loin la comparaison. René Rodière, qui insiste pour que ne soient pas
minimisés le risque de mer, prétend que « les dommages causés par les aéronefs sont dus en
majorité à des fautes de l’équipage ; les sinistres maritimes aux forces de la nature »1
. Cette
analyse, qui témoigne d’une certaine résignation, est dépassée pour deux raisons.
5. D’une part, les évènements de mer sont moins dus à la fatalité qu’à la négligence du propriétaire
ayant fourni un navire en état d’innavigabilité, qu’à la mauvaise décision prise par le capitaine,
qu’à la fatigue ou à l’incompétence de l’équipage.
1
René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent, avenir -, DMF 1973.
20
L’ Organisation Maritime Internationale, émanation de l’Organisation des Nations Unies, l’a
bien compris. C’est pourquoi elle a adopté une réglementation très fournie en matière de sécuri-
té maritime. La convention STCW (International Convention on Standards of Training, Certifi-
cation and Watchkiping for seafarers) sur les normes de formation des gens de mer, de déli-
vrance des brevets, et de veille, signée le 7 juillet 1978 et amendée en 1995, prend en compte le
facteur humain.
De même, le code ISM (International Safety Management), pour la gestion de sécurité de
l’exploitation du navire et la prévention de la pollution, tend à éviter ou limiter la portée des
accidents en mettant en place des procédures d’urgence, des audits, des stages de remise à
niveau des marins, un système de déclarations des dysfonctionnements, des inspections des
navires par l’Etat du port… Ce code, intégré à la Convention SOLAS (Safety Of Life At Sea)
pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, fait suite au naufrage du ferry Herald of Free
Enterprise, le 6 mars 1987, à la sortie du port belge de Zeebrugge. Cette règlementation a vu le
jour en 1993 et est entrée en vigueur en 1998. Bien d’autres textes internationaux ou régionaux
comme les directives européennes, notamment les trois paquets Erika – Prestige, pourraient
encore être cités, qui tous ont été pris en réaction à des catastrophes maritimes dont ils tirent les
leçons.
6. La prise de conscience collective que l’Homme participe au moins autant que le risque de mer à
la réalisation du dommage remet-elle en cause la limitation traditionnelle de responsabilité ?
Tous les propriétaires et exploitants de navires méritent-ils cette protection ?
7. Ce privilège est une arme à double tranchant. D’un côté, il constitue un soutien économique
indispensable à l’activité maritime. De l’autre, les armateurs, sachant qu’ils n’engagent dans
l’expédition qu’une partie de leur patrimoine, se contentent de respecter les prescriptions mini-
males (mais insuffisantes) de sécurité. L’affaire du navire allemand Heidberg2
aurait mis en
évidence le caractère « criminogène »3
de la limitation de responsabilité, les moyens du bord et
l’équipage ayant été réduits à l’extrême pour tirer un profit maximal. La multitude des traités in-
ternationaux ne viseraient donc qu’à contrecarrer la perversité du système. Mais, la compensa-
tion intégrale des dommages inciterait-elle vraiment les armements à investir davantage pour
2
TC Bordeaux, 23 septembre 1993 (DMF, décembre 1993, n°533), confirmé par CA Bordeaux, 31 mai 2005 (DMF,
2005, n°663, p. 839).
3
Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.
21
renforcer la sécurité ? On pourrait le penser puisque la sanction infligée au bénéficiaire de la li-
mitation qui se rend coupable d’une faute inexcusable consiste justement à lui faire supporter la
totalité des dommages et intérêts dus à la victime.
Ce privilège ne serait-il pas plutôt curatif ? La limitation de responsabilité aurait des vertus thé-
rapeutiques que ne possède pas la responsabilité civile. En effet, on peut d’abord considérer
qu’elle encourage indirectement les efforts de ses bénéficiaires en les déchargeant d’une partie
non négligeable de la dette de réparation. Elle leur permet ensuite de trouver un assureur, lequel
n’accepte de couvrir le risque (à hauteur des plafonds de la limitation) que si le navire présente
une certaine fiabilité. Au final, et dans l’idéal, l’économie réalisée grâce au taux préférentiel de
la prime devrait être réinjectée dans des mesures concrètes de prévention du risque, remède bien
plus efficace que la suppression pure et simple de la limitation de responsabilité. Celle-ci opère
finalement un bon « compromis entre la [nécessaire protection] de ceux qui bravent le risque de
mer et l’impératif de sécurité maritime »4
.
8. D’autre part, (et c’est la seconde raison pour laquelle nous désapprouvons la remarque du doyen
Rodière, et qui est étroitement liée à la première), le risque de mer est de plus en plus prévisible
et maîtrisable, bien que rien ne puisse totalement l’anéantir. Mais, anticiper les situations criti-
ques permet généralement d’y faire face. De même, si les progrès techniques n’ont pas fait dis-
paraître le danger, on ne peut nier que la météorologie, les télécommunications, les nouvelles
méthodes de transport (comme la conteneurisation qui non seulement facilite la manutention des
marchandises mais en assure également la conservation), repoussent toujours plus loin le spectre
de la perdition.
9. Mais, comme toute médaille a son revers, le perfectionnement des navires, sur lesquels
s’exercent les pressions de la concurrence, est accusé d’avoir fait muter le risque de mer : la
technologie, le gigantisme, la vitesse et l’automatisation, comptent parmi les nouveaux facteurs
d’insécurité5
. Si le nombre des accidents maritimes a chuté, il n’en demeure pas moins qu’ils
sont très destructeurs. Ainsi, le risque de mer, qui menace des capitaux toujours plus importants,
justifie encore et toujours le maintien de la limitation de responsabilité.
4
Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fonde-
ment du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires
d’Aix-Marseille (PUAM).
5
Barham Toure, L’insécurité en mer et le droit : mutation, prévention et sanction, thèse, université de Lille II, 2000.
22
10. Pierre angulaire du droit maritime, le risque de mer commande presque à lui seul un régime
dérogatoire de responsabilité. Le fait que l’article L5132-13 du Code des transports accorde le
bénéfice de la limitation à l’assistant, même lorsque celui-ci n’intervient pas depuis un navire,
prouve la supériorité du risque de mer sur la considération de l’objet soumis à ce risque. On
peut cependant regretter l’omission de ce bénéficiaire à l’article L5121-2 qui n’opère pas non
plus de renvoi à l’article L5132-12 réglant sa responsabilité, et que l’objet auquel se rapporte la
limitation ne soit pas clairement déterminé.
Section 2 – Redéfinir l’objet soumis au risque de mer - l’engin éligible au statut de navire.
11. La limitation de responsabilité se rapporte aux dommages survenus à bord du navire ou « en
relation directe avec la navigation ou l’utilisation de celui-ci», ainsi qu’aux « mesures prises
afin de prévenir ou réduire ces dommages » et aux « dommages causés par ces mesures » (arti-
cle L5121-3 du Code des transports).
12. Or, « il est patent que le droit des transports avait jusqu’à présent éludé la question de
l’identification juridique de l’engin de transport. Le cas du navire est à cet égard remarquable
puisqu’il jouit d’un statut juridique particulièrement riche identifiant ses éléments
d’individualisation, lui conférant la nationalité et déterminant les droits réels et le régime de
responsabilité exorbitant du droit commun qui lui sont attachés, sans bénéficier d’une définition
générique6
(…). Inversant la situation actuelle qui, selon la démarche adoptée par les
conventions internationales maritimes, propose une définition circonstancielle du navire
étroitement conditionnée aux caractéristiques techniques ou aux conditions de navigation
ciblées par chaque texte, une définition de portée générale est proposée en introduction à la
partie relative à la navigation et au transport maritimes [du Code des transports], qu’il convient
de restreindre au cas par cas »7
.
6
Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer
7
Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 portant création de la
partie législative du Code des transports, publié au Journal officiel de la République française n°0255 du 3 novembre
2010.
23
13. Ainsi, en vertu de l’article L5000-2 du Code des transports et « sauf dispositions contrai-
res, sont dénommés navires tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime
de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci, […] ou affectés à des services pu-
blics à caractère administratif ou industriel et commercial ». Indubitablement, la limitation de
responsabilité peut donc se rattacher à tous types de navires, quelque soit leur affectation, si ce
ne sont les navires de guerre français ou étrangers.
14. Certains auteurs regrettent cependant que cette définition du navire, qui n’est pas impérative,
« crée des doutes » sur ce qu’il convient d’entendre par le terme d’ « engin »8
. Alors qu’elle
donnait son avis sur le projet de loi de codification du droit des transports, l’Association Fran-
çaise du Droit Maritime déplorait que ne soit pas repris le critère jurisprudentiel d’ « engin ca-
pable d’affronter les périls de la mer ». Ainsi, jugeant l’article L5000-2 du Code des transports
trop descriptif, elle soulignait que des engins, comme certaines barges, peuvent avoir été cons-
truits et équipés pour naviguer mais pas pour résister à l’assaut des vagues et des vents, la capa-
cité à les affronter tenant à l’autonomie (la voile ou le moteur)9
. Mais, on peut objecter que les
barges qui ne peuvent se déplacer seules, ne sont justement pas armées pour la navigation mari-
time.
15. Ainsi, le gabarit, la hauteur du franc-bord, la résistance aux forces naturelles et la propulsion
comme gage d’autonomie, sont autant d’éléments à prendre en compte dans la définition du na-
vire. Dans un arrêt du 12 septembre 1991, il a d’ailleurs paru évident pour la Cour d’appel de
Caen de refuser la qualité de navire à un canot pneumatique (de type Zodiac) et par conséquent
de l’exclure du champ d’application de la limitation de responsabilité au motif qu’étant « une
embarcation frêle, construite en matériau léger », elle « n’est pas conçue pour effectuer des ex-
péditions maritimes », et que « son rayon d’action est nécessairement limité en raison de
l’impossibilité de stocker du carburant à bord »10
.
16. En réalité, l’aptitude permanente de l’engin à surmonter les périls de la mer est contenue dans la
définition légale, consolidant ainsi la jurisprudence : naviguer c’est s’exposer aux aléas de la
mer et cette navigation maritime nécessite une construction et un équipement adéquats. Ainsi, la
8
Stéphane Miribel, La codification du droit des transports dans le domaine maritime : les modifications introduites par
la codification sont-elles opportunes ?, compte-rendu de l’assemblée générale du 27 janvier 2011 de l’Association du
Droit Maritime (AFDM), DMF 2011, n°722, février 2011, p.182.
9
Communiqué de l’Association Française du Droit Maritime, DMF 2011, n°723
10
CA Caen, 3ème
ch, section civile, n°1250-89, site Internet Lamyline ; Cass., com., 6 décembre 1976, n° n°75-12.057,
canot Poupin sport.
24
description apparemment lacunaire du navire n’autorise pas les juges du fond à s’affranchir de
ce critère fondamental dont ils ont la libre interprétation. Mais cette précision, qui ne repose
pourtant pas sur des données techniques objectives, aurait toutefois permis de lever toute ambi-
guïté quand aux conditions d’application de la limitation de responsabilité.
17. On dit également la jurisprudence hésitante quant à la détermination du statut de certaines em-
barcations de plaisance telles que les planches à voile, kite surf, pédalos, avirons, canoës,
kayaks, scooter des mers, … tantôt considérés comme de simples flotteurs ou véhicules nauti-
ques à moteur, tantôt érigés au rang de navire.
La première interprétation est fréquemment donnée lorsqu’un baigneur a été blessé. D’une part,
la planche à voile, qui illustrera notre propos, évolue généralement à proximité immédiate du ri-
vage. D’autre part, il ne peut être porté atteinte aux droits des tiers à l’activité maritime qu’au
profit de l’intérêt général qui, en l’occurrence, n’est pas défendu. Le véliplanchiste est donc
propriétaire d’un engin de plage et ne peut bénéficier de la limitation de responsabilité.
Dans la seconde hypothèse où elle vient à heurter un navire, elle emprunte la qualité et le ré-
gime juridiques de celui-ci : elle se verra donc appliquer les règles spécifiques et favorables de
l’abordage11
, puis la limitation de responsabilité. Fléchissant la rigueur du droit maritime, les
magistrats ont le souci de mettre les propriétaires à égalité. On ne peut reprocher à cette juris-
prudence humanitaire de classer l’engin en fonction du régime juridique qui en découlera et de
l’opportunité de la solution, tant que la limitation de responsabilité joue entre participants à
« l’aventure » maritime.
18. Mais, si le raisonnement suivi devait s’éloigner de ce schéma et le contentieux se multiplier, il
serait bienvenu que le législateur règle définitivement le sort de ces engins à la structure lé-
gère en allant dans le sens de la suppression de la limitation de responsabilité à leur égard. La
limitation de responsabilité n’a pas été initialement pensée pour ce type d’engins mais pour des
navires de transport de marchandises ou des navires de pêche. Autrement dit, elle a peut-être été
inconsidérément étendue à diverses embarcations auxquelles elle n’était pas destinée. Ainsi,
pour reprendre les propos d’Yves Tassel, le « sentiment d’insatisfaction » face à ces règles
11
La responsabilité pour abordage a pour fondement la faute prouvée -loi du 7 juill. 1967 relative aux événements de
mer- et non le fait des choses que l'on a sous sa garde - art. 1384, al. 1er
C.civ.- (Com, 5 oct. 2010: Dalloz actualité, 19
oct. 2010, obs. Delpech)
25
exorbitantes vient, entre autres, des excès que leur application a pu entraîner. « Une définition
trop large des concepts qui déterminent leur champ d’application pervertit l’institution pour-
tant justifiée »12
.
19. La même interrogation se pose au sujet des aéroglisseurs, véhicule amphibie à portance aérosta-
tique (sur coussin d’air) et à propulsion aérienne (assurée par des hélices). Mis à l’écart de la
limitation de responsabilité par la Convention de 197613
, la France n’a pas usé de la possibilité
offerte aux Etats signataires d’adopter la solution contraire. Ainsi, dans le silence du Code des
transports, la qualification de ce genre d’engins en navires, alors qu’ils ne sont pas en contact
avec l’eau, n’est pas forcément exclue. Ils figurent en effet au titre des navires à sustentation, à
l’article 240-1.02 annexé à l’Arrêté du 11 mars 200814
modifiant celui du 23 novembre 1987 re-
latif à la sécurité des navires. Surtout, leur qualité de navire a déjà été reconnue par le Conseil
d’Etat dans un arrêt Hoverlloyd du 19 décembre 1979, rendant possible l’extension de la limita-
tion de responsabilité à leur encontre.
20. Ces fluctuations autour de la première condition de fond de la limitation de la responsabilité
(l’existence d’un navire) est source d’insécurité juridique. L’indétermination de l’objet auquel
elle se rapporte affaiblit considérablement la limitation traditionnelle de responsabilité, comme
le droit maritime dans son ensemble, qui apparaît aujourd’hui comme « le droit des contradic-
tions »15
.
21. Enfin, dernière incertitude que l’on relèvera, comment articuler la législation française avec le
droit international ? Faut-il comprendre, au terme d’une interprétation fastidieuse16
, que seules
les dettes extracontractuelles envers des personnes de droit privé qui ont « renfloué, enlevé, dé-
truit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui
se trouve ou s’est trouvé à bord »17
sont limitées ?
Créances extracontractuelles d’abord car, l’article 2 de la Convention de 1976 admet à limita-
tion les seules créances qui ne constituent pas la rémunération d’un contrat conclu avec le res-
12
Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.
13
Article 15 de la Convention LLMC de 1976.
14
L’arrêté du 11 mars 2008 a été publié au Journal officiel de la République française du 8 avril 2008.
15
Yves Tassel, Le droit maritime – Un anachronisme ?, Revue juridique Neptunus.
16
Cette interprétation de la Convention soulève le problème tout aussi épineux de son applicabilité (est-elle d’effet
direct ?) et invocabilité par les sujets de droit interne que sont les particuliers.
17
Article L5121-4 du Code des transports
26
ponsable, disposition que ne reprend pas le droit interne. Mais, cette hypothèse est théorique
car, en pratique, ces interventions donnent toujours lieu à la conclusion d’un contrat.
Personnes privées ensuite car, cette fois, la loi française est encore plus réductrice que la
Convention en ce qu’elle exclut expressément les créances dont sont titulaires l’Etat et les autres
personnes morales de droit public qui seraient intervenus, « au lieu et place du propriétaire »18
.
Or, c’est l’hypothèse la plus fréquente.
Au vu de ces deux restrictions, on s’aperçoit que, de fait, ces créances particulières ne subiront
généralement pas la limitation.
22. Cependant, ne faudrait-il pas supprimer le principe de la limitation de responsabilité à l’égard de
ces créances d’extraction et de destruction des navires ? En effet, un « navire coulé, naufragé,
échoué ou abandonné » ne serait-il pas plutôt une épave ? En réalité, la règle ne recouvre pas to-
talement la notion d’épave, statut qui résulte de « la non-flottabilité, de l’absence d’équipage à
bord et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre » (article L5142-1 du Code des
transports). Or, ces conditions qui sont cumulatives doivent ici s’apprécier dans le temps. A no-
tre avis, la mauvaise posture dans laquelle se trouve l’engin doit être définitive, ce qui ne peut
être évalué sur le moment. En effet, un navire naufragé, coulé, échoué ou abandonné mais qui
peut être renfloué pourra éventuellement flotter à nouveau. Et même s’il devait être détruit, rien
ne dit qu’il ne pouvait pas encore flotter. Par conséquent, quel régime juridique appliquer ?
L’état de l’engin révèle-t-il son inaptitude à affronter le risque de mer d’une manière perma-
nente et continue ? Non, car la mer a pu avoir raison du navire alors que celui-ci était équipé
pour la navigation maritime. En définitive, le terme de « navire » paraît adéquat et « devrait in-
citer les juges à assimiler l’épave de navire à un navire »19
, de sorte que la limitation de respon-
sabilité demeure justifiée pour ce genre de créances maritimes, maladroitement baptisées par la
doctrine de « créances de travaux sur épaves ».
