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CELSA – Université Paris IV Sorbonne




          École des hautes études en sciences de l'information et de la communication




                                    MASTER 2ème année
                       Section : Communication, Médias et Médiatisation
                  Option : Medias Informatisés et Stratégies de Communication




            Les Mèmes internet : de 4chan aux agences de communication


 Comment comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès, sur les réseaux et dans le
monde des professionnels de la communication, d’une expression inadéquate pour caractériser
                        les phénomènes de circulation de la culture ?



             Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard




                                       Moreau Nicolas
                  Master 2 Medias Informatisés et Stratégies de Communication
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA




                                    REMERCIEMENTS




  Avant toutes choses, on ne manquera pas de remercier ici quelques personnes sans lesquelles ce
                        Mémoire tel qu’il est n’aurait jamais pu voir le jour :




    Mr Etienne Candel, pour ses conseils avisés, et la patience dont il a fait preuve à mon égard
    Mme Juliette Darbois, pour son soutien et sa disponibilité lors de la rédaction de ce mémoire
           Mme Céline Leclaire, pour son soutien et ses messages de relances motivants
    Mr Jérôme Denis, pour ses encouragements lors du choix de la problématique de ce travail
              Mr Gaetan Duchateau, pour avoir accepté de répondre à mes questions
                  Mr Frédéric F., pour avoir accepté de répondre à mes questions
                       Ma famille, pour son aide à la relecture de ces pages


      Tous les internautes ayant pris le temps de remplir des questionnaires parfois fastidieux


Sans oublier les membres de la promotion 2010 de la filière Communication, Médias et Médiatisation
    section Medias Informatisés et Stratégies de Communication du CELSA – Paris IV Sorbonne
                            pour leurs conseils et leurs éclairages utiles




 Qu’elles soient toutes assurées que leurs contributions respectives, ont été, toutes à leurs manières
                                        vivement appréciées.




                                                                                                         2
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA




Sommaire
REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 1
INTRODUCTION ................................................................................................................................. 4
               Problématique.......................................................................................................................... 8
               Corpus et Méthodologie .......................................................................................................... 9
I/Une expression issue de la Mémétique : une vision de la communication simplifiée et évocatrice
............................................................................................................................................................... 11
   1.      Une théorisation de la communication simple et évocatrice ..................................................... 13
   2.      Un schéma de pensée séduisant, hérité de diverses disciplines scientifiques............................ 16
   3.      Une vision de la communication conceptuellement imparfaite ................................................. 20
               Une conceptualisation de départ issue d’un raccourci métaphorique .................................... 20
               Une négligence des conditions de la médiation..................................................................... 24
               Une vision porteuse d’une forme de déterminisme technique et biologique......................... 25
II/ Le Mème, un champ de représentations fonctionnant socialement ........................................... 29
   1. Le Mème internet, le fruit d’un cycle de médiations ..................................................................... 29
             Le Mème internet : un concept scientifique transposé à l’observation des phénomènes de
        transmission et de la réappropriation de la culture ........................................................................ 30
               Le Mème internet : une dynamique de braconnage culturel ................................................. 32
   2. Un schéma de pensée pouvant s'inscrire dans la mouvance du marketing viral ........................... 37
   3. Un type de savoir et de connaissance utilisable et monétisable par des acteurs économiques...... 45
III/Le Mème internet, une cristallisation d'imaginaires liés à internet .......................................... 54
   1.      Un marqueur d'appartenance et d'identité.................................................................................. 55
   2.      Le signe de l'émergence d'une culture web ............................................................................... 59
   3.      Des références non exclusivement endogènes à internet ........................................................... 62
CONCLUSION .................................................................................................................................... 64
BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 70
ANNEXES ............................................................................................................................................ 73
        Annexe 1 : Transcription des entretiens avec les professionnels .................................................. 73
        Annexe 2 : Résultats du questionnaire en ligne ............................................................................. 78
        Annexe 3 : Graphique Google Trends concernant « l’expression Internet Meme » au 25/09/2011
        ....................................................................................................................................................... 81




                                                                                                                                                                3
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


                                        INTRODUCTION



Une grande quantité de contenus aussi divers que variés sont échangés et consultés chaque seconde sur
internet. Des photographies, des films, des vidéos, des fichiers sonores et textuels, des programmes
exécutables et des animations. Tous ces échanges couvrent une infinité aussi grande de buts et de
besoins.
Par exemple, un film de famille envoyé par email dans lequel des enfants soufflent leurs premières
bougies. Un instant qu’un oncle ou un parrain aura eu le sentiment d’avoir fixé pour l’éternité dans un
fichier MP4. Ceci dans le but de revivre en partie cet instant, tout en gardant le moyen de le partager
avec des personnes alors absentes.
Ou encore une chanson de jazz quasi-oubliée, qu’un mélomane averti aura pris soin de numériser à
partir de sa précieuse collection de disques vinyles. Une chanson devenue fichier qu’il pourra partager
avec d’autres amateurs, réunis autour d’une passion pour cet artiste, cette musique, cette époque, et le
lot d’imaginaires attenant qu’elle charrie.
Au même moment, un professeur publiera un de ses supports de cours. Ceci afin de permettre aux
élèves trop lents à la prise de note, ou absents le jour du cours de bien préparer leurs examens de fin
d’année.
Pendant ce temps là, ces derniers partageront par le biais d’un réseau social, les photos d’une soirée
relevant d’un humour plus ou moins douteux afin de pouvoir les commenter abondamment.
Tous ces contenus et les usages gravitant autour des réseaux sont connus et relayés dans les médias.
Qu’ils fassent l’objet de recherches et d’études scientifiques, de reportages de journalisme ou de
publicités, ils sont à différent degrés connus d’une partie de la population.
Ils ont étés catégorisés, et définis. Ils sont décrits par une appellation parfois imparfaite, mais
permettant de les classifier et de les ranger sous un nom précis pouvant lui-même se regrouper en
différente familles et sous familles. On pourra alors assez aisément définir ce contenu, par rapport à
des caractéristiques intrinsèques à celui-ci. Celui-ci sera définissable et déclinable avec différents tons
et des niveaux de lectures tous personnels.