23. En outre, pourquoi le système de la limitation inclut-il ces créances qui a priori ne correspon-
dent pas à des dettes de responsabilité (nées de la réalisation d’un dommage) ? Se poser cette
question, c’est perdre de vue que la limitation de responsabilité concerne également les
« mesures prises en vue de prévenir » les dommages « en relation directe avec la navigation ou
l’utilisation du navire »20
. Or, si le navire naufragé venait à être considéré comme une épave et
18
La réserve émise par la France, lors de la ratification de la Convention LLMC, a valeur de déclaration unilatérale et
non de simple déclaration d’intention (Civ 1ère
, 11 juillet 2006, n°20-389, navire Jerba, Bull. 2006 I N° 378 p. 325).
19
Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p.271, §416.
20
article L5121-3 du Code des transports
27
présentait un danger pour la navigation, la pêche, l’environnement, l’accès ou le séjour dans un
port, l’obligation de procéder à son enlèvement ou à sa destruction incomberait à son proprié-
taire21
.
24. Enfin, bien que les dommages causés par les épaves (lesquelles ont irrémédiablement cessé
d’être un navire) relèvent en principe des articles 1382 et suivants du Code civil, il pourrait exis-
ter un « lien de causalité suffisant » entre le dommage et l’exploitation du navire pour que la li-
mitation de responsabilité puisse être étendue « aux accidents causés par une épave dans les
heures qui suivent le naufrage d’un navire »22
. Cette extension serait fondée sur le premier ali-
néa de l’article L5121-3 du Code des transports qui exige que les préjudices soient « en relation
directe avec la navigation ou l’utilisation du navire ».
25. D’une manière générale, la logique de la solidarité des Hommes face aux périls de la mer veut
que l’activité maritime soit soutenue jusqu’au bout, surtout lorsqu’elle trouve sa limite : le nau-
frage du navire. Mais, lorsque, en revanche, le risque de mer a disparu, la persistance du droit à
limitation se justifie plus difficilement.
21
article 5 du décret n°61-1547 du 26 décembre 1961.
22
Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, §413, p. 270.
28
Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence
de risque maritime.
La considération du danger induite par la navigation maritime ne gouverne plus la mise en œuvre de
la limitation de responsabilité.
Celle-ci devrait pourtant être exclue lorsque le risque de mer n’a pas pris une part déterminante
dans la survenance du dommage mais qu’il a été occulté par le comportement fautif du bénéficiaire
(section 1).
De la même manière, la limitation de responsabilité devrait être circonscrite aux créances nées de
l’utilisation purement maritime du navire (section 2).
Section 1 - Le risque de mer ignoré : la faute du bénéficiaire comme cause exclusive du dom-
mage.
26. « En droit maritime, la responsabilité doit être appréhendée sous le prisme particulier du ris-
que de mer, qui par son action causale, vient modifier la perception juridique d’un événe-
ment »23
. On démontrera pourtant que telle n’est pas tout à fait la réalité. La justification doctri-
nale de la limitation de responsabilité ne serait-il pas qu’un mensonge ? Le risque de mer
n’entre en jeu qu’au stade de la réparation (qui est plafonnée) quand on aurait pu s’attendre à ce
qu’il joue un rôle causal au stade de la détermination de la responsabilité. Notre démonstration
commande inévitablement de revenir sur les conditions de la responsabilité.
27. L’omniprésence des risques de la mer n’exonère pas le propriétaire de navire de sa responsabili-
té, à moins qu’ils présentent les traits de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et
extériorité) et occasionnent directement le dommage. Le cas échéant, l’exonération ne peut être
que totale et non plus partielle comme le permettait la jurisprudence Lamoricière (la
responsabilité du gardien du fait des choses étant édulcorée par le cyclone qui avait mené le
navire à sa perte). Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate observent que « si l’on considérait
exagérément le “fait de la mer” comme revêtant en toute hypothèse les caractéristiques de la
force majeure, il y aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la23
Arnaud Montas et Y. Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fondement
du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires d’Aix-
Marseille (PUAM).
29
aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la mer produirait son
effet exonératoire »24
. C’est pourquoi la jurisprudence exige que les circonstances naturelles qui
s’interposent entre le fait générateur et le préjudice rompent irrésistiblement le lien de causalité
qui les unissait. Dans un arrêt inédit, en date du 2 avril 2009, la deuxième chambre civile de la
Cour de cassation a ainsi décidé, dans une espèce où une barge amarrée s’était détachée et avait
heurté un ponton sous l’effet d’une tempête, que celle-ci ayant été annoncée par Météo France,
la condition d’imprévisibilité constitutive de la force majeure n’était pas caractérisée.
28. Si la responsabilité de l’armateur est donc engagée et sa dette de réparation limitée, c’est que le
sinistre maritime n’est pas dû « aux forces de la nature » comme le soutenait le doyen Ro-
dière25
, mais bien à la faute personnelle du bénéficiaire ou au fait du navire qu’il a sous sa garde
(le navire jouant alors un rôle instrumental)26
. Ainsi, hormis l’hypothèse extrêmement rare où
les tribunaux reconnaissent le cas fortuit, la responsabilité de l’armateur reste entière. Elle ne
pourrait pas non plus être partagée entre les co-auteurs que seraient d’une part les phénomènes
naturels ou anonymes, notion abstraite et intangible, et d’autre part le bénéficiaire.
29. Le risque de mer, qui trouble les rapports de causalité, n’apparaît finalement que comme la
cause aggravante du dommage, en ce qu’elle accentue les défaillances humaines et techniques.
Ce concept que nous introduisons ici et qui n’a aucune existence juridique, ne doit pas être
confondu avec les circonstances aggravantes qui ajoutent à la gravité d’une faute pénale. En re-
vanche, ses effets emprunteraient aux circonstances atténuantes qui entraînent une modulation
de la peine dans le sens de la clémence et qui ne diminuent en rien la valeur du fait générateur
24
Arnaud Montas, Droit maritime et force majeure, DMF 2009, n°709, observations sous l’arrêt Cass, civ 2ème
, 2 avril
2009, inédit.
25
Cf nos observations au paragraphe n°8, et la note attachée.
26
Pour contourner les clauses limitatives du contrat de transport de passagers, les ayant droits des victimes d’un nau-
frage ont invoqué la responsabilité du fait des choses de l'art 1384 al 1er
du Cciv à l’encontre de l’armateur. La Haute
juridiction a accepté: arrêt Lamoricière du 18 juin 1951. Aujourd’hui, une telle action dirigée contre le transporteur
(également propriétaire du navire ou affréteur) ne serait plus recevable depuis que l'article 32 de la loi de 1966 repris à
l’article L5422-18 al 3 du Code des transports) dispose que “quelque soit son fondement, l'action en resp contre le
transporteur à raison de pertes ou de dommages ne peut être exercée que dans les conditions et limites fixées à la pré-
sente section". Au final, le jeu de l'article 1384 al 1er
est très rare dans la mesure où la responsabilité du fait du navire
est souvent liée à l'abordage. Les situations où il s'applique encore sont les suivantes : collision avec autre chose qu'un
navire (ouvrage terrestre) ; dommages causés par la vague d'étrave d'un navire faisant route à grande vitesse (civ 2, 10
juin 2004) ; dommages subis par les personnes à bord non liées contractuellement (transport bénévole par ex; civ 2, 5
mars 1965) ; dommages subis par les tiers (chute d'une pièce du navire par exemple).
30
mais en réduisent la portée (en effet, la prise en compte des évènements qui entourent la com-
mission d’une infraction ne la disqualifient pas pour autant)27
.
30. La théorie de l’équivalence des conditions (dont toutes sont censées être la cause du dommage),
n’est ici pas pertinente. C’est la théorie de la causalité adéquate qui expliquerait le mieux que le
fait de l’Homme ou de la chose gardée soit l’unique source de la responsabilité : tous les évè-
nements concourant au dommage étant d’une importance inégale, il faut n’en retenir qu’un seul.
Autour de lui gravitent des éléments fortuits, comme les périls de la mer. La gravité de la faute
qui constitue la cause efficiente rendant à elle seule le dommage probable, et qui est mesurée à
l’aune des standards sociaux ou professionnels, n’a pas d’incidence sur la détermination de la
responsabilité. En bref, la faute, quelque soit sa gravité, génère la responsabilité de son auteur
(article 1382 du Code civil), à l’exclusion du risque de mer qui, bien qu’ayant contribué au
dommage, n’en est pas la cause juridique (sauf force majeure). La gravité de cette faute affecte-
ra cependant le quantum de la réparation : celle-ci ne sera intégrale que si le bénéficiaire a été
déchu de son droit à limitation en raison de sa faute intentionnelle ou inexcusable.
31. La considération du risque de mer justifie-t-elle alors toujours la limitation de la réparation ? La
Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt Melissa en
date du 18 novembre 198028
. En l’espèce, en raison d’une erreur commise dans la manipulation
d’une vanne pendant le déchargement, de l’huile avait été souillée par du suif transporté simul-
tanément. Le capitaine dont la responsabilité a été recherchée tant à titre personnel qu’à titre de
représentant de l’armateur, a sollicité la limitation de responsabilité prévue par la Convention de
Bruxelles de 1957. La Cour d’appel de Rouen a rejeté sa prétention le 3 mai 1977, considérant
que l’avarie dont réparation est demandée n’a pas été causée ou aggravée par un risque de mer
dès lors que la navigation du Melissa avait pris fin lorsqu’elle s’est produite. La Cour de cassa-
tion casse la décision des juges du fond au motif que la faculté pour l’armateur et le capitaine de
limiter leur responsabilité n’étant pas subordonnée à l’exigence d’un risque de mer, ils ont violé
le texte susvisé par refus d’application. Aux dires de l’article premier de la Convention de 1957,
il suffit en effet que le dommage aux biens et aux personnes soit survenu à bord du navire, ou
qu’il ait été provoqué par une personne depuis le navire et qu’il se rapporte à l’administration,
27
A priori, nous ne sommes donc pas d’accord avec l’idée de « faute atténuée » du propriétaire de navire, évoquée par
Georges Ripert, Droit maritime, Tome II, 1952, Paris, p.144.
28
Cass, com, 18 novembre 1980, pourvoi n°77-13.205, Bull. civ. IV, n°382.
31
au transport, au chargement/déchargement de la cargaison, ou à l’embarquement/débarquement
des passagers.
32. La jurisprudence précitée est très respectueuse de la lettre du texte, mais l’est-elle de son esprit ?
Pour la Cour d’appel de Rouen, la navigation ayant cessé, le risque de mer avait disparu. C’est
dire implicitement que toutes les utilisations du navire ne l’exposent pas aux périls de la mer, a
fortiori lorsqu’il est à quai. Faut-il supprimer la limitation de responsabilité quand le fait de la
mer ne s’est pas ajouté à la faute ou à la négligence du bénéficiaire, et qui deviennent alors la
cause exclusive du dommage en fait et en droit ?
33. Tel n’a pas été l’opinion du Comité Maritime International lors de l’adoption de la Convention
de 1976 qui reconduit le schéma de la Convention de 1957. Restent en effet couvertes par la li-
mitation de responsabilité les créances pour dommages « survenus à bord du navire ou en rela-
tion directe avec l’exploitation de celui-ci » (Conv. LLMC, art. 2 ; Code des transports, art.
L5121-3). Part-on du postulat que toutes les opérations menées depuis le navire sont soumises
aux aléas de la mer ? Il ne serait donc pas nécessaire de rapporter la preuve de la concomitance
du risque de mer, irréfragablement présumée.
34. De même, dans l’affaire Melissa, la Cour de cassation élude la question de savoir si les dangers
de la mer guettaient vraiment le navire lorsque le capitaine a commis une erreur de manipulation
de la vanne et souillé l’huile par du suif. Elle évite donc soigneusement de définir ces périls.
Nous n’approuvons pas la manière dont est rédigée la motivation de la Chambre commerciale
car elle laisse penser que le risque de mer n’interfère en rien dans la détermination de la respon-
sabilité. Mais, il faut avouer que l’interprétation stricte du texte débouche au fond sur une solu-
tion pragmatique. Celle-ci permet en effet une application quasi-automatique de la limitation de
responsabilité, épurée de toute considération subjective relative à la simultanéité du risque de
mer, comme le lui impose la Convention internationale. Tout compte fait, la jurisprudence res-
pecte à la fois la lettre et l’esprit de la Convention internationale que nous accusons ouvertement
de dévoyer l’institution traditionnelle de limitation de responsabilité.
35. Pour que le régime de la limitation de responsabilité retrouve sa raison d’être et sa légitimité, de
deux choses l’une :
 soit on fait de la coexistence du risque de mer un élément de la qualification de la créance
maritime ;
32
 soit on précise que l’utilisation du navire, au cours de laquelle s’est produit l’accident, est pu-
rement maritime. C’est cette dernière solution qui nous semble la meilleure (la plus simple)
et que nous allons désormais développer.
Section 2 : Supprimer la limitation de responsabilité relative aux créances qui ne sont pas
nées de l’utilisation purement maritime du navire
36. Comme le rappelle Martin Ndendé, « les créances sont maritimes par le lieu de survenance du
dommage -à bord du navire- ou par la relation de causalité existant entre le dommage et
l’exploitation du navire. Pour autant, le caractère maritime de la créance n’est pas lié au risque
de mer »29
, ce que nous regrettions déjà à la section précédente. Le recentrage de la limitation de
responsabilité autour de la notion de risque de mer, plutôt que de celle d’exploitation, est à notre
avis souhaitable.
37. L’article L5121-3 du Code des transports pourrait être amendé comme suit: « Les personnes
mentionnées à l’article L. 5121-2 peuvent limiter leur responsabilité envers des cocontractants
ou des tiers, même s’il s’agit de l’Etat, si les dommages se sont produits à bord du navire [lors
de la navigation ou de l’utilisation maritimes] ou s’ils sont en relation directe avec [celles-
ci]». Cette disposition, dont nous proposons une correction, distingue entre les dommages qui se
sont produits à bord du navire et ceux qui se sont produits à l’extérieur du navire.
o Pour les dommages survenus à bord du navire, serait-il justifié que le débiteur oppose la
limitation de responsabilité à ses créanciers alors que le navire est par exemple en répara-
tion dans un chantier naval et qu’il n’a pas à craindre les périls de la mer ? A notre avis, la
réponse est négative et la créance de réparation ne doit être admise à limitation que si le
préjudice s’est produit lors de la navigation ou de l’utilisation maritime du navire, c’est-à-
dire lorsqu’il est à flot.
o S’agissant des dommages survenus à l’extérieur du navire, il semble que le caractère mari-
time de la navigation et de l’utilisation doive également être spécifié.
29
Martin Ndendé, Droits maritimes, oeuvre collective sous la direction de Jean-Pierre Beurier, Dalloz Action, éd 2009-
2010, n°364.41, p.534.
33
Dans les deux cas, nous suggérons donc de circonscrire la limitation de responsabilité aux
créances pour dommages survenus à l’occasion de la navigation ou de l’utilisation maritimes
du navire.
38. La limitation de responsabilité renouerait ainsi avec son fondement (le risque de mer), tandis
que pour l’instant elle est essentiellement gouvernée par son objet (le navire), quelque soit
l’usage auquel on l’emploie. En effet, le droit positif, à l’instar de la loi du 3 janvier 1967, ne
précise pas le type de navigation ou d’utilisation du navire, ce qui laisse la porte ouverte à une
interprétation jurisprudentielle extensive, illustrée par l’arrêt Laura30
daté du 4 octobre 2005. La
Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le jugement au motif que « l’article 58
de la loi du 3 janvier 1967, qui permet au propriétaire d’un navire de limiter sa responsabilité
si les dommages sont en relation directe avec son utilisation, n’excluant pas ceux qui se sont
produits à l’occasion d’une navigation fluviale, la Cour d’appel qui a retenu que le Laura, qui
se livrait habituellement à la navigation maritime, devait être qualifié de navire, et qui a consta-
té que les dommages avaient eu lieu tandis qu’il naviguait sur la Saône, en a déduit exactement
que son propriétaire était en droit de limiter sa responsabilité ». Contrairement à ce que nous
préconisons, il n’est pas tenu compte du milieu dans lequel le navire évolue, ce qui revêt son
importance même quand le dommage a lieu à bord31
.
39. Le risque de mer est omniprésent lors de la navigation maritime, c’est-à-dire pendant la phase
de transport. Lorsque le navire ne navigue pas mais qu’il est utilisé à d’autres fins (ce sont les
autres phases de l’exploitation maritime, comme le chargement et le déchargement au port mari-
time), il peut être plus difficile de caractériser le risque de mer, c’est pourquoi il doit être pré-
sumé (dans un souci de simplification on choisira même une présomption irréfragable).
40. Ce n’est pas parce que l’institution est « techniquement organisée autour de la notion
d’exploitation »32
que le risque de mer ne pourrait pas être intégré à la logique de la limitation
de responsabilité. Tous ses bénéficiaires ne participent d’ailleurs pas à l’exploitation. Ne peu-
vent être qualifiés d’exploitants les propriétaires eux-mêmes, les assureurs, les assis-
tants/sauveteurs, tandis qu’ils assument le risque de mer ou s’y confrontent. Cette multiplication
30
Cass, com, 4 octobre 2005, n°02-18.201, navire Laura, Bull. civ. IV, n°189 ; DMF, hors série n°10 de juin 2006, P.
Bonassies, n°45.