Néanmoins, un type de contenu échangé et partagé sur internet fait encore exception à ce principe de
classement et de catégorisation. Il s’agit des contenus faisant partie de la famille des Mèmes internet.
Ce nom provenant d’un anglicisme très récemment adopté sur la sphère francophone dispose d’une
définition floue et ténue. On pourrait décrire brièvement ce phénomène comme étant la propagation
massive et rapide d’un contenu décliné autour d’un ensemble de règles de bases implicites. Ces règles
doivent respecter une poétique spécifique de telle sorte que l’ensemble des contenus produits soient
rattachables à une expression, ou une situation de base similaire. L’évolution d’un Mème internet est

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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


une œuvre collective, ainsi portée par une multitude d’additions de la part d’internautes. Chacun
d’entre eux apportant à l’ensemble une touche créatrice différente.
Cette poétique est cruciale, car elle sert de fil rouge à la déclinaison de contenus utilisant différentes
formes et supports (texte, images, séquences d’images, vidéos, son et montages pouvant tous être
conjugués selon un spectre très large).


L’expression Mème internet est le résultat de l’adaptation au français de l’expression anglo-saxonne
« Internet Meme ». Le premier chercheur à énoncer clairement la notion de Mème ou « Meme » en
langue anglaise est le chercheur britannique Richard Dawkins. Le terme qui emploie, orthographié de
cette manière est apparu dans son ouvrage « Le Gène égoïste », paru pour la première fois en 1976. Si
c’est la première fois que l’expression Mème est publiée telle quelle, elle fait référence à la pensée et
aux travaux de différents chercheurs antérieurs mentionnant déjà des expressions similaires.
Selon Dawkins, Un Mème est « une unité de d’information contenue dans un cerveau, échangeable au
sein d’une société »1. Cette unité est censée définir alors un élément culturel reconnaissable (par
exemple : un concept, une habitude, une information, un phénomène, une attitude, une croyance, un
culte, un rite etc.), répliqué et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres
individus. Ce contenu culturel est pour lui répliquable à l’infini, tout comme une séquence de génome,
il peut être transmis et reproduit à l’identique d’un cerveau vers un autre.
Cette entité élémentaire insécable, et ses capacités à être transmise est selon lui moteur de l’évolution
des sociétés, dictant en partie leur déclin ou leur survie. Dawkins pousse au maximum la théorie de
l’évolution d’abord énoncée par Darwin. Là où Darwin voyait des succès évolutifs grâce à des
individus ou espèces s’adaptant à un environnement, Dawkins voit des succès évolutifs là où des
individus partagent et répliquent (même malgré eux) des séquences d’information fortes et
inaltérables. Elles seront capables d’aider des hôtes dont la survie est rendue plus facile grâce à ces
dernières.
Dawkins parvient par ce raccourci métaphorique à traiter la communication et toute forme de
transmission d’une information comme un mécanisme avant tout biologique. La définition du Mème,
extrêmement floue et large peut donc s’appliquer à de nombreux domaines. Dawkins utilise dans son
ouvrage de nombreuses notions et concepts très éloignés et différents. Il l’applique par exemple dans
son propre livre à la notion de divin dans la conception du monde, de célibat dans une société, d’un air
de musique populaire ou d’un style de chaussure pour femme à la mode chez différentes catégories de
population.
La largeur et l’amplitude d’interprétation permise par cette expression a mené à son succès d’usage.
Un succès si grand et amplifié suite à la sortie du livre « Le gène égoïste », qu’elle a même été ajoutée
dès 1988 au très rigoureux Oxford English Dictionnary, le dictionnaire faisant foi dans l’étendue du


1
    Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob.

                                                                                                        5
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


monde anglo-saxon. Cette multiplicité d’usages a conduit cette expression floue et imparfaite,
employée dans un livre de vulgarisation scientifique à être utilisée pour décrire les phénomènes de
transmissions de l’information sur internet. Les défauts de cette vision de la communication ont été
mis en évidences par plusieurs chercheurs.