31
Voir aussi le cas particulier des forfaits touristiques vendus par un organisateur de voyage et comprenant un transport
fluvial de passagers : CA Paris, 1er
juin 2001, 25ème
ch B, obs Philippe Delebecque, Quel est le droit applicable aux
croisières maritimes ?, D 2002, p.1319 ; Yves Tassel, DMF juin 2002, hors-série n°6, n°106.
32
Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, n°428, p.276.
34
des bénéficiaires est due à la substitution des intitulés des Conventions : la limitation de respon-
sabilité des propriétaires de navires (1957) s’est muée en limitation de responsabilité en matière
de créances maritimes (1976).
Pourquoi les trois intérêts engagés dans l’expédition maritime (le navire, le fret et la cargaison)
ne bénéficieraient-ils pas de la limitation de responsabilité ? Ne se trouvent-ils pas dans la
même situation : exposés au risque de mer ? Doivent-ils subir un traitement différent en fonc-
tion de l’intérêt de leur activité pour la collectivité ?
Par exemple, Pierre Bonassies verrait d’un bon œil que les chargeurs33
jouissent de ce
« privilège de caste »34
.
De son côté, la Cour d’appel de Paris en a refusé le bénéfice à un commissionnaire pris en sa
qualité de transporteur, dans un arrêt du 17 octobre 2007 (affaire Alemania)35
. La solution se
comprend par le fait que ces opérateurs -ni propriétaires ni exploitants du navire- ne mettent pas
en péril leur fortune de mer mais leur activité qui, du reste, n’est pas d’intérêt général. La limita-
tion de responsabilité devrait être réservée à ceux qui à tout le moins contrôlent ou ont un intérêt
sur le navire dans sa totalité.
Quid du consignataire et des autres débiteurs terrestres ?
Il est également malaisé de répondre à la question de savoir si tous les affréteurs (affréteur co-
que nue, à temps ou au voyage, affréteur d’espace) ont droit à limitation36
, la Loi se contentant
d’employer le terme générique d’« affréteur »37
.
Antoine Vialard en vient à dénoncer « la tendance à l’extension inconsidérée des bénéficiai-
res » : « De proche en proche, on voit toutes les professions qui gravitent autour du commerce
maritime prétendre bénéficier à leur tour de la limitation de leur responsabilité, alors qu’elles
ne tâtent du risque maritime que d’une manière tout à fait tangentielle ». En effet, « ce que les
victimes craignent de manquer en s’adressant à un débiteur potentiellement « limité », elles
cherchent à le récupérer auprès de débiteurs qui, pour l’heure, ne bénéficient pas (encore) de
ladite limitation »38
.
33
Pierre Bonassies, Chargeur et limitation de responsabilité, DMF février 2008, n°689.
34
Antoine Vialard, La limitation de responsabilité, clé de doute pour le droit maritime du 21ème
siècle, DMF 2009,
n°699.
35
CA Paris, 5
ème
Ch. Sec. A, 17 oct. 2007, n
o
05-15651, navire Alemania. Obs Bertrand Courtois et Frédéric Le Berre,
La limitation de responsabilité peut-elle être invoquée par le commissionnaire de transport ? L’affaire Alemania, DMF
2009, n°707.
36
Henri de Richemont, L’affréteur d’espace peut-il bénéficier de la limitation ?, DMF 2002, n°632.
37
Article L5121-2 du Code des transports et article 1-2 de la Convention LLMC.
38
Voir note n°33.
35
Aussi, la notion d’utilisation maritime est-elle suffisamment large et les opérateurs bénéficiaires
déjà très nombreux pour qu’on tolère plus longtemps que la limitation de responsabilité de droit
maritime couvre en plus la navigation et l’exploitation fluviales du navire. Il conviendrait fina-
lement de supprimer la limitation de responsabilité à l’égard des créances qui ne sont pas nées
de la navigation ou de l’exploitation maritime du navire, seules réputées assujetties au risque de
mer.
41. Lorsque le navire navigue au-delà du « premier obstacle à la navigation maritime »39
, obstacle
qui n’est pas infranchissable (il ne s’agit pas forcément d’un écueil, d’une entrave, mais assu-
rément d’une limite administrative qui détermine la compétence des affaires maritimes), le ris-
que de mer s’efface derrière le risque fluvial (qui à l’évidence est moindre). Dans ce cas de fi-
gure, le droit maritime devrait être écarté au profit du droit fluvial qui connaît également des ré-
gimes de responsabilité limitée. Le plus bel exemple en est la Convention de Strasbourg sur la
Limitation de responsabilité en Navigation Intérieure (CNLI), du 4 novembre 1988 qui repro-
duit à l’identique le système de la Convention LLMC. Mais ce traité, entré en vigueur le 1er
sep-
tembre 1997, n’a pas encore été ratifié par la France qui attend certainement que soit achevée sa
révision, attendue pour 2012. Il est notamment prévu que ses plafonds d’indemnisation soient
rehaussés et que son champ d’application, actuellement limité au Rhin et à la Moselle, soit éten-
du à toutes les voies navigables d’importance internationale. En revanche, la réécriture de son
article 1er
n’est pas à l’ordre du jour. Celui-ci, établissant un parallélisme parfait avec l’article 1er
de la Convention de 1976 qui concerne les propriétaires de navire, réserve la limitation de res-
ponsabilité aux propriétaires de bateaux de navigation intérieure.
42. On aurait pu espérer qu’à l’occasion de cette réforme, la distinction relative aux engins (navire
ou bateau) et l’affectation habituelle de celui-ci à telle ou telle navigation soient abandonnées au
profit d’un critère spatial : eaux marines ou fluviales. De nouveau, nous proposons une autre
version de l’article 2 de la CNLI : seraient « soumises à limitation les créances pour mort, lé-
sions corporelles, pertes ou dommages à tous biens survenus à bord du bateau [ou du navire
pendant la navigation ou l’utilisation fluviales] ou en relation directe avec [celles-ci]».
On pourra objecter que la similitude des régimes de limitation de responsabilité de droit fluvial
et maritime relativise le débat. Mais ce serait faire abstraction des montants des plafonds
39
Cf l’introduction, point n°2.
36
d’indemnisation qui diffèrent sensiblement. Tandis que ceux de la CNLI sont en passe d’être ac-
tualisés, ceux fixés par la Convention LLMC modifiée en 1996 datent de plus de quinze ans.
Toute autre est la question de savoir ce qui justifie une telle limitation de responsabilité en droit
fluvial40
. C’est à se demander si la motivation de l’intérêt général n’est pas devenue prédomi-
nante au point d’occulter le risque de mer.
40
Cécile Tournaye, La révision de la Convention sur la limitation de la responsabilité en navigation intérieure, DMF
juillet 2011, n°727.
37
Titre II : Restreindre le champ d’application de la limitation de respon-
sabilité à l’aune de l’intérêt général
Le fait que le principe de la limitation de responsabilité donne satisfaction à des intérêts privés n’est
pas nécessairement exclusif de l’intérêt général, justification contemporaine de l’institution (chapi-
tre 1).
Celle-ci devrait logiquement être écartée lorsque l’intérêt général s’estompe et que triomphent
l’individualisme ou un intérêt économique supérieur (chapitre 2).
Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère
d’intérêt général des activités maritimes.
Le principe de la réparation intégrale du préjudice ne peut souffrir d’exception que si celle-ci est
motivée par l’intérêt général (section 1), lequel se présente comme le fondement actuel et suffisant
de la limitation de responsabilité (section 2).
38
Section 1 : Atteinte au principe de la réparation intégrale, proportionnée au but d’intérêt géné-
ral poursuivi par les activités maritimes.
43. Si le législateur est particulièrement bienveillant à l’égard des opérateurs maritimes c’est qu’ils
mènent une activité d’intérêt général, dans un environnement à hauts risques. En droit positif,
toutes les dettes de responsabilité sont donc indistinctement admises à limitation. L’article
L5121-3 du Code des transports permet en effet aux personnes mentionnées à l’article L. 5121-2
de limiter leur responsabilité « envers des cocontractants ou des tiers, même s’il s’agit de
l’Etat ». Cette disposition contrarie franchement les principes qui gouvernent le droit de la res-
ponsabilité (quasi) délictuelle et contractuelle.
44. Le concept d’intérêt général est le seul à pouvoir justifier qu’il soit fait échec au principe de la
réparation intégrale, dont nous allons brièvement retracer la genèse. De l’article 1382 du Code
civil, selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige
celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », la Cour de cassation en a tiré la conclusion
suivante: « Vu l’article 1382 du Code civil. Attendu que le propre de la responsabilité civile est
de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la
victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte domma-
geable n’avait pas eu lieu »41
. Et comme tout principe général du droit visé a pris jadis la
« forme initiatique »42
d’un attendu de principe, c’est désormais au seul visa du principe de la
réparation intégrale que des arrêts de cassation retiennent que les dommages et intérêts alloués
ne peuvent ni excéder le montant du préjudice43
ni lui être inférieure44
. Le dédommagement dû
par le responsable doit donc couvrir tout le dommage (et uniquement le dommage), sans qu’il
en résulte un enrichissement ou un appauvrissement de la victime. Mais, le principe de la répa-
ration intégrale n’ayant qu’une valeur législative, le législateur français ou international (les
Conventions ayant une autorité supérieure à celle des lois) peut y apporter des restrictions justi-
fiées par l’intérêt général. C’est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision en
41
cass, civ 28 octobre 1954, Gaz. Pal. 1955 I.10.
42
Patrick Morvan, Les principes généraux du droit et la technique des visas dans les arrêts de la Cour de cassation,
Cycle de conférences Droit et technique de cassation 2005-2006, 5ème
conférence, 4 avril 2006, consultable sur le site :
www.courdecassation.fr/IMG/File/intervention_morvan.pdf
43
Civ. 1re
, 9 nov. 2004: Bull. civ. I, no
264
44
Civ. 2e
, 12 mai 2011, pourvoi n°10-17.148, Legifrance.
39
date du 6 mai 2011, relative à l’indemnisation forfaitaire des accidents et maladies profession-
nelles45
.
45. En droit de la responsabilité contractuelle, l’exigence d’une entière indemnisation découle de
l’article 1149 du Code civil : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de
la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-
après ». Ainsi, aux termes de l’article 1150, autre disposition maîtresse du Code civil, « le débi-
teur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du
contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ». Les clauses
limitatives ou élusives de responsabilité sont donc licites tant qu’elles ne contredisent pas « la
portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »46
.
Bien que le créancier n’y ait jamais consenti, la réparation de ces dommages prévisibles subit
parfois une double limitation. Par la volonté unilatérale du débiteur, les plafonds tirés de la
Convention LLMC viennent s’ajouter aux clauses stipulées au contrat ou, à défaut, aux disposi-
tions spécifiques qui le régissent de plein droit (s’il en existe). Les mécanismes de limitation
fonctionnement pourtant différemment, notamment quant aux causes d’exclusion (faute simple,
lourde, dolosive -intentionnelle-, inexcusable). Il y a donc quelque chose de choquant à ce que
le débiteur oppose a posteriori les articles L5121-1 et suivants du Code des transports alors que
les énonciations contractuelles ou particulières ont été déjà été écartées en raison de sa faute
lourde.
Ne serait-ce pas méconnaître l’article 1134 du Code civil que de superposer les limitations de
responsabilité ? Ne serait-ce pas violer la commune intention des parties, anéantir la force obli-
gatoire du contrat et surtout trahir la confiance du créancier ?
Tel avait été l’analyse de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt très critiqué en date du 31 oc-
tobre 198447
. En l’espèce, la responsabilité de l’appelant était recherchée sur le fondement du
contrat de transport de marchandises, soumis au régime impératif de la Convention du 25 août
1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement (dite Règles de La
45
CC, 6 mai 2011, n°2011-127 QPC, obs Patrick Chaumette, Du recours en faute inexcusable de l’armateur en cas
d’accident du travail maritime, DMF juillet 2011, p.623.
46
Cass, com, 29 juin 2010, pourvoi n° 09-11.841, arrêt Faurecia.
47
CA Paris, 31 octobre 1984, osb Pierre Bonassies, DMF 1985, n°668 (arrêt consultable sur la base de jurisprudence en
ligne wwww.lamyline.fr)
40
Haye), à laquelle faisait d’ailleurs référence la clause Paramount. Il a été jugé que, même si le
transporteur avait eu la qualité de propriétaire de navire, il n’aurait pas pu se prévaloir des dis-
positions de la Convention du 10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétai-
res de navires, car il ne les avait pas fait entrer dans le champ contractuel. Il en découle que les
dettes de responsabilité dont le règlement n’avait pas été contractuellement limité étaient ex-
clues du régime conventionnel et supplétif de 1957.
Dans une affaire similaire, celle du navire Alemania, le transporteur n’ayant pas non plus pré-
tendu être le propriétaire du navire, la Cour d’appel a écarté la Convention LLMC de 1976, sans
qu’on sache vraiment si a contrario elle aurait accepté le principe du cumul48
. Celui-ci n’est
pourtant pas exclu par les Règles de La Haye (article 8) et la Convention d’Athènes du 13 dé-
cembre 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (article 19)49
qui pré-
cisent ne modifier en rien les droits et obligations du transporteur tels qu’ils résultent des
conventions internationales sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. Cette
décision laisse donc pendante la question de savoir si la limitation de responsabilité ne devrait
pas être supprimée pour les dommages prévisibles et ne concerner que les dommages imprévisi-
bles.
La Convention LLMC aurait-elle pour effet d’autoriser le juge judiciaire à modifier le contrat en
raison du changement radical des circonstances qui l’entourent (spécialement la survenance
d’une catastrophe donnant brusquement naissance à une multitude de créances auxquelles le bé-
néficiaire ne peut faire front sans mettre en péril son activité) ? Certainement pas car non seu-
lement il leur est défendu de prendre en compte l’imprévision, par exemple en ajoutant ou subs-
tituant des clauses nouvelles à celles qui ont été librement négociées ; mais en plus il n’est pas
touché ici au contenu du contrat dont seuls les effets seront éventuellement modulés par le jeu
de la mise en concurrence des créanciers sur le fonds de limitation. Ainsi, une fois la constitu-
tion du fonds autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de commerce, le montant de la
créance maritime qui aura d’abord été calculé suivant les clauses limitatives de réparation, sera
payé au prorata des sommes à distribuer sur le fonds si celui-ci est insuffisant pour désintéresser
tous les créanciers.
48
Voir note 35. Obs Olivier Cachard, Le commissionnaire de transport face aux « limitations» des Conventions mariti-
mes de 1924 et de 1976, DMF 2008, n°690.
49
La Convention d’Athènes n’a pas été ratifiée par la France.
41
Ce mécanisme n’est pas sans rappeler les procédures collectives auxquelles empruntent beau-
coup l’esprit et la technique de la limitation. Sauf que d’une part, à l’occasion de la sauvegarde
(ouverte à la demande du débiteur justifiant de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmon-
ter), du redressement ou de la liquidation judiciaire (obligatoires dès la cessation des paie-
ments), il peut être réellement dérogé au principe d’intangibilité des contrats, et que d’autre part
le droit à limitation n’est pas conditionné par l’insolvabilité prévisible ou avérée du bénéficiaire.
46. La limitation de responsabilité opposée aux créanciers maritimes porte également atteinte à
leurs « droits naturels et imprescriptibles » que sont notamment l’égalité et la propriété50
. Ga-
rantits par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), ils ont leur
pendant dans de nombreux textes, au premier rang desquels la Convention de sauvegarde des
Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, ratifiée par la France en 1974.
L’article 1er de la DDHC déclare en effet que « les hommes naissent et demeurent libres et
égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Il
interdit donc toute forme de discrimination, et ce quelque soit la situation sur laquelle elle se
base, sauf exception tenant à l’intérêt général.
L’article 17 de la DDHC spécifique à l’expropriation relève de son côté que « la propriété étant
un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique,
légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemni-
té ». Il en résulte -en extrapolant- qu'une personne ne peut être privée de son droit à réparation
qu'à condition que soit respecté le juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de la
sauvegarde du droit au respect des biens (lesquels auraient par exemple subi des dégradations à
bord du navire ou en relation directe avec son exploitation).
La limitation de responsabilité porte-t-elle une atteinte disproportionnée à ces droits à valeur
constitutionnelle ? A notre avis, non car la réparation n’est pas exclue mais simplement limitée.
Bien au contraire, elle est proportionnée à l’assurabilité du risque de mer.
47. Mais comment définir cet intérêt supérieur pour lequel la limitation de responsabilité a été insti-
tuée ? La notion a évolué : initialement attachée au domaine, travaux et service publics, elle
50
Article 2. Dans l’esprit de la DDHC, il s’agit surtout de la propriété immobilière.
42
s’est considérablement élargie au point d’embrasser désormais tout ce qui peut avoir une utilité
collective. Ainsi, qu’elle accomplisse ou non une mission de service public, une activité mari-
time peut être reconnue d’utilité sociale. Il résulte en effet de la combinaison des articles L5000-
251
et L5121-352
du Code des transports que presque tous les navires sont éligibles à la limita-
tion de responsabilité, quelque soit leur affectation. En effet, répondent à la définition de navire
tous les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime et affectés soit au
commerce ou à la pêche, soit à des services publics à caractère administratif, industriel ou com-
mercial -nous mettons sciemment de côté la plaisance-.
48. Dans le domaine économique, les lois qui protègent l’intérêt général contiennent généralement
des dispositions impératives, relevant d’un ordre public de direction. Or, tel n’est pas le cas de
d’un régime de limitation supplétif de la volonté, lequel traduit plutôt un ordre public de protec-
tion qui tend à la défense d’intérêts particuliers estimés primordiaux. En est-il même question ?