Le raccourci que procure l’expression Mème internet a été rapidement mis à profit afin de décrire
toutes ces initiatives de braconnage et de production de contenu sur les réseaux qui n’avaient pas
véritablement de nom particulier.
Cette expression, quoi qu’inadéquate a permis de recouvrir ce que l’on appelait jusqu’alors « un
phénomène », ou encore « une sorte de grande blague globale ». L’usage de ces expressions est fait ici
sans connotation péjorative mais bel et bien dans le cadre de l’usage d’un ressort comique provenant
d’une situation inattendue, inédite, originale ou décalée. Toutefois, à cette notion de poétique
correspondant à une situation et/ou une narration précise s’ajoute une autre notion importante
définissant un Mème internet. C’est celle de la reprise massive et collective par une frange importante
d’internautes du récit de cette situation.
En effet, si les phénomènes maintenant appelés Mèmes internet ont été remarqués, c’est d’abord grâce
à cette multiplication massive et soudaine de contenus. Ces observations faites de manière empirique
sur certains sites et forums de dialogues ont éveillé la curiosité des internautes. D’abord très présents
et populaires sur le web anglo-saxon, les Mèmes internet, ainsi que leur folklore et les études s’y
rattachant (on reviendra plus tard sur les écoles de pensée de la Mémétique) ont été de plus en plus
présent sur le web francophone. Un espace disposant, lui aussi de ses Mèmes francophones riches de
leurs propres histoires.
La diffusion des Mèmes internet et son étude, qu’elle soit le fruit du travail de passionnés ou de
chercheurs ne s’est pas uniquement transmise d’une zone linguistique à l’autre.
Ce folklore, autrefois réservé à une frange d’internautes se considérant comme une élite possédant ses
propres codes et modes de fonctionnement s’est peu à peu démocratisé. L’échange autour des Mèmes
internet était auparavant limité à quelques sites, salles de chats et forums de discussion. Aujourd’hui,
ces créations spontanées et leurs dérivés ont échappé à ces tous premiers aficionados et continuent à
évoluer en se répandant sur un ensemble plus large de plateformes utilisées par des publics différents.
C'est-à-dire d’autres franges d’internautes aux codes, aux usages et aux comportements en ligne
dissemblables.
Les Mèmes internet ont quitté leurs premiers forums confidentiels et se retrouvent à présent sur
certaines plateformes de blogging et autres réseaux sociaux, autrefois épargnés par ce genre de
phénomène. Des sites internet entiers sont consacrés à la classification des Mèmes internet, selon leur
date et leur type, tout en essayant de retracer leur parcours de diffusion et leur lieu d’origine, sans pour
autant remettre en cause une seule seconde cette expression.



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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


L’étendue des usages et du folklore pouvant être regroupée sous le chapeau de cette expression
extrêmement floue a retenu l’attention d’autres acteurs. Ces derniers servant quant à eux des objectifs
différents.
Cet intérêt pour ces représentations échangées et multipliées n’a pas seulement retenu l’attention
d’individus plus ou moins isolés et de chercheurs, mais aussi de premiers acteurs économiques, prêts à
capitaliser sur ces phénomènes. Ces derniers ont vite compris la manne financière pouvant être
récoltée auprès d’internautes toujours plus friands de ces représentations, et désireux de les faire sortir
du cadre limité et contraignant de leurs écrans d’ordinateurs.
C’est la raison pour laquelle des sites de commerce en ligne vendent maintenant des produits déclinant
les différentes blagues globales nées sur internet afin de satisfaire les envies des internautes toujours
plus nombreux et sensibles à ces références. Toutefois, cette valorisation économique n’est pas
seulement une reprise directe de ces phrases ou de ces images circulant sur internet imprimées sur des
tasses ou des t-shirts.
En dehors des individus propres, des entreprises évoluent au contact des Mèmes internet et se posent
des questions sur la façon de les traiter. Un sujet qui était auparavant obscur et confidentiel est en
passe de s’établir comme un élément culturel important de nos sociétés connectées. On le voit, depuis
que certains Mèmes internet sont repris dans une logique commerciale, ou alors des références s’y
rattachant sont glissées dans des films publicitaires (Wonderful Pistachios, Volkswagen, Bouygues
Télécom,…)
Dans les campagnes mises en place par les agences de communication, les Mèmes internet sont
utilisés comme autant de clins d’œil à un public d’internautes connaisseurs et amateurs de Mèmes. Des
professionnels travaillant dans le monde du web les observent et les étudient avec hauteur de vue et
recul. Ils essayent de livrer des points de repères et des grilles de lecture afin de planifier et d’élaborer
des actions de communication sur internet en utilisant des ressorts identiques. Ce savoir et cette
connaissance accumulés permettent à présent de procurer à des agences de communication des
avantages compétitifs, qu’elles peuvent faire valoir auprès de leurs clients.
L’étude des Mèmes internet permet à présent de nourrir la réflexion tournant autour des actions de
marketing viral. Ce type de marketing, destiné à se servir des publics exposés comme relais
volontaires de communication auprès de leur cercle de connaissance n’est pas sans rappeler les thèses
de Dawkins. On verra si le monde des professionnels s’est mis à employer l’expression Mème internet
suite aux diverses appropriations constatées de ce mot. On verra aussi les enjeux de pouvoirs que
recouvre l’utilisation de l’expression par des professionnels.


L’ampleur du succès de l’expression Mème internet, toujours plus large et grandissant ainsi que ses
multiples réappropriations la chargeant de sens nouveaux interroge fatalement le communiquant.
Surtout devant l’affirmation grandissante de cette expression sortant maintenant du cadre des réseaux,
pour se répandre dans les journaux et sur les écrans de télévision.

                                                                                                           7
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


Il se trouve décidément ici des questions à poser au sujet de la diffusion et de l’appropriation d’une
expression censée caractériser les phénomènes de circulation dans la culture.


En effet, comment une telle expression, aussi récente dans l’histoire et dans la sphère linguistique
française a-t-elle pu se répandre de manière aussi large et rapide au sein de plusieurs strates différentes
de la société ? Quelles sont les raisons et les moteurs qui ont pu l’aider à se hisser aussi rapidement et
aussi fortement dans les imaginaires de centaines de milliers d’individus ? Quelle vision de la
circulation dans la culture nous procure-t-elle ? Que nous dit-elle au sujet de l’émergence d’une
culture web ? Les réponses mises au jour permettraient de mieux comprendre une vision répandue de
la transmission de la culture. Une vision disposant de forces et de faiblesses qui semble persister aussi
bien sur les réseaux que chez les professionnels de la communication.



       Problématique



Autant de questions que l’on articlera et résumera en une seule problématique :


Comment comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès, sur les réseaux et dans le monde des
professionnels de la communication, d'une expression inadéquate pour caractériser les phénomènes de
circulation dans la culture?


On répondra à cette problématique en formulant et éprouvant les trois hypothèses suivantes :


Hypothèse 1 : L’expression « Mème internet », issue de l’école de pensée Mémétique a rencontré
rapidement le succès grâce à une vision simplifiée et imagée de la communication, parlante et
compréhensible par le plus grand nombre.


Hypothèse 2 : Le Mème internet est un objet récupérable par un ensemble de différents acteurs
individuels et économiques pouvant en tirer différents bénéfices selon des stratégies différentes.


Hypothèse 3 : Le Mème internet est un signe de l’émergence d’une culture web et permet à cette
culture de s’exprimer.




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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


          Corpus et Méthodologie



Avant d’entamer le travail consacré à l’étude de la réappropriation et de la diffusion de l’expression
Mème internet, un arrêt sur le corpus des notions que le sujet recouvre est nécessaire. On exposera
aussi ici le cheminement et la méthodologie empruntée afin de mener à bien ce travail.


En premier on investiguera la notion de « Mémétique » ayant donné naissance à l’expression Mème
internet. Développée par une école de pensée défendant une vision de la communication perçue
comme une « Epidémiologie des représentations »2. Cette école de pensée conceptualise la culture
comme agissant comme une infinité de représentations infectant les individus et les sociétés comme
des virus. Le fait d’entretenir cette comparaison implique aussi celui du cycle de vie d’une
représentation à l’instar des êtres vivants. Les représentations dans ce paradigme conceptuel sont
considérées comme étant des Mèmes, des unités de savoir indivisibles3, capable d’apparaitre, de
croitre et de mourir.


On verra en quoi cette vision particulière de la culture et de la vie en société découle d’une « vision
naturaliste » de la culture et de la société. On examinera comment a pu évoluer dans le temps ce mode
de pensée ainsi que sa vision au sujet de la caractérisation des phénomènes de circulation de la culture
sur internet. L’étude de cette expression particulière et des traces de sa diffusion sera menée à bien
grâce à différentes méthodes.
La première de ces méthodes est l’étude documentaire. On analysera des sources sélectionnées les plus
fiables possibles permettant de retrouver des traces de la diffusion de cette expression. On analysera
aussi cette dernière afin d’essayer de comprendre les raisons de son succès, et les imaginaires la
constituant. Les éléments tirés de cette analyse seront utiles à la compréhension de son succès. Cette
étude comprendra en dernier lieu l’exposé des limites de cette expression. On verra alors ce qu’elle a
d’inadéquat lorsqu’on l’utilise pour décrire et observer les mécanismes de la communication.


Après avoir étudié et interrogé l’expression Mème internet, on verra comment différentes entités
actives sur les réseaux se la sont approprié. Dans le cadre d’un mémoire professionnel, on étudiera
aussi comment divers acteurs professionnels de la communication ont appréhendé et repris cette
expression à leur compte. On se basera à nouveau sur une étude documentaire enrichie d’analyses
d’écrits d’écrans pour constater cette reprise.
Ces études nous permettront de voir non seulement si l’expression a été reprise, mais également
l’usage qui est fait des références issues de ce folklore cultivé sur internet. Dans le but d’obtenir des


2
    Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob.
3
    Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob.

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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


résultats encore plus proches des réalités professionnelles, on s’est livré à des entretiens individuels
semi directifs d’une heure chacun en compagnie de professionnels de la communication sur Internet.
Ces entretiens permettront de saisir l’impact de telles théories sur leur quotidien de professionnels et
sur l’approche que agences et annonceurs peuvent développer vis-à-vis de ces dernières.


Dans un troisième et dernier temps, on verra comment cette expression peut incarner à sa façon tout un
imaginaire de la culture existant sur internet. En effet, quelque chose réside au-delà de la promesse
faite par l’usage de cette expression. On terminera par une analyse de la charge personnelle que les
internautes peuvent appliquer à cette expression.
On verra la lecture qu’ils peuvent avoir de leur usage quotidien de cette expression, ceci par le biais
d’un questionnaire à remplir en ligne proposé à un échantillonnage d’internautes familiers des Mèmes
internet. Ces éléments permettront ensuite d’ouvrir une réflexion sur le poids que peuvent avoir les
réseaux dans l’élaboration et la création de la culture.


Cette démarche ainsi que les méthodologies employées ont pour seul but de répondre au mieux à la
problématique fixée. A savoir comment mieux comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès,
d'une expression inadéquate pour caractériser les phénomènes de circulation dans la culture. La
réponse apportée s’articula trois étapes de réflexion principales.