Rien n’empêchent les propriétaires, armateurs, affréteurs (pour ne citer qu’eux) de renoncer par
avance, dans un contrat, à user de leur prérogative, dont ils ont la libre disposition. Ils décident
en effet, d’une manière discrétionnaire, de constituer ou non un fonds de limitation. Ce n’est
qu’une fois qu’ils ont choisi, au vu de l’ampleur des dommages, d’exercer cette faculté que les
créanciers sont assujettis à la procédure obligatoire mise en œuvre qui les privera d’une partie
de l’indemnisation à laquelle ils auraient pu légitimement prétendre. Mis à part ce troublant pa-
radoxe, il faut bien voir que personne ne conteste, dans le fond, le caractère d’intérêt général de
certaines activités maritimes.
Section 2 : L’intérêt général défendu par les activités maritimes, fondement alternatif au ris-
que de mer.
49. L’intérêt général est-il le fondement le plus solide de la limitation de responsabilité ? Le risque
de la mer pourrait être jugé insuffisant car il est aujourd’hui largement maîtrisable par un arma-
teur compétent. En revanche, le fait qu’il n’existe pas de limitation de responsabilité dans
d’autres situations périlleuses n’explique en rien, à notre avis, la remise en cause du risque de
51
Définition du navire
52
Droit à limitation opposable aux créances pour dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec la
navigation ou l’utilisation.
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Faut il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes

  • 1. Centre d’Études Supérieures delaMarine cesm.etudes@marine.defense.gouv.fr Faut-il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ? Juliette DECOLLAND Master de droit Lauréate du prix Daveluy 2011
  • 2. Faculté de Droit Faut-il supprimer la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes ? Mémoire pour le Master 2 « Droit et sécurité des activités maritimes et océaniques » Présenté par Juliette DECOLLAND Soutenu le 9 septembre 2011 Sous la direction de Monsieur Arnaud MONTAS Année 2010-2011
  • 3. 2 Les opinions exprimées dans ce mémoire sont propres à leur auteur et n’engagent pas l’Université de Nantes.
  • 4. 3 
 REMERCIEMENTS Je souhaiterais chaleureusement remercier Maître Luc Piéto, ainsi que Messieurs Arnaud Montas et Patrick Chaumette pour leurs précieux conseils. 
 
 
 

  • 5. 4 TABLE
DES
SIGLES
ET
ABRÉVIATIONS
 CA : Cour d’appel CC : Conseil constitutionnel Cass. : Cour de cassation Civ. 1ère : Cour de cassation, 1ère chambre civile Ch. Mixte : Cour de cassation, chambre mixte Com. : Cour de cassation, chambre commerciale Crim : Cour de cassation, chambre criminelle D : recueil Dalloz DMF : revue du Droit Maritime Français DTS : droit de tirage spécial JO : Journal Officiel de la République Française JCP : Juris-Classeur périodique Lebon : recueil Lebon OMI : Organisation Maritime Internationale TC : Tribunal de commerce REDE : Revue Européenne de Droit de l’Environnement RCA : Responsabilité civile et assurances RTD Civ. : Revue Trimestrielle de droit civil Soc. : Cour de cassation, chambre sociale
  • 6. 5 SOMMAIRE
 INTRODUCTION ..................................................................................................................................................6 PARTIE I : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE ............................................................................................................................................ 17 TITRE I: RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DU RISQUE MARITIME.............................................................................................................................................. 18 Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de mer couru par le navire. ............. 18 Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence de risque maritime.................... 28 TITRE II : RESTREINDRE LE CHAMP D’APPLICATION DE LA LIMITATION DE RESPONSABILITE A L’AUNE DE L’INTERET GENERAL.......................................................................................................................................... 37 Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère d’intérêt général des activités maritimes....................................................................................................................................................... 37 Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en présence d’un intérêt supérieur ou exclusif de l’intérêt général. ...................................................................................................................................... 46 PARTIE II : PARVENIR A UNE MEILLEURE REPARTITION DU RISQUE MARITIME............. 53 TITRE 1 : LE DESAVEU D’UN SYSTEME INEGALITAIRE DE LIMITATION ......................................................... 53 Chapitre 1 : Une répartition déséquilibrée du risque de mer.................................................................... 54 Chapitre 2 : Tentatives jurisprudentielles de neutralisation du système. ................................................. 58 TITRE 2 – ESQUISSE D’UNE NOUVELLE REPARTITION DU RISQUE MARITIME................................................ 63 Chapitre 1 : Assurer la responsabilité en matière de créances maritimes............................................... 63 Chapitre 2 : Refondre l’instrument de mesure de la limitation................................................................. 67 CONCLUSION GENERALE ............................................................................................................................ 71 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................................. 72 ANNEXES............................................................................................................................................................. 76 1. CONVENTION DU 19 NOVEMBRE 1976 SUR LA LIMITATION DE RESPONSABILITE EN MATIERE DE CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 77 2. PROTOCOLE MODIFICATIF DU 2 MAI 1996 ................................................................................................... 90 3. TABLEAUX COMPARATIFS DES PLAFONDS D’INDEMNISATION................................................................... 97 4. DIRECTIVE DU 23 AVRIL 2009 RELATIVE A L'ASSURANCE DES PROPRIETAIRES DE NAVIRES POUR LES CREANCES MARITIMES ...................................................................................................................................... 98 5. EXTRAITS DU CODE DES TRANSPORTS....................................................................................................... 102
  • 7. 6 Introduction 1. A Christian Lapoyade-Deschamps qui déclarait que « par principe, la réparation du préjudice économique pur est gouvernée, tout comme les autres, par la règle d'or de l'équivalence entre la réparation et le dommage »1 , Antoine Vialard s’indignait : « Tout comme les autres ??? Heureux civiliste pour qui les choses sont simples. La règle d'or du droit maritime est, bien au contraire, le principe de la responsabilité limitée du propriétaire ou de l'armateur ou de l'ex- ploitant du navire »2 . 2. Or, la responsabilité civile se définit comme l’obligation de réparer le préjudice résultant de l’inexécution d’un contrat ou de la violation du devoir général de ne causer aucun dommage à autrui par son fait personnel ou par le fait des personnes dont on répond, ou encore par le fait des choses que l’on a sous sa garde3 . Les conditions de fond de la responsabilité contractuelle ou délictuelle étant remplies, le préju- dice préalablement évalué devrait donner lieu au versement de dommages et intérêts compensa- toires, censés replacer la victime dans l’état où elle se serait trouvée si le dommage ne s’était pas produit. 3. Mais, le droit maritime français dispense l’affréteur, l’armateur, l’armateur-gérant, le proprié- taire, le capitaine, ou leurs autres préposés terrestres ou nautiques, de réparer intégralement cer- tains dommages, matériels ou corporels, survenus à l’occasion de l’utilisation d’un navire4 , et qui donnent naissance à des créances maritimes. Ce droit à limitation est en revanche écarté en présence d’une faute intentionnelle ou inexcusable de la part du bénéficiaire. 4. Si l’indemnisation est partielle, il n'en est pas de même de la responsabilité qui, dans tous les cas, reste entière. Par conséquent, au lieu de limitation de responsabilité, peut être vaudrait-il mieux parler de limitation de la réparation. Mais cet abus de langage s'avère très fréquent en 1 Christian Lapoyade-Deschamps, Revue de droit comparée, 1988, p.368. 2 Antoine Vialard, in Études à la mémoire de Christian Lapoyade-Deschamps, Presses universitaires de Bordeaux, 2003. 3 Article 1382 et suivants du Code civil 4 Article L5121-2 et suivants du Code des transports.
  • 8. 7 droit des sociétés dont certaines sont dites, précisément, à responsabilité limitée. Ainsi, malgré une possible confusion entre les notions de réparation et de responsabilité, nous avons estimé qu'il était plus commode de continuer à utiliser l'expression consacrée par l'usage. 5. Ce mécanisme particulier n’affecte pas le droit à réparation du créancier même si son quantum est plafonné à un montant exprimé en droits de tirage spéciaux (DTS). L’indemnisation peut fi- nalement être entière si le juge déchoit le débiteur de son droit à limitation en raison de sa faute intentionnelle ou inexcusable. Il s’agirait donc plus d’une obligation restreinte5 de dédommager ou encore d’une réduction de la contribution à la dette. 6. Quelle est la justification contemporaine de la limitation de réparation accordée au propriétaire de navire ? Est-il toujours pertinent de maintenir cette institution propre au droit maritime quand le droit commun (i.e. le droit terrestre) ne connaît que le principe la réparation intégrale ? 7. La difficulté pour répondre à cette question réside dans le fait que la limitation a acquis une très grande autorité pour deux raisons : une raison temporelle d’abord puisqu’elle trouve ses origines dans l’Antiquité ; une raison juridique puisqu’elle a été consacrée en droit international. Contes- ter une institution si ancienne suppose donc le déploiement d'un ensemble argumentaire relati- vement fourni. 8. Dès lors, pour savoir si cette dérogation au droit commun qui prive la victime du préjudice d’une partie des dommages et intérêts auxquels elle aurait pu prétendre se justifie toujours, il apparaît indispensable de rappeler dans un premier temps d’où elle vient et pourquoi elle a été instituée. Martine Rémond-Gouilloud écrivait à juste titre que « combattre l’archaïsme ne signi- fie pas négliger l’histoire [qui] explique les règles et leurs modulations au fil des siècles. […] On ne saborde pas une institution vieille de mille ans sans s’interroger sérieusement sur ses raisons d’être »6 . S’ensuivra l’examen du contexte dans lequel s’inscrit sa remise en cause. 5 Walter Muller, Obligation restreinte ou responsabilité limitée ?, DMF 1964, p.195. 6 Martine Rémond-Gouilloud, Droit maritime, Etudes internationales, Pédone, 1988.
  • 9. 8 9. La limitation de responsabilité prend source dans le droit romain7 : en effet, si en principe, le propriétaire de navire, l’exercitor navis, était indéfiniment tenu par les actes passés par son capi- taine, l’on notait déjà quelques exceptions. La première est tirée du droit commun : l’actio de peculio, action accordée par le préteur et di- rigée contre l’exercitor navis, limitait l'obligation de celui-ci à raison des dettes contractuelles, nées lors de l’expédition maritime, à la valeur du pécule reconnu au capitaine (l’alieni juris, fils de famille ou esclave, sous l’autorité du pater familias). La deuxième tient à l’idée qu’une chose n’est pas censée causer plus de dommages qu’elle n’a de valeur. Ainsi, par l’abandon noxal, l’exercitor navis pouvait remettre au créancier le navire et sa cargaison et éteindre par la même la dette extracontractuelle qu’il avait envers lui. A l’inverse, et c’est la troisième exception au principe, le navire faisant partie de la dot de la femme était tenu à l’abri des créanciers de son mari. 10. Bien qu’une partie de la doctrine nie toute filiation entre ces atténuations connues en droit ro- main, et le droit médiéval, de nouvelles techniques contractuelles apparaissent vers le XIè siè- cle, perpétuant l’idée d’une limitation de la responsabilité du propriétaire de navire, en marge de l’abandon du navire et du fret. On citera le contrat de commande (qui s’apparente cette fois au prêt nautique athénien8 , et qui se muera en société par commandite) par lequel des investisseurs, les commanditaires, confiaient leurs marchandises à des patrons de navire, commandités pour les revendre à desti- nation et réaliser une plus value. Ils ne risquaient ainsi que leur apport, le propriétaire du navire n’ayant pas à les rembourser en cas d’échec de l’expédition maritime. Si au contraire, elle réus- sissait, les capitalistes recevaient une part importante du gain. Mais, il s’agissait surtout, dans l’esprit des associés, de contourner l’interdiction papale de l’usure (prêt à intérêt à des taux ex- cessifs). 7 Antoine Vialard, Historique de l’organisation de la responsabilité des propriétaires de navires de mer, in La limita- tion de responsabilité des propriétaires de navires de mer, thèse, université de Bordeaux, 1969. 8 Il passera dans le droit français sous le nom de prêt à la grosse aventure, aux articles 311 et suivants du Code de commerce de 1807.
  • 10. 9 Se dessine alors progressivement la notion de fortune de mer, qui apparaît comme une univer- salité de droits et d’obligations, distincte du patrimoine personnel du propriétaire de navire, destinée à un but particulier : l'expédition maritime. Matériellement, sa reconnaissance est fa- cile puisque ses éléments sont tangibles. Les biens isolés sont le navire et ses accessoires, les marchandises embarquées ; les créances et dettes sont celles inscrites sur le journal de bord. La justification se trouve dans le fait que le capitaine est soustrait à la surveillance du propriétaire, tout à fait libre de ses décisions prises en mer et dans les ports étrangers. Ses initiatives sont donc incontrôlables. En outre, il convient d’admettre que les risques pris et les charges assu- mées par l’armateur sont démesurés, le navire, sa cargaison et son équipage pouvant se perdre en mer au cours du voyage. Mais, en contrepartie de cette responsabilité réelle, les créanciers de l'expédition ont un droit préférentiel voire exclusif sur la fortune de mer. Alors que le concept de limitation de la responsabilité a gagné toute l’Europe au XIVème siè- cle, l’ordonnance de Charles Quint promulguée en 1415 retient que le propriétaire abandonne le navire et le fret pour les délits et quasi délits du capitaine, mais reste indéfiniment obligé par les actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions. 11. Puis, selon l’Ordonnance de la marine de 1681, les propriétaires de navire sont responsables des faits du maître mais en sont déchargés par l’abandon du navire et du fret. De même, l’article 216 du Code de commerce de 1807 dispose que: « tout propriétaire de navire est civilement responsable des faits du capitaine, pour ce qui est relatif au navire et à l’expédition. La respon- sabilité cesse par l’abandon du navire et du fret ». Ce qui est certain c’est que le propriétaire est responsable pour tous les faits du capitaine, contractuels, quasi délictuels ou délictuels commis dans le cadre de ses fonctions, conformément au cinquième alinéa de l’article 1384 du Code ci- vil relatif à la responsabilité du commettant du fait de ses préposés. Une controverse surgit alors quant à la possibilité laissée au propriétaire de se libérer dans tous les cas de ses obligations par l'abandon du navire et de sa cargaison. 12. Ce régime de responsabilité, que le Code napoléonien avait reconduit, est aboli par la loi du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer. Elle restreint également la limitation aux seules dettes de responsabilité, c’est-à-dire nées de la réalisation d’un dommage, à l’exclusion des dettes contractuelles nées de l’inexécution fautive des obligations du débiteur comme la non rémunération d’une prestation (le non paiement d’une réparation effectuée sur le navire par exemple).
  • 11. 10 13. Le droit germanique avait préféré un système de limitation en valeur : les créanciers du capi- taine et de l’armateur n’avaient plus à craindre que le navire sombre et qu’ainsi leur gage soit réduit à néant par le mécanisme de l’abandon d’un navire à l’état d’épave. Le propriétaire pou- vait limiter la réparation à hauteur de la valeur du navire au début de l’expédition, estimée après l’événement qui donne lieu à responsabilité, et augmentée de la valeur du fret. En Angleterre où l’abandon en nature avait toujours été ignoré mais où la possibilité d’abandonner une somme d’argent avait été reconnue dès le XVIIIè siècle, le Merchant Ship- ping Act de 1894 opta pour la constitution d’un fonds en livres sterling, calculé proportionnel- lement au tonnage du navire. 14. En raison de la diversité des régimes de limitation de responsabilité, le besoin d’un harmonisa- tion des législations s’est fait sentir. L’œuvre du Comité maritime international a donc été d’élaborer un système renonçant à l’abandon de tradition continentale, s’inspirant largement des principes britanniques de responsabilité limitée. Trois Conventions internationales se sont succédées : la Convention de Bruxelles du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles relatives à la limitation de responsabilité des proprié- taires de navires de mer ; la Convention de Bruxelles du 10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires de mer ; la Convention de Londres du 19 novembre 1976 sur la limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (LLMC : Limitation of Liability for Maritime Claims)9 , révisée par le Protocole du 2 mai 1996. La loi française n°67-5 du 3 janvier 1967 incorpore la Convention de 1957 dans l’ordre juridi- que interne ; puis, la loi n° 84-1151 du 21 décembre 1984 qui intègre la Convention LLMC est modifiée par les lois n°86-1272 du 15 décembre 1986 et n°87-444 du 26 juin 1987. De même que la loi n°2006-789 du 15 juillet 2006 qui a ratifié le Protocole modificatif, elles sont doréna- vant codifiées dans le Code des transports par l’Ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010. C’est dire la force de la tradition, l’autorité acquise par la limitation de responsabilité, et le poids que lui a donné l’Organisation maritime internationale. Selon Georges Ripert, « cette 9 Entrée en vigueur en France le 1er décembre 1986 (Décret n°86-1371, 23 déc. 1986, JO 1er janv. 1987).
  • 12. 11 unanimité [des législations] nous avertit que nous touchons à un des principes fondamentaux du droit maritime […] C'est pourquoi on a pu dire que la limitation de responsabilité est la clé de voûte du droit maritime »10 . 15. Pour s’en affranchir, il faudra démontrer l’obsolescence de certains des fondements classiques régulièrement invoqués au soutien de la limitation érigée en institution : la soustraction du capi- taine à la surveillance de son commettant, la fortune de mer et la solidarité face au risque de mer. 16. C’est le doyen Rodière11 qui est le plus sceptique à l’idée que la limitation de responsabilité soit instituée pour éviter au propriétaire de navire d’être ruiné par la « mauvaise foi » et les « étourderies » du capitaine, justification avancée par Valin dans son commentaire de l’ordonnance sur la Marine de 1681. Il explique en premier lieu que, dans les faits, l’absence de contrôle effectif du commettant sur son préposé se retrouve dans bien d’autres situations que dans le domaine maritime. Nous ajou- terons que le développement des télécommunications présentes à bord permet au capitaine d’être en relation directe avec son commettant, de sorte qu’il n’est plus autant isolé et indépen- dant que par le passé. Ainsi, aussi éloigné de son port d’attache soit-il, le capitaine peut « se conformer aux instructions des gérants », comme le prescrit l’article L5114-37 du Code des transports. En deuxième lieu, cette argumentation serait aussi erronée en droit puisqu’elle ferait irréfraga- blement présumer une « faute de choix » du capitaine par son commettant, alors que le cin- quième alinéa de l’article 1384 du Code civil pose au contraire que le commettant endosse en- tièrement la responsabilité de ses préposés « dans les fonctions auxquelles il les a employés » et pour lesquelles ils sont censés avoir été choisis d’après leurs qualifications particulières. Si ce choix a été mal fait, alors le commettant doit en assumer seul les conséquences et ne saurait se soustraire à sa responsabilité au prétexte que son préposé présentait des compétences techni- ques et nautiques auxquelles il n’avait qu’à s’en remettre. 10 Georges Ripert, Droit maritime, tome II, n°1228 et s, Rousseau 1952. 11 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent et avenir, DMF 1973, p259.