La première étape sera consacrée à l’interrogation de l’expression Mème internet. Ceci dans le but
d’essayer de comprendre ce que son usage peut avoir d’attrayant et de séduisant pour tout un ensemble
d’acteurs.
Il s’agira lors du traitement de cette partie d’isoler les bénéfices concrets pouvant pousser différentes
entités à utiliser cette expression. Si les bénéfices perçus liés à l’usage de cette expression peuvent
justifier sa diffusion, d’autres facteurs peuvent eux aussi l’expliquer.
On examinera donc dans une seconde étape si certains de ces acteurs ont pu tirer une quelconque
forme d’intérêt du fait de relayer et de diffuser au maximum cette expression.
L’ultime étape de ce mémoire sera consacrée à l’étude des imaginaires développés par les internautes
familiers de cette expression. On tentera de déterminer de quelle manière les personnes familières de
l’expression, et l’utilisant sur les réseaux la perçoivent. Le fait de savoir de quelle manière les
internautes ont eux même chargé cette expression de sens nouveaux peut aussi fournir des
informations précieuses au sujet de la réappropriation et du succès d’une telle expression.




                                                                                                      10
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


I/Une expression issue de la Mémétique : une vision de la communication
simplifiée et évocatrice

On commencera ce travail par investiguer en détails l’expression Mème internet. On se livrera à une
lecture précise de cette expression ainsi que de l’école de pensée qui l’a engendrée. On verra les
mécanismes à l’œuvre ainsi que le cheminement intellectuel que ses créateurs ont emprunté afin d’y
aboutir.
Cette lecture attentive de la théorie Mémétique et de ses connections avec différents champs d’études
scientifiques nous permettra de mieux comprendre les origines, le sens de cette expression ainsi que la
charge des imaginaires qui y sont liés.
En effet, l’usage de ce mot n’est pas neutre. Il dénote d’une certaine vision de la communication
comportant des points forts et des points faibles favorisant ou freinant son appropriation dans la
société. En se livrant à cette lecture rigoureuse et précise, on sera en mesure de reprendre point par
point ses facteurs, afin d’être parfaitement familiarisé avec l’expression et la somme d’imaginaire
qu’elle renferme.


On commencera tout d’abord par voir comment les écoles de la Mémétique et de l’épidémiologie des
représentations abordent et théorisent les phénomènes de communication. Cette approche sera
simplement observée et non questionnée. On verra ce que renferment ces théories et on examinera ce
que leur vision de la communication a de plaisant et de séduisant. Ces éléments permettront d’avoir de
premières explications quant à leur succès d’usage.
Grace à cette toute première partie, on pourra commencer par évoquer la simplicité et la clarté de leurs
théories. Des théories dont la compréhension générale est aidée par une multitude d’analogies, de
métaphores et de comparaisons imagées et truculentes permettant à chacun de se figurer mentalement
leurs mécanismes et leur fonctionnement. Ces explications, moins austères et plus visuelles que
d’autres existant par ailleurs ont permis de toucher un public beaucoup plus large que les chercheurs,
étudiants, et autres spécialistes scientifiques. Un public large qui n’a pas été repoussé par une vision de
la circulation de la culture difficile à etudier et ardue à comprendre.
Ces parallèles et métaphores illustrant ces théories leur donnent une force évocatrice des digne des
contes et légendes. Auparavant racontés au coin du feu, ils sont maintenant communiqués dans des
salles de réunions ou sur des sites internet. On verra ce que ces théories, mettant en scène des forces
supérieures aux individus ont de simple et de facilement compréhensible par tous.
Après cette première partie de description et d’explication de cette expression, on s’attèlera à retracer
la provenance de cette dernière. On pourra voir comment cette expression a évolué dans le temps, nous
permettant d’embrasser d’un seul regard la galerie de personnages l’ayant façonné dans le temps. En
s’intéressant à leurs travaux ainsi qu’à leur pensée, on pourra voir où les théoriciens de l’école


                                                                                                        11
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Mémétique ont pu tirer leur inspirations et leurs repères afin d’ébaucher cette théorie aboutissant à la
création de cette expression.
La brève histoire de cette expression pourra nous aider à comprendre pourquoi et comment ces idées
ont peu à peu émergé. On verra que les disciplines auxquelles Dawkins à emprunté une partie de son
cheminement de pensée ainsi que sa rhétorique se situent bien loin des sciences de l’information et de
la communication.
Ces champs d’étude, auxquels il a emprunté des expressions ont eu pour lui plusieurs avantages : le
premier étant de lui fournir autant de cas et d’analogies nécessaires pour illustrer et argumenter son
propos. Le second étant de légitimer un discours emprunté à des sciences formellement connues et
étudiées sous le même nom depuis une période bien plus longue que travaux consacrés menés dans les
champs de la culture et de la communication.
On pourra citer parmi celles-ci la biologie, l’éthologie, la zoologie, l’étude comportementale
comparée. Ces pratiques anciennes résonnent avec sérieux et une impression de légitimité scientifique
dans le développement des thèses Mémétiques. Elles permettent d’éluder une grande quantité de
critiques et de nuances qui pourraient éventuellement apportées par un public plus expert en la
question. C’est la raison pour laquelle les références à des champs d’études anciens sont un facteur
supplémentaire dans l’adoption de cette expression non dénuée de défauts.