  • 13. 12 En troisième et dernier lieu, René Rodière ne voit aucun lien entre la modalité choisie pour la limitation (à l’origine l’abandon du navire et du fret) et la méfiance du propriétaire à l’égard du capitaine. 17. Pour ces raisons, le statut du capitaine n’a jamais pu et ne pourra jamais justifier la limitation, même en contrepartie d’une jurisprudence qui facilite la reconnaissance de la responsabilité du gérant de navire pour le fait d’autrui, marquant ainsi la perte d’autonomie du droit maritime par rapport au droit commun. On en veut pour preuve la jurisprudence Lamoricière de la Première chambre civile de la Cour de cassation qui considère le capitaine comme un préposé, qualité in- compatible avec celle de gardien de navire qui revient à l’armateur. Prenant appui sur l’ancien article 3 de la loi du 3 janvier 196912 énonçant que « L'armateur répond de ses préposés terres- tres et maritimes dans les termes du droit commun » (soit l’article 1384 alinéa 5 du Code civil), cet arrêt de principe en date du 15 juin 1951 anéantit les dispositions de l’article 5 de la même loi, selon lesquelles « le capitaine est responsable de toute faute commise dans l’exercice de ses fonctions ». Depuis la consécration de l’immunité procédurale13 du préposé par l’arrêt Costedoat14 , sa res- ponsabilité ne peut être directement recherchée par la victime s’il a agit dans le cadre de ses fonctions, sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant. Dans ce cas de figure, l’impunité du préposé ne cède que devant la commission d’une faute civile in- tentionnelle ou d’une infraction pénale (qui pourrait être assimilée à une faute inexcusable)15 . L’action du créancier contre le préposé est également ouverte dans deux autres hypothèses : celle de l’abus de fonction16 , et celle où il a outrepassé les limites de sa mission, dans le cadre de ses fonctions. Le demandeur se tournera donc en général vers le commettant, vraisemblable- ment plus solvable. Quant au maître, il ne dispose d’aucune action récursoire contre le capitaine à moins qu’il se prévale d’une subrogation dans les droits de la victime, eux-mêmes circonscrits aux hypothèses susmentionnées17 . 12 Loi n°69-8 du 3 janvier 1969 relative à l’armement et aux ventes maritimes, abrogée par l’ordonnance n°2010-1307 du 28 octobre 2010. 13 Civ. 1e , 12 juill. 2007, n°06-12.624 et 06-13.790, obs Patrice Jourdain, L’immunité du préposé ne serait pas une ir- responsabilité, RTD Civ. 2008, p. 109. 14 Cass., ass. plén., 25 févr. 2000, Costedoat, RTD Civ. 2000, p. 582. 15 Civ. 2e , 21 févr. 2008, obs Laydu, Retour sur l’immunité restreinte du préposé, D 2008, p. 2125. 16 Cass, ass. plén., 19 mai 1988, Bull. civ. n°5 : exonération de la responsabilité du commettant dont le préposé a agit hors des fonctions auxquelles il était employé, sans autorisation et à des fins étrangères à ses attributions. 17 Civ. 2e , 20 déc. 2007: Bull. civ. II, no 274.
  • 14. 13 Même dans ces quatre éventualités où sa responsabilité peut encore être reconnue, on doute que le capitaine ait encore l’occasion d’invoquer la limitation de responsabilité, que repousse la faute intentionnelle ou inexcusable (sauf à considérer qu’il ne s’est pas rendu coupable d’une telle faute à l’occasion du dépassement de pouvoirs). Cette possibilité lui avait pourtant été of- ferte par la Convention LLMC de 1976, tandis que, sous l’empire de la législation antérieure18 , ce bénéfice était réservé aux seuls propriétaires de navires. En définitive, citer le capitaine et les autres préposés terrestres et nautiques (dont les membres de l’équipage) au titre des personnes qui « agissant dans l’exercice de leurs fonctions » peuvent bénéficier de la limitation, est prati- quement inutile19 . 18. René Rodière, recherchant toujours le véritable fondement de l’institution, évoque la fortune de mer, tenue à l’écart de la fortune de terre. Il explique que « si le propriétaire voyait sa respon- sabilité limitée et si la modalité de cette limitation résidait dans l’abandon du navire et du fret, c’est parce que l’armateur, à chaque nouveau voyage de son bâtiment, mettait en risque ce na- vire, comme les marchands mettaient en risque leurs cargaisons, les matelots leur vie et leurs loyers ». Ainsi, pour une expédition maritime, « chacun n’engageait qu’une partie de ses biens, soit comme limite de ses engagements envers les tiers, soit comme limite de ses pertes direc- tes »20 . Seulement, le trafic maritime s’est intensifié et fragmenté (notamment avec le tramping) si bien que le patrimoine affecté à la réparation des victimes doit se renouveler après chaque événement dommageable et non pour chacun des voyages, ceux-ci étant difficilement identifia- bles et mettant en concurrence de trop nombreux créanciers. La fortune de mer ne correspond donc plus aux structures commerciales du monde maritime actuel. A ces difficultés pratiques vient s’ajouter le fait que l’abandon en nature, permis par la Conven- tion internationale de Bruxelles de 1924, a été remplacé en 1957 par un système de limitation dégressif ne tenant même pas compte de la valeur du navire mais de son volume total intérieur, c’est-à-dire son tonnage brut exprimé en unités de jauge21 . En outre, la Convention de 1957 assimile aux propriétaires de navires les armateurs, les exploi- tants, et leurs préposés, si bien que bénéficient de la limitation des personnes qui n’engagent au- 18 Convention de 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. 19 Si ce n’est qu’il figure en tant que représentant de l’armateur et peut à ce titre être assigné. 20 Voir note 9. 21 L’article L5000-5 du Code des transport renvoie à la Convention internationale sur le jaugeage des navires, signée à Londres le 23 juin 1969, qui établit des principes et des règles uniformes relatifs à la détermination de la jauge des navi- res effectuant des voyages internationaux.
  • 15. 14 cun bien leur appartenant, à l’exception éventuellement du fret escompté. Cette tendance est ac- centuée par la Convention de 1976 qui s’affranchit totalement de la référence à la propriété du navire en parlant de limitation de responsabilité en matière de créances maritimes, dont jouis- sent désormais les assistants et les assureurs. 19. En définitive, le seul fondement classique qui ne soit pas tombé en désuétude est celui de la solidarité des Hommes face aux périls de la mer, à laquelle tient toute l’originalité du droit mari- time. La mer est un milieu dangereux et hostile, un élément naturel quelque peu imprévisible, qui ne pardonne aucune erreur humaine et ne tolère aucune défaillance technique. C’est pour- quoi le risque de mer est supporté par tous ceux qui ont un intérêt au succès de l’expédition : les armateurs d’une part et les créanciers maritimes d’autre part, dans des proportions évidemment différentes. Il n’en demeure pas moins qu’une partie du dommage causé par les premiers reste à la charge des seconds. La limitation de responsabilité n’est d’ailleurs pas la seule institution du droit maritime qui mette en œuvre la solidarité des Hommes, lesquels ont pris conscience de l’interdépendance étroite existant entre les marins et les terriens, et qui les incite à se porter mutuellement secours. Ainsi, l’assistance et le sauvetage procèdent également de cette idée et, à leur sujet, on parlera de solidarité externe, puisque celle-ci intervient entre usagers de la mer. Quant à l’avarie com- mune, elle tient à une solidarité interne en ce qu’elle unit ceux qui ont un intérêt dans l’expédition maritime. Cette solidarité, que traduit le particularisme du droit maritime et qui ne doit pas être confondue avec l’obligation in solidum, explique la survie des activités maritimes qui sont pour la plupart d’intérêt général. Sans elle, les investisseurs ne miseraient que sur des activités terrestres dont ils seraient quasiment sûrs de retirer un important profit. 20. Mais la spécificité du droit maritime a pu avoir un impact politique négatif. D’une part, la faible indemnisation allouée aux ayants droits des naufragés peut paraître injuste aux yeux de l’opinion publique qui a parfois le sentiment que la limitation de responsabilité ignore la protec- tion due aux victimes. C’est pourquoi Yves Tassel propose de « retrouver l’esprit du droit mari- time : la mise en commun du risque dans le respect des intérêts légitimes de chacun »22 . 22 Yves Tassel, Le droit maritime, un anachronisme ?, revue juridique en ligne Neptunus, 1995, vol 1-2.
  • 16. 15 D’autre part, le principe de la limitation n’a pas été toujours été accepté par l’ensemble des opé- rateurs maritimes eux-mêmes. Les chargeurs des pays en voie de développement, producteurs de matières premières, souffraient de se voir opposer la limitation de responsabilité par les transporteurs occidentaux, perçue dans les années 1960 comme un moyen de domination. Mais s’étant progressivement dotés d’une flotte commerciale, leur attitude à l’égard de la limitation a changé : ils s’y sont même montrés favorables lors de la rédaction de la Convention internatio- nale de 1976. Cette évolution « est fondamentale, eu égard au rôle essentiel qu’ils jouent au- jourd’hui dans la création des normes maritimes, à travers leur action à l’intérieur des institu- tions spécialisées de l’ONU » dont l’OMI23 . On imagine donc leur attachement à l’institution qui accompagne leur essor économique, et qu’ils sont désormais carrément réfractaires à l’idée de sa suppression. 21. Les limitations de responsabilité spécifiques, du fait de la pollution par le déversement d’hydrocarbures24 , de substances nucléaires25 ou dangereuses26 , n’échappent pas non plus à la critique : c’est l’argument de la défense de l’environnement qui est cette fois avancé lors de ca- tastrophes écologiques au premier rang desquelles les marées noires provoquées par des navires sous-normes. Il est par exemple reproché à la première de limiter la responsabilité du proprié- taire de navire au coût des mesures raisonnables de remise en état du milieu dégradé par la pol- lution27 . 22. Alors faut-il supprimer le principe même de la limitation de responsabilité en matière de créan- ces maritimes, en perte de cohérence et de légitimité ? Selon le professeur Yves Tassel, « personne ne peut le penser et personne ne le dit »28 , du moins parmi les opérateurs maritimes 23 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p 9. 24 Convention de Bruxelles sur la responsabilité pour les dommages dus à la pollution par les hydrocarbures, signée le 29 novembre 1969 (Civil Liability Convention -CLC-), entrée en vigueur le 19 juin 1975 ; Protocole modificatif du 27 novembre 1992 ; article L160-1 du Code de l’environnement ; article L5122-25 Code des transports. 25 Convention relative à la responsabilité des exploitants de navires nucléaires, signée le 25 mai 1962 à Bruxelles (pas entrée en vigueur) ; Convention du 17 décembre 1971 dans le domaine du transport maritime de matières nucléaires ; art. L5122-1 Code des transports. 26 L’entrée en vigueur de la Convention de 1996 sur la responsabilité et l’indemnisation des dommages liés au transport par mer de Substances Nocives et Potentiellement Dangereuses -SNPD- (Angl. International Convention on liability and compensation for damage in connection with the carriage of Hazardous and Noxious Substances by sea -HNS-), modi- fiée par le protocole de 2010, est attendue pour avril 2012. 27 Karine Le Couviour, « Après l’Erika, réformer d’urgence le régime international », JCP 2008, I, 126. ; Antoine Vialard, Responsabilité limitée et indemnisation illimitée en cas de pollution par hydrocarbures, in L’Europe des trans- ports, La documentation française 2005, 749 ; Elizabeth Terzic, Les alternatives à l’exclusivité du système CLC / FI- POL, REDE 1/2009, 5. 28 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.
  • 17. 16 qui la perçoivent comme la condition sine qua none de la rentabilité et de l’assurabilité de leur activité. 23. Mais, a priori réservée à ceux qui bravent le danger de se perdre en mer dans l’intérêt général, l’institution a été dévoyée. Il apparaît donc urgent d’en restreindre le champ d’application à l’aune de ces deux critères : le risque de mer et l’intérêt général (partie I). Les modalités de sa mise en œuvre trahissent également la vocation de cette institution en ce qu’elle répartit inégalement le risque maritime entre les bénéficiaires de la limitation de respon- sabilité et leurs créanciers (partie II).
  • 18. 17 Partie I : restreindre le champ d’application de la limita- tion de responsabilité La limitation de responsabilité ne se justifie pleinement que si ses bénéficiaires affrontent le risque de mer (Titre I) dans l’intérêt général (Titre II).
  • 19. 18 Titre I: restreindre le champ d’application de la limitation de res- ponsabilité à l’aune du risque maritime. La limitation de responsabilité devrait être écartée quand le risque de mer, qui justifie ce ré- gime exorbitant (chapitre 1), n’a pas pris une part déterminante dans la survenance du dommage (chapitre 2). Chapitre 1 : Une limitation de la réparation fondée sur le risque de mer couru par le navire. L’omniprésence et l’importance du risque de mer justifient toujours que la réparation des créances maritimes soit plafonnée. Il vaut donc mieux accentuer la prévention des dommages que supprimer la limitation de responsabilité (section 1) dont le bénéfice doit impérativement être réser- vé aux navires, et c’est là toute la difficulté qu’ont les juges à délimiter la notion d’engin capable d’affronter les périls de la mer (section 2).
  • 20. 19 Section 1 – Accentuer la prévention du risque maritime justifiant le maintien de la limitation de responsabilité. 1. Des différents arguments, plus ou moins périmés, que l’on a pu avancer pour justifier la limita- tion de responsabilité, on ne retiendra pour l’instant que le risque de se perdre en mer, élément naturel invariablement capricieux. 2. Le risque de mer est inhérent à la navigation maritime. L’article L5000-1 du Code des trans- ports, issu de l’ordonnance du 28 octobre 2010, en donne une conception relativement large puisqu’il considère comme maritime « la navigation de surface ou sous-marine pratiquée en mer, ainsi que celle pratiquée dans les estuaires et cours d’eau en aval du premier obstacle à la navigation des navires. La liste de ces obstacles est fixée par voie réglementaire ». Les périls de la mer guettent le navire jusque dans les estuaires, les fleuves et les rivières qu’il fréquente. Mais, au-delà de ces obstacles qui constituent les limites des affaires maritimes, il y est sous- trait. 3. Certes augmentés par de rudes conditions climatiques qui éprouvent la robustesse du navire et de son équipage, ils perdurent sur une mer d’huile. On en veut pour preuve le naufrage du Tita- nic, paquebot soit disant insubmersible dont la coque se déchira sur un iceberg, une nuit de calme plat. La mer reste un milieu dangereux par tous les temps, car elle amplifie les consé- quences des avaries et des erreurs humaines. Elle ne laisse aucune chance de survie à ceux qui s’y trouvent en détresse : si le navire s’abîme, l’Homme suit inéluctablement son triste sort. 4. Cette dernière remarque est également valable pour la navigation aérienne mais certains auteurs refusent de pousser plus loin la comparaison. René Rodière, qui insiste pour que ne soient pas minimisés le risque de mer, prétend que « les dommages causés par les aéronefs sont dus en majorité à des fautes de l’équipage ; les sinistres maritimes aux forces de la nature »1 . Cette analyse, qui témoigne d’une certaine résignation, est dépassée pour deux raisons. 5. D’une part, les évènements de mer sont moins dus à la fatalité qu’à la négligence du propriétaire ayant fourni un navire en état d’innavigabilité, qu’à la mauvaise décision prise par le capitaine, qu’à la fatigue ou à l’incompétence de l’équipage. 1 René Rodière, La limitation de responsabilité du propriétaire de navires – passé, présent, avenir -, DMF 1973.
  • 21. 20 L’ Organisation Maritime Internationale, émanation de l’Organisation des Nations Unies, l’a bien compris. C’est pourquoi elle a adopté une réglementation très fournie en matière de sécuri- té maritime. La convention STCW (International Convention on Standards of Training, Certifi- cation and Watchkiping for seafarers) sur les normes de formation des gens de mer, de déli- vrance des brevets, et de veille, signée le 7 juillet 1978 et amendée en 1995, prend en compte le facteur humain. De même, le code ISM (International Safety Management), pour la gestion de sécurité de l’exploitation du navire et la prévention de la pollution, tend à éviter ou limiter la portée des accidents en mettant en place des procédures d’urgence, des audits, des stages de remise à niveau des marins, un système de déclarations des dysfonctionnements, des inspections des navires par l’Etat du port… Ce code, intégré à la Convention SOLAS (Safety Of Life At Sea) pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, fait suite au naufrage du ferry Herald of Free Enterprise, le 6 mars 1987, à la sortie du port belge de Zeebrugge. Cette règlementation a vu le jour en 1993 et est entrée en vigueur en 1998. Bien d’autres textes internationaux ou régionaux comme les directives européennes, notamment les trois paquets Erika – Prestige, pourraient encore être cités, qui tous ont été pris en réaction à des catastrophes maritimes dont ils tirent les leçons. 6. La prise de conscience collective que l’Homme participe au moins autant que le risque de mer à la réalisation du dommage remet-elle en cause la limitation traditionnelle de responsabilité ? Tous les propriétaires et exploitants de navires méritent-ils cette protection ? 7. Ce privilège est une arme à double tranchant. D’un côté, il constitue un soutien économique indispensable à l’activité maritime. De l’autre, les armateurs, sachant qu’ils n’engagent dans l’expédition qu’une partie de leur patrimoine, se contentent de respecter les prescriptions mini- males (mais insuffisantes) de sécurité. L’affaire du navire allemand Heidberg2 aurait mis en évidence le caractère « criminogène »3 de la limitation de responsabilité, les moyens du bord et l’équipage ayant été réduits à l’extrême pour tirer un profit maximal. La multitude des traités in- ternationaux ne viseraient donc qu’à contrecarrer la perversité du système. Mais, la compensa- tion intégrale des dommages inciterait-elle vraiment les armements à investir davantage pour 2 TC Bordeaux, 23 septembre 1993 (DMF, décembre 1993, n°533), confirmé par CA Bordeaux, 31 mai 2005 (DMF, 2005, n°663, p. 839). 3 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000.
  • 22. 21 renforcer la sécurité ? On pourrait le penser puisque la sanction infligée au bénéficiaire de la li- mitation qui se rend coupable d’une faute inexcusable consiste justement à lui faire supporter la totalité des dommages et intérêts dus à la victime. Ce privilège ne serait-il pas plutôt curatif ? La limitation de responsabilité aurait des vertus thé- rapeutiques que ne possède pas la responsabilité civile. En effet, on peut d’abord considérer qu’elle encourage indirectement les efforts de ses bénéficiaires en les déchargeant d’une partie non négligeable de la dette de réparation. Elle leur permet ensuite de trouver un assureur, lequel n’accepte de couvrir le risque (à hauteur des plafonds de la limitation) que si le navire présente une certaine fiabilité. Au final, et dans l’idéal, l’économie réalisée grâce au taux préférentiel de la prime devrait être réinjectée dans des mesures concrètes de prévention du risque, remède bien plus efficace que la suppression pure et simple de la limitation de responsabilité. Celle-ci opère finalement un bon « compromis entre la [nécessaire protection] de ceux qui bravent le risque de mer et l’impératif de sécurité maritime »4 . 8. D’autre part, (et c’est la seconde raison pour laquelle nous désapprouvons la remarque du doyen Rodière, et qui est étroitement liée à la première), le risque de mer est de plus en plus prévisible et maîtrisable, bien que rien ne puisse totalement l’anéantir. Mais, anticiper les situations criti- ques permet généralement d’y faire face. De même, si les progrès techniques n’ont pas fait dis- paraître le danger, on ne peut nier que la météorologie, les télécommunications, les nouvelles méthodes de transport (comme la conteneurisation qui non seulement facilite la manutention des marchandises mais en assure également la conservation), repoussent toujours plus loin le spectre de la perdition. 9. Mais, comme toute médaille a son revers, le perfectionnement des navires, sur lesquels s’exercent les pressions de la concurrence, est accusé d’avoir fait muter le risque de mer : la technologie, le gigantisme, la vitesse et l’automatisation, comptent parmi les nouveaux facteurs d’insécurité5 . Si le nombre des accidents maritimes a chuté, il n’en demeure pas moins qu’ils sont très destructeurs. Ainsi, le risque de mer, qui menace des capitaux toujours plus importants, justifie encore et toujours le maintien de la limitation de responsabilité. 4 Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fonde- ment du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires d’Aix-Marseille (PUAM). 5 Barham Toure, L’insécurité en mer et le droit : mutation, prévention et sanction, thèse, université de Lille II, 2000.
  • 23. 22 10. Pierre angulaire du droit maritime, le risque de mer commande presque à lui seul un régime dérogatoire de responsabilité. Le fait que l’article L5132-13 du Code des transports accorde le bénéfice de la limitation à l’assistant, même lorsque celui-ci n’intervient pas depuis un navire, prouve la supériorité du risque de mer sur la considération de l’objet soumis à ce risque. On peut cependant regretter l’omission de ce bénéficiaire à l’article L5121-2 qui n’opère pas non plus de renvoi à l’article L5132-12 réglant sa responsabilité, et que l’objet auquel se rapporte la limitation ne soit pas clairement déterminé. Section 2 – Redéfinir l’objet soumis au risque de mer - l’engin éligible au statut de navire. 11. La limitation de responsabilité se rapporte aux dommages survenus à bord du navire ou « en relation directe avec la navigation ou l’utilisation de celui-ci», ainsi qu’aux « mesures prises afin de prévenir ou réduire ces dommages » et aux « dommages causés par ces mesures » (arti- cle L5121-3 du Code des transports). 12. Or, « il est patent que le droit des transports avait jusqu’à présent éludé la question de l’identification juridique de l’engin de transport. Le cas du navire est à cet égard remarquable puisqu’il jouit d’un statut juridique particulièrement riche identifiant ses éléments d’individualisation, lui conférant la nationalité et déterminant les droits réels et le régime de responsabilité exorbitant du droit commun qui lui sont attachés, sans bénéficier d’une définition générique6 (…). Inversant la situation actuelle qui, selon la démarche adoptée par les conventions internationales maritimes, propose une définition circonstancielle du navire étroitement conditionnée aux caractéristiques techniques ou aux conditions de navigation ciblées par chaque texte, une définition de portée générale est proposée en introduction à la partie relative à la navigation et au transport maritimes [du Code des transports], qu’il convient de restreindre au cas par cas »7 . 6 Loi n° 67-5 du 3 janvier 1967 relative au statut des navires et autres bâtiments de mer 7 Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 portant création de la partie législative du Code des transports, publié au Journal officiel de la République française n°0255 du 3 novembre 2010.
  • 24. 23 13. Ainsi, en vertu de l’article L5000-2 du Code des transports et « sauf dispositions contrai- res, sont dénommés navires tout engin flottant, construit et équipé pour la navigation maritime de commerce, de pêche ou de plaisance et affecté à celle-ci, […] ou affectés à des services pu- blics à caractère administratif ou industriel et commercial ». Indubitablement, la limitation de responsabilité peut donc se rattacher à tous types de navires, quelque soit leur affectation, si ce ne sont les navires de guerre français ou étrangers. 14. Certains auteurs regrettent cependant que cette définition du navire, qui n’est pas impérative, « crée des doutes » sur ce qu’il convient d’entendre par le terme d’ « engin »8 . Alors qu’elle donnait son avis sur le projet de loi de codification du droit des transports, l’Association Fran- çaise du Droit Maritime déplorait que ne soit pas repris le critère jurisprudentiel d’ « engin ca- pable d’affronter les périls de la mer ». Ainsi, jugeant l’article L5000-2 du Code des transports trop descriptif, elle soulignait que des engins, comme certaines barges, peuvent avoir été cons- truits et équipés pour naviguer mais pas pour résister à l’assaut des vagues et des vents, la capa- cité à les affronter tenant à l’autonomie (la voile ou le moteur)9 . Mais, on peut objecter que les barges qui ne peuvent se déplacer seules, ne sont justement pas armées pour la navigation mari- time. 15. Ainsi, le gabarit, la hauteur du franc-bord, la résistance aux forces naturelles et la propulsion comme gage d’autonomie, sont autant d’éléments à prendre en compte dans la définition du na- vire. Dans un arrêt du 12 septembre 1991, il a d’ailleurs paru évident pour la Cour d’appel de Caen de refuser la qualité de navire à un canot pneumatique (de type Zodiac) et par conséquent de l’exclure du champ d’application de la limitation de responsabilité au motif qu’étant « une embarcation frêle, construite en matériau léger », elle « n’est pas conçue pour effectuer des ex- péditions maritimes », et que « son rayon d’action est nécessairement limité en raison de l’impossibilité de stocker du carburant à bord »10 . 16. En réalité, l’aptitude permanente de l’engin à surmonter les périls de la mer est contenue dans la définition légale, consolidant ainsi la jurisprudence : naviguer c’est s’exposer aux aléas de la mer et cette navigation maritime nécessite une construction et un équipement adéquats. Ainsi, la 8 Stéphane Miribel, La codification du droit des transports dans le domaine maritime : les modifications introduites par la codification sont-elles opportunes ?, compte-rendu de l’assemblée générale du 27 janvier 2011 de l’Association du Droit Maritime (AFDM), DMF 2011, n°722, février 2011, p.182. 9 Communiqué de l’Association Française du Droit Maritime, DMF 2011, n°723 10 CA Caen, 3ème ch, section civile, n°1250-89, site Internet Lamyline ; Cass., com., 6 décembre 1976, n° n°75-12.057, canot Poupin sport.
  • 25. 24 description apparemment lacunaire du navire n’autorise pas les juges du fond à s’affranchir de ce critère fondamental dont ils ont la libre interprétation. Mais cette précision, qui ne repose pourtant pas sur des données techniques objectives, aurait toutefois permis de lever toute ambi- guïté quand aux conditions d’application de la limitation de responsabilité. 17. On dit également la jurisprudence hésitante quant à la détermination du statut de certaines em- barcations de plaisance telles que les planches à voile, kite surf, pédalos, avirons, canoës, kayaks, scooter des mers, … tantôt considérés comme de simples flotteurs ou véhicules nauti- ques à moteur, tantôt érigés au rang de navire. La première interprétation est fréquemment donnée lorsqu’un baigneur a été blessé. D’une part, la planche à voile, qui illustrera notre propos, évolue généralement à proximité immédiate du ri- vage. D’autre part, il ne peut être porté atteinte aux droits des tiers à l’activité maritime qu’au profit de l’intérêt général qui, en l’occurrence, n’est pas défendu. Le véliplanchiste est donc propriétaire d’un engin de plage et ne peut bénéficier de la limitation de responsabilité. Dans la seconde hypothèse où elle vient à heurter un navire, elle emprunte la qualité et le ré- gime juridiques de celui-ci : elle se verra donc appliquer les règles spécifiques et favorables de l’abordage11 , puis la limitation de responsabilité. Fléchissant la rigueur du droit maritime, les magistrats ont le souci de mettre les propriétaires à égalité. On ne peut reprocher à cette juris- prudence humanitaire de classer l’engin en fonction du régime juridique qui en découlera et de l’opportunité de la solution, tant que la limitation de responsabilité joue entre participants à « l’aventure » maritime. 18. Mais, si le raisonnement suivi devait s’éloigner de ce schéma et le contentieux se multiplier, il serait bienvenu que le législateur règle définitivement le sort de ces engins à la structure lé- gère en allant dans le sens de la suppression de la limitation de responsabilité à leur égard. La limitation de responsabilité n’a pas été initialement pensée pour ce type d’engins mais pour des navires de transport de marchandises ou des navires de pêche. Autrement dit, elle a peut-être été inconsidérément étendue à diverses embarcations auxquelles elle n’était pas destinée. Ainsi, pour reprendre les propos d’Yves Tassel, le « sentiment d’insatisfaction » face à ces règles 11 La responsabilité pour abordage a pour fondement la faute prouvée -loi du 7 juill. 1967 relative aux événements de mer- et non le fait des choses que l'on a sous sa garde - art. 1384, al. 1er C.civ.- (Com, 5 oct. 2010: Dalloz actualité, 19 oct. 2010, obs. Delpech)
  • 26. 25 exorbitantes vient, entre autres, des excès que leur application a pu entraîner. « Une définition trop large des concepts qui déterminent leur champ d’application pervertit l’institution pour- tant justifiée »12 . 19. La même interrogation se pose au sujet des aéroglisseurs, véhicule amphibie à portance aérosta- tique (sur coussin d’air) et à propulsion aérienne (assurée par des hélices). Mis à l’écart de la limitation de responsabilité par la Convention de 197613 , la France n’a pas usé de la possibilité offerte aux Etats signataires d’adopter la solution contraire. Ainsi, dans le silence du Code des transports, la qualification de ce genre d’engins en navires, alors qu’ils ne sont pas en contact avec l’eau, n’est pas forcément exclue. Ils figurent en effet au titre des navires à sustentation, à l’article 240-1.02 annexé à l’Arrêté du 11 mars 200814 modifiant celui du 23 novembre 1987 re- latif à la sécurité des navires. Surtout, leur qualité de navire a déjà été reconnue par le Conseil d’Etat dans un arrêt Hoverlloyd du 19 décembre 1979, rendant possible l’extension de la limita- tion de responsabilité à leur encontre. 20. Ces fluctuations autour de la première condition de fond de la limitation de la responsabilité (l’existence d’un navire) est source d’insécurité juridique. L’indétermination de l’objet auquel elle se rapporte affaiblit considérablement la limitation traditionnelle de responsabilité, comme le droit maritime dans son ensemble, qui apparaît aujourd’hui comme « le droit des contradic- tions »15 . 21. Enfin, dernière incertitude que l’on relèvera, comment articuler la législation française avec le droit international ? Faut-il comprendre, au terme d’une interprétation fastidieuse16 , que seules les dettes extracontractuelles envers des personnes de droit privé qui ont « renfloué, enlevé, dé- truit ou rendu inoffensif un navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné, y compris tout ce qui se trouve ou s’est trouvé à bord »17 sont limitées ? Créances extracontractuelles d’abord car, l’article 2 de la Convention de 1976 admet à limita- tion les seules créances qui ne constituent pas la rémunération d’un contrat conclu avec le res- 12 Yves Tassel, La spécificité du droit maritime, allocution à l’Académie de Marine, le 6 décembre 2000. 13 Article 15 de la Convention LLMC de 1976. 14 L’arrêté du 11 mars 2008 a été publié au Journal officiel de la République française du 8 avril 2008. 15 Yves Tassel, Le droit maritime – Un anachronisme ?, Revue juridique Neptunus. 16 Cette interprétation de la Convention soulève le problème tout aussi épineux de son applicabilité (est-elle d’effet direct ?) et invocabilité par les sujets de droit interne que sont les particuliers. 17 Article L5121-4 du Code des transports
  • 27. 26 ponsable, disposition que ne reprend pas le droit interne. Mais, cette hypothèse est théorique car, en pratique, ces interventions donnent toujours lieu à la conclusion d’un contrat. Personnes privées ensuite car, cette fois, la loi française est encore plus réductrice que la Convention en ce qu’elle exclut expressément les créances dont sont titulaires l’Etat et les autres personnes morales de droit public qui seraient intervenus, « au lieu et place du propriétaire »18 . Or, c’est l’hypothèse la plus fréquente. Au vu de ces deux restrictions, on s’aperçoit que, de fait, ces créances particulières ne subiront généralement pas la limitation. 22. Cependant, ne faudrait-il pas supprimer le principe de la limitation de responsabilité à l’égard de ces créances d’extraction et de destruction des navires ? En effet, un « navire coulé, naufragé, échoué ou abandonné » ne serait-il pas plutôt une épave ? En réalité, la règle ne recouvre pas to- talement la notion d’épave, statut qui résulte de « la non-flottabilité, de l’absence d’équipage à bord et de l’inexistence de mesures de garde et de manœuvre » (article L5142-1 du Code des transports). Or, ces conditions qui sont cumulatives doivent ici s’apprécier dans le temps. A no- tre avis, la mauvaise posture dans laquelle se trouve l’engin doit être définitive, ce qui ne peut être évalué sur le moment. En effet, un navire naufragé, coulé, échoué ou abandonné mais qui peut être renfloué pourra éventuellement flotter à nouveau. Et même s’il devait être détruit, rien ne dit qu’il ne pouvait pas encore flotter. Par conséquent, quel régime juridique appliquer ? L’état de l’engin révèle-t-il son inaptitude à affronter le risque de mer d’une manière perma- nente et continue ? Non, car la mer a pu avoir raison du navire alors que celui-ci était équipé pour la navigation maritime. En définitive, le terme de « navire » paraît adéquat et « devrait in- citer les juges à assimiler l’épave de navire à un navire »19 , de sorte que la limitation de respon- sabilité demeure justifiée pour ce genre de créances maritimes, maladroitement baptisées par la doctrine de « créances de travaux sur épaves ». 23. En outre, pourquoi le système de la limitation inclut-il ces créances qui a priori ne correspon- dent pas à des dettes de responsabilité (nées de la réalisation d’un dommage) ? Se poser cette question, c’est perdre de vue que la limitation de responsabilité concerne également les « mesures prises en vue de prévenir » les dommages « en relation directe avec la navigation ou l’utilisation du navire »20 . Or, si le navire naufragé venait à être considéré comme une épave et 18 La réserve émise par la France, lors de la ratification de la Convention LLMC, a valeur de déclaration unilatérale et non de simple déclaration d’intention (Civ 1ère , 11 juillet 2006, n°20-389, navire Jerba, Bull. 2006 I N° 378 p. 325). 19 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, p.271, §416. 20 article L5121-3 du Code des transports
  • 28. 27 présentait un danger pour la navigation, la pêche, l’environnement, l’accès ou le séjour dans un port, l’obligation de procéder à son enlèvement ou à sa destruction incomberait à son proprié- taire21 . 24. Enfin, bien que les dommages causés par les épaves (lesquelles ont irrémédiablement cessé d’être un navire) relèvent en principe des articles 1382 et suivants du Code civil, il pourrait exis- ter un « lien de causalité suffisant » entre le dommage et l’exploitation du navire pour que la li- mitation de responsabilité puisse être étendue « aux accidents causés par une épave dans les heures qui suivent le naufrage d’un navire »22 . Cette extension serait fondée sur le premier ali- néa de l’article L5121-3 du Code des transports qui exige que les préjudices soient « en relation directe avec la navigation ou l’utilisation du navire ». 25. D’une manière générale, la logique de la solidarité des Hommes face aux périls de la mer veut que l’activité maritime soit soutenue jusqu’au bout, surtout lorsqu’elle trouve sa limite : le nau- frage du navire. Mais, lorsque, en revanche, le risque de mer a disparu, la persistance du droit à limitation se justifie plus difficilement. 21 article 5 du décret n°61-1547 du 26 décembre 1961. 22 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, §413, p. 270.