Dans le tout dernier développement de la première grande partie de ce mémoire, on s’attardera sur tous
défauts inhérents à cette théorie Mémétique. On listera point par point toutes les limites et les
reproches qu’ont pu émettre d’autres chercheurs et experts étudiant les phénomènes liés à la
communication. La mise en avant de ces limites est importante, car elle nous permettra d’alerter le
lecteur. En effet, si cette théorie revêt un aspect séduisant, clair et facile à comprendre, elle est loin
d’être parfaite.
A la vue de l’appropriation massive de cette expression, il est important de voir que ses limites et ses
imperfections n’ont pas pour autant empêché l’usage de celle-ci.
Cette mise en perspective de la théorie Mémétique permettra de voir que la validité scientifique n’est
pas un élément suffisant pour la discréditer et dissuader les internautes d’utiliser une expression. La
simplicité liée à son usage afin de décrire des mécanismes très longs et très complexes est aussi un
facteur important d’appropriation.


Le développement de ces différentes parties terminé, on verra mieux de quelle manière l’expression
Mème est parlante et facile à comprendre par le plus grand nombre.
Une simplicité et une puissance évocatrice parlant à un large public, s’appropriant facilement ce mot
au fur et à mesure du temps.
Les générations précédentes de scientifiques et leurs études ont peu à peu façonné ce mot et l’ont
chargé de différents sens, révélateurs de leur pensée et d’une certaine conception du monde. Ces

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racines visibles, même attaquables et critiquables d’un point de vue scientifique ont contribué à le
légitimer l’expression « Mème ». Au-delà de son caractère imparfait pour décrire de manière exacte ce
type de phénomène de circulation de la culture

    1. Une théorisation de la communication simple et évocatrice

Le premier scientifique à avoir utilisé l’expression Mème orthographié de cette manière est le
biologiste Richard Dawkins qui fait abondamment usage de cette expression de son usage dans son
ouvrage « Le gène égoïste »4, paru en 1976.
Dans ce livre, Dawkins donne son interprétation personnelle de l’évolution des espèces par la sélection
naturelle. Contrairement à la théorie de Darwin exposée dans « L’Ébauche de l’Origine des espèces »5,
il ne considère pas que la faculté d’adaptation des espèces à leur environnement constitue leur premier
facteur d’évolution ou de disparition impactant ces dernières.
Pour lui, seuls les gènes des individus et leur aptitude inclusive (la quantité de réplications que ces
gènes parviennent à transmettre) décident de la sélection naturelle au niveau des espèces. Il personnifie
et qualifie les gènes comme étant égoïstes car luttant pour leur propre survie, même parfois au
détriment de la vie de leur hôte. C’est cette lecture qui lui permet de donner une explication à de
phénomènes comme l’altruisme ou le sens du sacrifice. Les gènes sont à l’origine de ces décisions afin
de sauver des individus du même cadre familial, et ainsi de garantir dans l’absolu une plus large
réplication de ces gènes identiques ou similaires.


L’auteur de cette théorie, contestée et discutée dans le domaine de la biologie a aussi inventé le
concept de Mème comme une unité de l’évolution identique, mais cette fois ci culturelle. Ce Mème
fonctionnerait de la même manière, et Dawkins l’utilise comme une analogie directement calquée sur
le fonctionnement des gènes.
Ce Mème est décrit par Dawkins comme étant « une unité d’information contenue dans le cerveau,
échangeable au sein d’une société ». Selon Dawkins, cette unité de savoir, de connaissance peut être, à
l’instar des gènes répliquée à l’identique par l’apprentissage et l’imitation, mais elle peut aussi muter
et évoluer au cours du temps et par le biais innovations et de découvertes qui vont enrichir ou faire
évoluer cette unité d’information.
Pour Dawkins, tout comme les gènes, les unités de savoir les plus faibles finissent par être
marginalisées et disparaissent, et les plus fortes sont copiées, répliquées et adoptées à plus grande
échelle.
Dans son propre ouvrage, l’auteur se sert d’exemple concrets afin d’illustrer ces principes. Il prend
tour à tour la mode, le célibat, ou la croyance en dieu dans les sociétés pour évoquer ces unités de

4
 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob.
5
 Darwin, Charles (1992). Ébauche de l’Origine des espèces (essai de 1844)’. Two Essays written in 1842 and
184. Lille, Presses universitaires de Lille.

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savoir. Ces idées plus fortes que les autres, se frayant de manière irrépressible et imperturbable un
chemin dans les cerveaux de populations entières.
Ces idées fortes, peuvent selon lui décider, à l’image des ses théories sur les gènes, de la survie ou de
la disparition de sociétés entières. Cette analogie poussée en avant, cette expression choisie de manière
arbitraire et subjective par Dawkins a obtenu un grand succès d’usage comme on le verra dans les
prochaines parties de ce travail. Ce succès d’usage a été tel que l’expression au sens culturel a été
reprise lorsque l’on parle des Mèmes internet. Celle-ci a d’ailleurs supplanté et éclipsé une grande
partie du travail de Dawkins non dédié à l’étude de la culture et de sa circulation dans son ouvrage.
Cette vision simplifiée d’un phénomène si complexe a rencontré un grand succès d’usage. En effet,
cette expression a été ajoutée dès 1988 à l’Oxford English Dictionnary, dictionnaire de référence de la
langue anglaise. A l’étonnement de Richard Dawkins lui-même, qui n’avait pas prévu cette adoption et
le succès d’usage si rapide d’un élément pourtant mineur de son ouvrage. L’usage de ce mot est en
effet séduisant, et ceci à plusieurs degrés :