  • 29. 28 Chapitre 2 : Persistance injustifiée du droit à limitation en l’absence de risque maritime. La considération du danger induite par la navigation maritime ne gouverne plus la mise en œuvre de la limitation de responsabilité. Celle-ci devrait pourtant être exclue lorsque le risque de mer n’a pas pris une part déterminante dans la survenance du dommage mais qu’il a été occulté par le comportement fautif du bénéficiaire (section 1). De la même manière, la limitation de responsabilité devrait être circonscrite aux créances nées de l’utilisation purement maritime du navire (section 2). Section 1 - Le risque de mer ignoré : la faute du bénéficiaire comme cause exclusive du dom- mage. 26. « En droit maritime, la responsabilité doit être appréhendée sous le prisme particulier du ris- que de mer, qui par son action causale, vient modifier la perception juridique d’un événe- ment »23 . On démontrera pourtant que telle n’est pas tout à fait la réalité. La justification doctri- nale de la limitation de responsabilité ne serait-il pas qu’un mensonge ? Le risque de mer n’entre en jeu qu’au stade de la réparation (qui est plafonnée) quand on aurait pu s’attendre à ce qu’il joue un rôle causal au stade de la détermination de la responsabilité. Notre démonstration commande inévitablement de revenir sur les conditions de la responsabilité. 27. L’omniprésence des risques de la mer n’exonère pas le propriétaire de navire de sa responsabili- té, à moins qu’ils présentent les traits de la force majeure (imprévisibilité, irrésistibilité et extériorité) et occasionnent directement le dommage. Le cas échéant, l’exonération ne peut être que totale et non plus partielle comme le permettait la jurisprudence Lamoricière (la responsabilité du gardien du fait des choses étant édulcorée par le cyclone qui avait mené le navire à sa perte). Arnaud Montas et Yohann Ortiz de Zarate observent que « si l’on considérait exagérément le “fait de la mer” comme revêtant en toute hypothèse les caractéristiques de la force majeure, il y aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la23 Arnaud Montas et Y. Ortiz de Zarate, La force créatrice de droit du fait de la nature - Le risque de mer, fondement du droit maritime -, Revue de la Recherche juridique (RRJ / Droit prospectif) 2010/1, Presses Universitaires d’Aix- Marseille (PUAM).
  • 30. 29 aurait alors une absorption maritime totale de la causalité du dommage : la mer produirait son effet exonératoire »24 . C’est pourquoi la jurisprudence exige que les circonstances naturelles qui s’interposent entre le fait générateur et le préjudice rompent irrésistiblement le lien de causalité qui les unissait. Dans un arrêt inédit, en date du 2 avril 2009, la deuxième chambre civile de la Cour de cassation a ainsi décidé, dans une espèce où une barge amarrée s’était détachée et avait heurté un ponton sous l’effet d’une tempête, que celle-ci ayant été annoncée par Météo France, la condition d’imprévisibilité constitutive de la force majeure n’était pas caractérisée. 28. Si la responsabilité de l’armateur est donc engagée et sa dette de réparation limitée, c’est que le sinistre maritime n’est pas dû « aux forces de la nature » comme le soutenait le doyen Ro- dière25 , mais bien à la faute personnelle du bénéficiaire ou au fait du navire qu’il a sous sa garde (le navire jouant alors un rôle instrumental)26 . Ainsi, hormis l’hypothèse extrêmement rare où les tribunaux reconnaissent le cas fortuit, la responsabilité de l’armateur reste entière. Elle ne pourrait pas non plus être partagée entre les co-auteurs que seraient d’une part les phénomènes naturels ou anonymes, notion abstraite et intangible, et d’autre part le bénéficiaire. 29. Le risque de mer, qui trouble les rapports de causalité, n’apparaît finalement que comme la cause aggravante du dommage, en ce qu’elle accentue les défaillances humaines et techniques. Ce concept que nous introduisons ici et qui n’a aucune existence juridique, ne doit pas être confondu avec les circonstances aggravantes qui ajoutent à la gravité d’une faute pénale. En re- vanche, ses effets emprunteraient aux circonstances atténuantes qui entraînent une modulation de la peine dans le sens de la clémence et qui ne diminuent en rien la valeur du fait générateur 24 Arnaud Montas, Droit maritime et force majeure, DMF 2009, n°709, observations sous l’arrêt Cass, civ 2ème , 2 avril 2009, inédit. 25 Cf nos observations au paragraphe n°8, et la note attachée. 26 Pour contourner les clauses limitatives du contrat de transport de passagers, les ayant droits des victimes d’un nau- frage ont invoqué la responsabilité du fait des choses de l'art 1384 al 1er du Cciv à l’encontre de l’armateur. La Haute juridiction a accepté: arrêt Lamoricière du 18 juin 1951. Aujourd’hui, une telle action dirigée contre le transporteur (également propriétaire du navire ou affréteur) ne serait plus recevable depuis que l'article 32 de la loi de 1966 repris à l’article L5422-18 al 3 du Code des transports) dispose que “quelque soit son fondement, l'action en resp contre le transporteur à raison de pertes ou de dommages ne peut être exercée que dans les conditions et limites fixées à la pré- sente section". Au final, le jeu de l'article 1384 al 1er est très rare dans la mesure où la responsabilité du fait du navire est souvent liée à l'abordage. Les situations où il s'applique encore sont les suivantes : collision avec autre chose qu'un navire (ouvrage terrestre) ; dommages causés par la vague d'étrave d'un navire faisant route à grande vitesse (civ 2, 10 juin 2004) ; dommages subis par les personnes à bord non liées contractuellement (transport bénévole par ex; civ 2, 5 mars 1965) ; dommages subis par les tiers (chute d'une pièce du navire par exemple).
  • 31. 30 mais en réduisent la portée (en effet, la prise en compte des évènements qui entourent la com- mission d’une infraction ne la disqualifient pas pour autant)27 . 30. La théorie de l’équivalence des conditions (dont toutes sont censées être la cause du dommage), n’est ici pas pertinente. C’est la théorie de la causalité adéquate qui expliquerait le mieux que le fait de l’Homme ou de la chose gardée soit l’unique source de la responsabilité : tous les évè- nements concourant au dommage étant d’une importance inégale, il faut n’en retenir qu’un seul. Autour de lui gravitent des éléments fortuits, comme les périls de la mer. La gravité de la faute qui constitue la cause efficiente rendant à elle seule le dommage probable, et qui est mesurée à l’aune des standards sociaux ou professionnels, n’a pas d’incidence sur la détermination de la responsabilité. En bref, la faute, quelque soit sa gravité, génère la responsabilité de son auteur (article 1382 du Code civil), à l’exclusion du risque de mer qui, bien qu’ayant contribué au dommage, n’en est pas la cause juridique (sauf force majeure). La gravité de cette faute affecte- ra cependant le quantum de la réparation : celle-ci ne sera intégrale que si le bénéficiaire a été déchu de son droit à limitation en raison de sa faute intentionnelle ou inexcusable. 31. La considération du risque de mer justifie-t-elle alors toujours la limitation de la réparation ? La Chambre commerciale de la Cour de cassation répond par la négative dans un arrêt Melissa en date du 18 novembre 198028 . En l’espèce, en raison d’une erreur commise dans la manipulation d’une vanne pendant le déchargement, de l’huile avait été souillée par du suif transporté simul- tanément. Le capitaine dont la responsabilité a été recherchée tant à titre personnel qu’à titre de représentant de l’armateur, a sollicité la limitation de responsabilité prévue par la Convention de Bruxelles de 1957. La Cour d’appel de Rouen a rejeté sa prétention le 3 mai 1977, considérant que l’avarie dont réparation est demandée n’a pas été causée ou aggravée par un risque de mer dès lors que la navigation du Melissa avait pris fin lorsqu’elle s’est produite. La Cour de cassa- tion casse la décision des juges du fond au motif que la faculté pour l’armateur et le capitaine de limiter leur responsabilité n’étant pas subordonnée à l’exigence d’un risque de mer, ils ont violé le texte susvisé par refus d’application. Aux dires de l’article premier de la Convention de 1957, il suffit en effet que le dommage aux biens et aux personnes soit survenu à bord du navire, ou qu’il ait été provoqué par une personne depuis le navire et qu’il se rapporte à l’administration, 27 A priori, nous ne sommes donc pas d’accord avec l’idée de « faute atténuée » du propriétaire de navire, évoquée par Georges Ripert, Droit maritime, Tome II, 1952, Paris, p.144. 28 Cass, com, 18 novembre 1980, pourvoi n°77-13.205, Bull. civ. IV, n°382.
  • 32. 31 au transport, au chargement/déchargement de la cargaison, ou à l’embarquement/débarquement des passagers. 32. La jurisprudence précitée est très respectueuse de la lettre du texte, mais l’est-elle de son esprit ? Pour la Cour d’appel de Rouen, la navigation ayant cessé, le risque de mer avait disparu. C’est dire implicitement que toutes les utilisations du navire ne l’exposent pas aux périls de la mer, a fortiori lorsqu’il est à quai. Faut-il supprimer la limitation de responsabilité quand le fait de la mer ne s’est pas ajouté à la faute ou à la négligence du bénéficiaire, et qui deviennent alors la cause exclusive du dommage en fait et en droit ? 33. Tel n’a pas été l’opinion du Comité Maritime International lors de l’adoption de la Convention de 1976 qui reconduit le schéma de la Convention de 1957. Restent en effet couvertes par la li- mitation de responsabilité les créances pour dommages « survenus à bord du navire ou en rela- tion directe avec l’exploitation de celui-ci » (Conv. LLMC, art. 2 ; Code des transports, art. L5121-3). Part-on du postulat que toutes les opérations menées depuis le navire sont soumises aux aléas de la mer ? Il ne serait donc pas nécessaire de rapporter la preuve de la concomitance du risque de mer, irréfragablement présumée. 34. De même, dans l’affaire Melissa, la Cour de cassation élude la question de savoir si les dangers de la mer guettaient vraiment le navire lorsque le capitaine a commis une erreur de manipulation de la vanne et souillé l’huile par du suif. Elle évite donc soigneusement de définir ces périls. Nous n’approuvons pas la manière dont est rédigée la motivation de la Chambre commerciale car elle laisse penser que le risque de mer n’interfère en rien dans la détermination de la respon- sabilité. Mais, il faut avouer que l’interprétation stricte du texte débouche au fond sur une solu- tion pragmatique. Celle-ci permet en effet une application quasi-automatique de la limitation de responsabilité, épurée de toute considération subjective relative à la simultanéité du risque de mer, comme le lui impose la Convention internationale. Tout compte fait, la jurisprudence res- pecte à la fois la lettre et l’esprit de la Convention internationale que nous accusons ouvertement de dévoyer l’institution traditionnelle de limitation de responsabilité. 35. Pour que le régime de la limitation de responsabilité retrouve sa raison d’être et sa légitimité, de deux choses l’une :  soit on fait de la coexistence du risque de mer un élément de la qualification de la créance maritime ;
  • 33. 32  soit on précise que l’utilisation du navire, au cours de laquelle s’est produit l’accident, est pu- rement maritime. C’est cette dernière solution qui nous semble la meilleure (la plus simple) et que nous allons désormais développer. Section 2 : Supprimer la limitation de responsabilité relative aux créances qui ne sont pas nées de l’utilisation purement maritime du navire 36. Comme le rappelle Martin Ndendé, « les créances sont maritimes par le lieu de survenance du dommage -à bord du navire- ou par la relation de causalité existant entre le dommage et l’exploitation du navire. Pour autant, le caractère maritime de la créance n’est pas lié au risque de mer »29 , ce que nous regrettions déjà à la section précédente. Le recentrage de la limitation de responsabilité autour de la notion de risque de mer, plutôt que de celle d’exploitation, est à notre avis souhaitable. 37. L’article L5121-3 du Code des transports pourrait être amendé comme suit: « Les personnes mentionnées à l’article L. 5121-2 peuvent limiter leur responsabilité envers des cocontractants ou des tiers, même s’il s’agit de l’Etat, si les dommages se sont produits à bord du navire [lors de la navigation ou de l’utilisation maritimes] ou s’ils sont en relation directe avec [celles- ci]». Cette disposition, dont nous proposons une correction, distingue entre les dommages qui se sont produits à bord du navire et ceux qui se sont produits à l’extérieur du navire. o Pour les dommages survenus à bord du navire, serait-il justifié que le débiteur oppose la limitation de responsabilité à ses créanciers alors que le navire est par exemple en répara- tion dans un chantier naval et qu’il n’a pas à craindre les périls de la mer ? A notre avis, la réponse est négative et la créance de réparation ne doit être admise à limitation que si le préjudice s’est produit lors de la navigation ou de l’utilisation maritime du navire, c’est-à- dire lorsqu’il est à flot. o S’agissant des dommages survenus à l’extérieur du navire, il semble que le caractère mari- time de la navigation et de l’utilisation doive également être spécifié. 29 Martin Ndendé, Droits maritimes, oeuvre collective sous la direction de Jean-Pierre Beurier, Dalloz Action, éd 2009- 2010, n°364.41, p.534.
  • 34. 33 Dans les deux cas, nous suggérons donc de circonscrire la limitation de responsabilité aux créances pour dommages survenus à l’occasion de la navigation ou de l’utilisation maritimes du navire. 38. La limitation de responsabilité renouerait ainsi avec son fondement (le risque de mer), tandis que pour l’instant elle est essentiellement gouvernée par son objet (le navire), quelque soit l’usage auquel on l’emploie. En effet, le droit positif, à l’instar de la loi du 3 janvier 1967, ne précise pas le type de navigation ou d’utilisation du navire, ce qui laisse la porte ouverte à une interprétation jurisprudentielle extensive, illustrée par l’arrêt Laura30 daté du 4 octobre 2005. La Chambre commerciale de la Cour de cassation confirme le jugement au motif que « l’article 58 de la loi du 3 janvier 1967, qui permet au propriétaire d’un navire de limiter sa responsabilité si les dommages sont en relation directe avec son utilisation, n’excluant pas ceux qui se sont produits à l’occasion d’une navigation fluviale, la Cour d’appel qui a retenu que le Laura, qui se livrait habituellement à la navigation maritime, devait être qualifié de navire, et qui a consta- té que les dommages avaient eu lieu tandis qu’il naviguait sur la Saône, en a déduit exactement que son propriétaire était en droit de limiter sa responsabilité ». Contrairement à ce que nous préconisons, il n’est pas tenu compte du milieu dans lequel le navire évolue, ce qui revêt son importance même quand le dommage a lieu à bord31 . 39. Le risque de mer est omniprésent lors de la navigation maritime, c’est-à-dire pendant la phase de transport. Lorsque le navire ne navigue pas mais qu’il est utilisé à d’autres fins (ce sont les autres phases de l’exploitation maritime, comme le chargement et le déchargement au port mari- time), il peut être plus difficile de caractériser le risque de mer, c’est pourquoi il doit être pré- sumé (dans un souci de simplification on choisira même une présomption irréfragable). 40. Ce n’est pas parce que l’institution est « techniquement organisée autour de la notion d’exploitation »32 que le risque de mer ne pourrait pas être intégré à la logique de la limitation de responsabilité. Tous ses bénéficiaires ne participent d’ailleurs pas à l’exploitation. Ne peu- vent être qualifiés d’exploitants les propriétaires eux-mêmes, les assureurs, les assis- tants/sauveteurs, tandis qu’ils assument le risque de mer ou s’y confrontent. Cette multiplication 30 Cass, com, 4 octobre 2005, n°02-18.201, navire Laura, Bull. civ. IV, n°189 ; DMF, hors série n°10 de juin 2006, P. Bonassies, n°45. 31 Voir aussi le cas particulier des forfaits touristiques vendus par un organisateur de voyage et comprenant un transport fluvial de passagers : CA Paris, 1er juin 2001, 25ème ch B, obs Philippe Delebecque, Quel est le droit applicable aux croisières maritimes ?, D 2002, p.1319 ; Yves Tassel, DMF juin 2002, hors-série n°6, n°106. 32 Pierre Bonassies et Christian Scapel, Traité de droit maritime, LGDJ, éd 2006, n°428, p.276.
  • 35. 34 des bénéficiaires est due à la substitution des intitulés des Conventions : la limitation de respon- sabilité des propriétaires de navires (1957) s’est muée en limitation de responsabilité en matière de créances maritimes (1976). Pourquoi les trois intérêts engagés dans l’expédition maritime (le navire, le fret et la cargaison) ne bénéficieraient-ils pas de la limitation de responsabilité ? Ne se trouvent-ils pas dans la même situation : exposés au risque de mer ? Doivent-ils subir un traitement différent en fonc- tion de l’intérêt de leur activité pour la collectivité ? Par exemple, Pierre Bonassies verrait d’un bon œil que les chargeurs33 jouissent de ce « privilège de caste »34 . De son côté, la Cour d’appel de Paris en a refusé le bénéfice à un commissionnaire pris en sa qualité de transporteur, dans un arrêt du 17 octobre 2007 (affaire Alemania)35 . La solution se comprend par le fait que ces opérateurs -ni propriétaires ni exploitants du navire- ne mettent pas en péril leur fortune de mer mais leur activité qui, du reste, n’est pas d’intérêt général. La limita- tion de responsabilité devrait être réservée à ceux qui à tout le moins contrôlent ou ont un intérêt sur le navire dans sa totalité. Quid du consignataire et des autres débiteurs terrestres ? Il est également malaisé de répondre à la question de savoir si tous les affréteurs (affréteur co- que nue, à temps ou au voyage, affréteur d’espace) ont droit à limitation36 , la Loi se contentant d’employer le terme générique d’« affréteur »37 . Antoine Vialard en vient à dénoncer « la tendance à l’extension inconsidérée des bénéficiai- res » : « De proche en proche, on voit toutes les professions qui gravitent autour du commerce maritime prétendre bénéficier à leur tour de la limitation de leur responsabilité, alors qu’elles ne tâtent du risque maritime que d’une manière tout à fait tangentielle ». En effet, « ce que les victimes craignent de manquer en s’adressant à un débiteur potentiellement « limité », elles cherchent à le récupérer auprès de débiteurs qui, pour l’heure, ne bénéficient pas (encore) de ladite limitation »38 . 33 Pierre Bonassies, Chargeur et limitation de responsabilité, DMF février 2008, n°689. 34 Antoine Vialard, La limitation de responsabilité, clé de doute pour le droit maritime du 21ème siècle, DMF 2009, n°699. 35 CA Paris, 5 ème Ch. Sec. A, 17 oct. 2007, n o 05-15651, navire Alemania. Obs Bertrand Courtois et Frédéric Le Berre, La limitation de responsabilité peut-elle être invoquée par le commissionnaire de transport ? L’affaire Alemania, DMF 2009, n°707. 36 Henri de Richemont, L’affréteur d’espace peut-il bénéficier de la limitation ?, DMF 2002, n°632. 37 Article L5121-2 du Code des transports et article 1-2 de la Convention LLMC. 38 Voir note n°33.
  • 36. 35 Aussi, la notion d’utilisation maritime est-elle suffisamment large et les opérateurs bénéficiaires déjà très nombreux pour qu’on tolère plus longtemps que la limitation de responsabilité de droit maritime couvre en plus la navigation et l’exploitation fluviales du navire. Il conviendrait fina- lement de supprimer la limitation de responsabilité à l’égard des créances qui ne sont pas nées de la navigation ou de l’exploitation maritime du navire, seules réputées assujetties au risque de mer. 41. Lorsque le navire navigue au-delà du « premier obstacle à la navigation maritime »39 , obstacle qui n’est pas infranchissable (il ne s’agit pas forcément d’un écueil, d’une entrave, mais assu- rément d’une limite administrative qui détermine la compétence des affaires maritimes), le ris- que de mer s’efface derrière le risque fluvial (qui à l’évidence est moindre). Dans ce cas de fi- gure, le droit maritime devrait être écarté au profit du droit fluvial qui connaît également des ré- gimes de responsabilité limitée. Le plus bel exemple en est la Convention de Strasbourg sur la Limitation de responsabilité en Navigation Intérieure (CNLI), du 4 novembre 1988 qui repro- duit à l’identique le système de la Convention LLMC. Mais ce traité, entré en vigueur le 1er sep- tembre 1997, n’a pas encore été ratifié par la France qui attend certainement que soit achevée sa révision, attendue pour 2012. Il est notamment prévu que ses plafonds d’indemnisation soient rehaussés et que son champ d’application, actuellement limité au Rhin et à la Moselle, soit éten- du à toutes les voies navigables d’importance internationale. En revanche, la réécriture de son article 1er n’est pas à l’ordre du jour. Celui-ci, établissant un parallélisme parfait avec l’article 1er de la Convention de 1976 qui concerne les propriétaires de navire, réserve la limitation de res- ponsabilité aux propriétaires de bateaux de navigation intérieure. 42. On aurait pu espérer qu’à l’occasion de cette réforme, la distinction relative aux engins (navire ou bateau) et l’affectation habituelle de celui-ci à telle ou telle navigation soient abandonnées au profit d’un critère spatial : eaux marines ou fluviales. De nouveau, nous proposons une autre version de l’article 2 de la CNLI : seraient « soumises à limitation les créances pour mort, lé- sions corporelles, pertes ou dommages à tous biens survenus à bord du bateau [ou du navire pendant la navigation ou l’utilisation fluviales] ou en relation directe avec [celles-ci]». On pourra objecter que la similitude des régimes de limitation de responsabilité de droit fluvial et maritime relativise le débat. Mais ce serait faire abstraction des montants des plafonds 39 Cf l’introduction, point n°2.
  • 37. 36 d’indemnisation qui diffèrent sensiblement. Tandis que ceux de la CNLI sont en passe d’être ac- tualisés, ceux fixés par la Convention LLMC modifiée en 1996 datent de plus de quinze ans. Toute autre est la question de savoir ce qui justifie une telle limitation de responsabilité en droit fluvial40 . C’est à se demander si la motivation de l’intérêt général n’est pas devenue prédomi- nante au point d’occulter le risque de mer. 40 Cécile Tournaye, La révision de la Convention sur la limitation de la responsabilité en navigation intérieure, DMF juillet 2011, n°727.
  • 38. 37 Titre II : Restreindre le champ d’application de la limitation de respon- sabilité à l’aune de l’intérêt général Le fait que le principe de la limitation de responsabilité donne satisfaction à des intérêts privés n’est pas nécessairement exclusif de l’intérêt général, justification contemporaine de l’institution (chapi- tre 1). Celle-ci devrait logiquement être écartée lorsque l’intérêt général s’estompe et que triomphent l’individualisme ou un intérêt économique supérieur (chapitre 2). Chapitre 1 : Une limitation de la réparation justifiée par le caractère d’intérêt général des activités maritimes. Le principe de la réparation intégrale du préjudice ne peut souffrir d’exception que si celle-ci est motivée par l’intérêt général (section 1), lequel se présente comme le fondement actuel et suffisant de la limitation de responsabilité (section 2).
  • 39. 38 Section 1 : Atteinte au principe de la réparation intégrale, proportionnée au but d’intérêt géné- ral poursuivi par les activités maritimes. 43. Si le législateur est particulièrement bienveillant à l’égard des opérateurs maritimes c’est qu’ils mènent une activité d’intérêt général, dans un environnement à hauts risques. En droit positif, toutes les dettes de responsabilité sont donc indistinctement admises à limitation. L’article L5121-3 du Code des transports permet en effet aux personnes mentionnées à l’article L. 5121-2 de limiter leur responsabilité « envers des cocontractants ou des tiers, même s’il s’agit de l’Etat ». Cette disposition contrarie franchement les principes qui gouvernent le droit de la res- ponsabilité (quasi) délictuelle et contractuelle. 44. Le concept d’intérêt général est le seul à pouvoir justifier qu’il soit fait échec au principe de la réparation intégrale, dont nous allons brièvement retracer la genèse. De l’article 1382 du Code civil, selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer », la Cour de cassation en a tiré la conclusion suivante: « Vu l’article 1382 du Code civil. Attendu que le propre de la responsabilité civile est de rétablir aussi exactement que possible l’équilibre détruit par le dommage et de replacer la victime, aux dépens du responsable, dans la situation où elle se serait trouvée si l’acte domma- geable n’avait pas eu lieu »41 . Et comme tout principe général du droit visé a pris jadis la « forme initiatique »42 d’un attendu de principe, c’est désormais au seul visa du principe de la réparation intégrale que des arrêts de cassation retiennent que les dommages et intérêts alloués ne peuvent ni excéder le montant du préjudice43 ni lui être inférieure44 . Le dédommagement dû par le responsable doit donc couvrir tout le dommage (et uniquement le dommage), sans qu’il en résulte un enrichissement ou un appauvrissement de la victime. Mais, le principe de la répa- ration intégrale n’ayant qu’une valeur législative, le législateur français ou international (les Conventions ayant une autorité supérieure à celle des lois) peut y apporter des restrictions justi- fiées par l’intérêt général. C’est ce qu’a rappelé le Conseil constitutionnel dans une décision en 41 cass, civ 28 octobre 1954, Gaz. Pal. 1955 I.10. 42 Patrick Morvan, Les principes généraux du droit et la technique des visas dans les arrêts de la Cour de cassation, Cycle de conférences Droit et technique de cassation 2005-2006, 5ème conférence, 4 avril 2006, consultable sur le site : www.courdecassation.fr/IMG/File/intervention_morvan.pdf 43 Civ. 1re , 9 nov. 2004: Bull. civ. I, no 264 44 Civ. 2e , 12 mai 2011, pourvoi n°10-17.148, Legifrance.
  • 40. 39 date du 6 mai 2011, relative à l’indemnisation forfaitaire des accidents et maladies profession- nelles45 . 45. En droit de la responsabilité contractuelle, l’exigence d’une entière indemnisation découle de l’article 1149 du Code civil : « Les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci- après ». Ainsi, aux termes de l’article 1150, autre disposition maîtresse du Code civil, « le débi- teur n'est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu'on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n'est point par son dol que l'obligation n'est point exécutée ». Les clauses limitatives ou élusives de responsabilité sont donc licites tant qu’elles ne contredisent pas « la portée de l’obligation essentielle souscrite par le débiteur »46 . Bien que le créancier n’y ait jamais consenti, la réparation de ces dommages prévisibles subit parfois une double limitation. Par la volonté unilatérale du débiteur, les plafonds tirés de la Convention LLMC viennent s’ajouter aux clauses stipulées au contrat ou, à défaut, aux disposi- tions spécifiques qui le régissent de plein droit (s’il en existe). Les mécanismes de limitation fonctionnement pourtant différemment, notamment quant aux causes d’exclusion (faute simple, lourde, dolosive -intentionnelle-, inexcusable). Il y a donc quelque chose de choquant à ce que le débiteur oppose a posteriori les articles L5121-1 et suivants du Code des transports alors que les énonciations contractuelles ou particulières ont été déjà été écartées en raison de sa faute lourde. Ne serait-ce pas méconnaître l’article 1134 du Code civil que de superposer les limitations de responsabilité ? Ne serait-ce pas violer la commune intention des parties, anéantir la force obli- gatoire du contrat et surtout trahir la confiance du créancier ? Tel avait été l’analyse de la Cour d’appel de Paris, dans un arrêt très critiqué en date du 31 oc- tobre 198447 . En l’espèce, la responsabilité de l’appelant était recherchée sur le fondement du contrat de transport de marchandises, soumis au régime impératif de la Convention du 25 août 1924 pour l’unification de certaines règles en matière de connaissement (dite Règles de La 45 CC, 6 mai 2011, n°2011-127 QPC, obs Patrick Chaumette, Du recours en faute inexcusable de l’armateur en cas d’accident du travail maritime, DMF juillet 2011, p.623. 46 Cass, com, 29 juin 2010, pourvoi n° 09-11.841, arrêt Faurecia. 47 CA Paris, 31 octobre 1984, osb Pierre Bonassies, DMF 1985, n°668 (arrêt consultable sur la base de jurisprudence en ligne wwww.lamyline.fr)
  • 41. 40 Haye), à laquelle faisait d’ailleurs référence la clause Paramount. Il a été jugé que, même si le transporteur avait eu la qualité de propriétaire de navire, il n’aurait pas pu se prévaloir des dis- positions de la Convention du 10 octobre 1957 sur la limitation de responsabilité des propriétai- res de navires, car il ne les avait pas fait entrer dans le champ contractuel. Il en découle que les dettes de responsabilité dont le règlement n’avait pas été contractuellement limité étaient ex- clues du régime conventionnel et supplétif de 1957. Dans une affaire similaire, celle du navire Alemania, le transporteur n’ayant pas non plus pré- tendu être le propriétaire du navire, la Cour d’appel a écarté la Convention LLMC de 1976, sans qu’on sache vraiment si a contrario elle aurait accepté le principe du cumul48 . Celui-ci n’est pourtant pas exclu par les Règles de La Haye (article 8) et la Convention d’Athènes du 13 dé- cembre 1974 relative au transport par mer de passagers et de leurs bagages (article 19)49 qui pré- cisent ne modifier en rien les droits et obligations du transporteur tels qu’ils résultent des conventions internationales sur la limitation de responsabilité des propriétaires de navires. Cette décision laisse donc pendante la question de savoir si la limitation de responsabilité ne devrait pas être supprimée pour les dommages prévisibles et ne concerner que les dommages imprévisi- bles. La Convention LLMC aurait-elle pour effet d’autoriser le juge judiciaire à modifier le contrat en raison du changement radical des circonstances qui l’entourent (spécialement la survenance d’une catastrophe donnant brusquement naissance à une multitude de créances auxquelles le bé- néficiaire ne peut faire front sans mettre en péril son activité) ? Certainement pas car non seu- lement il leur est défendu de prendre en compte l’imprévision, par exemple en ajoutant ou subs- tituant des clauses nouvelles à celles qui ont été librement négociées ; mais en plus il n’est pas touché ici au contenu du contrat dont seuls les effets seront éventuellement modulés par le jeu de la mise en concurrence des créanciers sur le fonds de limitation. Ainsi, une fois la constitu- tion du fonds autorisée par ordonnance du Président du Tribunal de commerce, le montant de la créance maritime qui aura d’abord été calculé suivant les clauses limitatives de réparation, sera payé au prorata des sommes à distribuer sur le fonds si celui-ci est insuffisant pour désintéresser tous les créanciers. 48 Voir note 35. Obs Olivier Cachard, Le commissionnaire de transport face aux « limitations» des Conventions mariti- mes de 1924 et de 1976, DMF 2008, n°690. 49 La Convention d’Athènes n’a pas été ratifiée par la France.
  • 42. 41 Ce mécanisme n’est pas sans rappeler les procédures collectives auxquelles empruntent beau- coup l’esprit et la technique de la limitation. Sauf que d’une part, à l’occasion de la sauvegarde (ouverte à la demande du débiteur justifiant de difficultés qu’il n’est pas en mesure de surmon- ter), du redressement ou de la liquidation judiciaire (obligatoires dès la cessation des paie- ments), il peut être réellement dérogé au principe d’intangibilité des contrats, et que d’autre part le droit à limitation n’est pas conditionné par l’insolvabilité prévisible ou avérée du bénéficiaire. 46. La limitation de responsabilité opposée aux créanciers maritimes porte également atteinte à leurs « droits naturels et imprescriptibles » que sont notamment l’égalité et la propriété50 . Ga- rantits par la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (DDHC), ils ont leur pendant dans de nombreux textes, au premier rang desquels la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales de 1950, ratifiée par la France en 1974. L’article 1er de la DDHC déclare en effet que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux en droits. Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l’utilité commune ». Il interdit donc toute forme de discrimination, et ce quelque soit la situation sur laquelle elle se base, sauf exception tenant à l’intérêt général. L’article 17 de la DDHC spécifique à l’expropriation relève de son côté que « la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemni- té ». Il en résulte -en extrapolant- qu'une personne ne peut être privée de son droit à réparation qu'à condition que soit respecté le juste équilibre entre l'intérêt général et les impératifs de la sauvegarde du droit au respect des biens (lesquels auraient par exemple subi des dégradations à bord du navire ou en relation directe avec son exploitation). La limitation de responsabilité porte-t-elle une atteinte disproportionnée à ces droits à valeur constitutionnelle ? A notre avis, non car la réparation n’est pas exclue mais simplement limitée. Bien au contraire, elle est proportionnée à l’assurabilité du risque de mer. 47. Mais comment définir cet intérêt supérieur pour lequel la limitation de responsabilité a été insti- tuée ? La notion a évolué : initialement attachée au domaine, travaux et service publics, elle 50 Article 2. Dans l’esprit de la DDHC, il s’agit surtout de la propriété immobilière.
  • 43. 42 s’est considérablement élargie au point d’embrasser désormais tout ce qui peut avoir une utilité collective. Ainsi, qu’elle accomplisse ou non une mission de service public, une activité mari- time peut être reconnue d’utilité sociale. Il résulte en effet de la combinaison des articles L5000- 251 et L5121-352 du Code des transports que presque tous les navires sont éligibles à la limita- tion de responsabilité, quelque soit leur affectation. En effet, répondent à la définition de navire tous les engins flottants construits et équipés pour la navigation maritime et affectés soit au commerce ou à la pêche, soit à des services publics à caractère administratif, industriel ou com- mercial -nous mettons sciemment de côté la plaisance-. 48. Dans le domaine économique, les lois qui protègent l’intérêt général contiennent généralement des dispositions impératives, relevant d’un ordre public de direction. Or, tel n’est pas le cas de d’un régime de limitation supplétif de la volonté, lequel traduit plutôt un ordre public de protec- tion qui tend à la défense d’intérêts particuliers estimés primordiaux. En est-il même question ? Rien n’empêchent les propriétaires, armateurs, affréteurs (pour ne citer qu’eux) de renoncer par avance, dans un contrat, à user de leur prérogative, dont ils ont la libre disposition. Ils décident en effet, d’une manière discrétionnaire, de constituer ou non un fonds de limitation. Ce n’est qu’une fois qu’ils ont choisi, au vu de l’ampleur des dommages, d’exercer cette faculté que les créanciers sont assujettis à la procédure obligatoire mise en œuvre qui les privera d’une partie de l’indemnisation à laquelle ils auraient pu légitimement prétendre. Mis à part ce troublant pa- radoxe, il faut bien voir que personne ne conteste, dans le fond, le caractère d’intérêt général de certaines activités maritimes. Section 2 : L’intérêt général défendu par les activités maritimes, fondement alternatif au ris- que de mer. 49. L’intérêt général est-il le fondement le plus solide de la limitation de responsabilité ? Le risque de la mer pourrait être jugé insuffisant car il est aujourd’hui largement maîtrisable par un arma- teur compétent. En revanche, le fait qu’il n’existe pas de limitation de responsabilité dans d’autres situations périlleuses n’explique en rien, à notre avis, la remise en cause du risque de 51 Définition du navire 52 Droit à limitation opposable aux créances pour dommages survenus à bord du navire ou en relation directe avec la navigation ou l’utilisation.