L’expression Mème jouit d’une définition si vague et imprécise qu’elle peut être utilisée dans un large
éventail de contexte. Une unité de savoir partageable peut s’appliquer à un large champ de
phénomènes impliquant une forme d’échange social par exemple une mode, une conception
particulière de la vie, une coutume, une croyance, une tradition, un reflexe…Comme on le verra plus
tard, cette expression a été à nouveau dérivée car elle a donné naissance au Mème internet, son
pendant sur les réseaux. Ces phénomènes de circulation de la culture existants sur internet ne disposant
pas encore de nom précis, ils n’ont pas fait exception à l’emploi de cette expression.


Il est intéressant de noter qu’un ensemble de chercheurs, y compris en France ont continué à pousser et
à développer l’étude des Mèmes internet. Cette école de pensée et celle de l’épidémiologie des
représentations représentée par le chercheur Dan Sperber. Une théorie présentée et défendue dans son
ouvrage « La contagion des idées »6. Sperber explique comme Dawkins à l’aide d’une métaphore
biologique le schéma de partage et de transmission des idées. Cependant pour Sperber, les unités de
savoirs et les représentations ne sont pas répliquées et transmises comme des gènes mais elles se
propagent entre individus comme un virus.
Sperber s’est attelé a mettre en évidence les mécanismes cognitifs humains comme des milieux et des
terreaux favorables dans lesquels les idées peuvent circuler et s’épanouir, hors du contrôle de leur
hôte.
Si ces deux écoles de pensées ne sont pas identiques elles sont très similaires et leurs théories ont
séduit. Leur largeur d’interprétation leur ont permis de prospérer et de connaitre un succès d’usage.
Lorsque l’on parle de communication virale dans le cadre d’une campagne sur internet, on fait, en en


6
    Sperber, Dan. (1996) La Contagion des Idées. Paris, Odile Jacob.

                                                                                                        14
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ayant conscience ou non, référence à un schéma de transmission de la culture théorisé par l’école de
l’épidémiologie des représentations.


La définition vague et large de ces expressions n’est pas le seul facteur d’appropriation lié à ces
dernières. Un autre aspect séduisant lorsque l’on évoque les mécanismes de circulation de la culture à
l’aide de cette expression est la simplicité. Beaucoup de penseurs se sont heurtés à la complexité des
mécanismes de la circulation de l’information. La communication est une matière difficile à observer
et à étudier. Les médiations, leurs lots d’innombrables d’infimes modifications, leurs imperfections,
les motivations d’acteurs différentes, comportant à chaque fois des enjeux de portée et de pouvoirs
spécifiques font de cette étude attentionnée une tache ardue.


La seconde force de l’expression en elle-même est donc sa simplicité permettant d’englober et de
résumer à elle seule l’étendue de la chaîne d’actions et d’évènements attenante à chaque transmission
d’une information. En prenant le soin d’affirmer que cette unité de savoir peut évoluer, survivre ou
disparaitre, l’expression multi usages qu’est le Mème peut couvrir à elle seule tous les cycles de
médiations possible sans vraiment les décrire, ni les interroger.
On reviendra, plus tard sur les imperfections de cette expression, et l’ensemble d’éléments pourtant
clef qu’elle passe sous silence. Tous cachés à l’ombre de ce grand chapeau large et inadéquate qu’est
le Mème internet. Un chapeau imparfait, certes, mais confortable à utiliser.


Après l’amplitude d’usage et la simplicité de la métaphore filée que constitue le Mème, une dernière
raison peut expliquer le succès d’usage de cette expression. Il s’agit de la force évocatrice de
l’expression Mème et de ses dérivés : Mémétique, Mème internet, épidémiologie des
représentations…Ces mots font appel à des imaginaires assez visuels et facilement mentalement et
intellectuellement représentables. Lorsque l’on parle de gènes se répliquant et survivant, on peut
penser directement au cycle de la vie, au processus de transmission de l’ADN permettant de fusionner
ces longues doubles hélices de molécules capables de faire tenir tout le patrimoine génétique d’une
personne dans moins d’une goutte de sang.
On peur se figurer facilement l’ADN le plus vigoureux se frayer un chemin dans les ramifications de
l’évolution des espèces. Ce n’est pas un hasard si les gènes les plus forts sont appelés les gènes
dominants et les plus faibles des gènes récessifs, finalement devenant muets et finissant par disparaitre
peu à peu. Il y va de même avec la figuration d’une idée virale, dont la pandémie toucherait le monde
en se répandant de conscience en conscience.
L’expression Mème a ceci de séduisant qu’elle est très facilement figurable et représentable. Plus une
expression sera simple à comprendre, plus les individus auront recours à elle. Ceci peu importe son
origine ou son caractère inadéquat dans l’absolu.



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On peut donc affirmer que trois grands facteurs ont pu faciliter l’appropriation de cette expression afin
de définir les phénomènes de circulation dans la culture :

        Le premier étant un champ d’usage très vaste et quasiment non clivé, permettant de l’utiliser
         dans une multitude de contextes, afin de décrire une multitude d’évènements sans avoir à les
         distinguer les uns des autres.
        Le second étant une grande simplicité, un seul mot est nécessaire pour décrire un processus de
         circulation à la fois très riche et très complexe. Ce raccourci permet une facilité d’usage
         accrue, permettant une économie de temps, d’efforts et de précautions discursives qu’elle
         permet.
        Le dernier facteur étant d’incarner une métaphore parlante et facilement figurable. Son
         pouvoir évocateur lui donne une facilité de figuration et d’usage.

Ce cheminement de fonctionnement par analogie biologique permet à des individus de décliner dans
un autre registre un mécanisme qu’ils connaissent déjà. Un système plus facile à s’approprier
rapidement qu’un paradigme pouvant leur sembler original et exotique, c’est à dire difficile               à
rapidement appréhender.
Toutes ces raisons parviennent à expliquer en partie le succès de cette expression, mais cette
explication serait incomplète sans une brève histoire de l’évolution de l’expression afin de comprendre
les origines du cheminement intellectuel menant à sa création et à l’usage de ce champ métaphorique
particulier.



    2. Un schéma de pensée séduisant, hérité de diverses disciplines scientifiques

Le fait d’observer de quoi relève l’expression Mème est une première étape nécessaire, mais encore
insuffisante. Il convient de pousser plus en profondeur l’analyse de l’expression afin de se plonger en
elle pour comprendre ce qu’elle renferme de si fort et de si évocateur.
On s’attèlera dans cette partie à retracer la genèse de l’expression en question dans le but de mieux la
comprendre et la cerner. On s’attardera sur les motifs et les raisons qui ont poussé Dawkins à choisir et
retenir cette expression. La découverte de ses racines permettra de voir dans quelle démarche
intellectuelle s’inscrit le penseur pour énoncer ainsi ses thèses. En effet, le but de cette partie est aussi
de constater que le mot Mème n’est pas un mot neutre et que son élaboration n’est pas seulement le
fait de Dawkins, mais de tout un patrimoine antérieur.
Dans son ouvrage, le chercheur revient sur son raisonnement afin d’aboutir à une expression de son
cru, capable d’encapsuler l’ensemble du concept qu’il avait alors en tête :




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           « Nous avons besoin d’un nom pour ce nouveau réplicateur, d’un nom qui évoque l’idée d’une
           unité de transmission culturelle ou d’une unité d’imitation. « Mimème » vient d’une racine
           grecque, mais je préfère un mot d’une seule syllabe qui sonne un peu comme « gène », aussi
           j’espère que mes amis, épris de classicisme, me pardonneront d’abréger mimème en mème. Si
           cela peut vous consoler, pensons que mème peut venir de « mémoire » ou du mot français «
           même » qui rime avec « crème » (qui veut dire le meilleur, le dessus du panier) »7


Après avoir vu ce que définissait cette expression, une courte analyse étymologique de la racine de ce
mot s’impose. Celle-ci permettra de mieux appréhender les imaginaires sous jacents de cette notion.
L’expression « Mimème » mentionnée par Dawkins est issue de la racine en grec ancien μιμητισμός
(mimetismos) signifiant « copier » par la suite dérivée en «mimema » qui signifie « quelque chose
imité » qui donnera en français les mots « mémoire », « mimer » ou encore « imiter »8.
Cette racine est chargée de mythes et d’imaginaires depuis l’antiquité grecque. Elle revêt une grande
importance dans la mythologie grecque, « Mnémé » était la Muse de la mémoire, fille de Mnémosyne
(déesse de la Mémoire) une des trois premières Muses (les Béotiennes).
Cette expression d’origine très ancienne, n’a pas resurgi dans notre champ médiatique ex nihilo. Sa
création et son appropriation sont le fruit de plus d’un siècle de façonnement dans divers milieux
scientifiques.


On peut noter ici que Dawkins est parti de la racine d’un mot grec « Mimème », qu’il a souhaité
raccourcir pour le rendre à la fois plus facile à prononcer, et plus proche phonétiquement du mot
« gène », qui est alors l’élément central d’étude de son ouvrage. Cette troncature n’est donc pas
innocente et maximise les chances de reprise facile par le public.
Lorsque Dawkins procède à ces modifications, il charge cette expression d’une puissance encore plus
évocatrice et imagée que la précédente. Celle d’images et de figures empruntées à la mythologie
grecque mêlées à celui de la génétique. Un imaginaire qu’il rend encore plus accessible en l’adaptant
d’une langue dite morte (le grec ancien) à des langues vivantes, d’usage plus commun. La
prononciation phonétique du mot est ainsi facilitée et son raccourcissement permet d’en faciliter
encore plus l’usage.


Si les apports de Dawkins sont les plus récents et les plus évidents lorsque l’on étudie les évolutions
ayant conduit à l’expression « Mème », il ne faut pas négliger les travaux d’auteurs et de chercheurs
l’ayant précédé. En effet, l’usage de cette expression dans un champ de recherche scientifique prend
ses racines dans le champ de la biologie, la zoologie et l’éthologie comparée.



7
    Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. p 257
8
    Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi)

                                                                                                      17
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L’utilisation la plus ancienne de l’expression relevée est celle faite par le biologiste allemand Richard
Wolfgang Semon parue en 1904 sous le titre « Die Mnemischen Empfindungen in ihren Beziehungen
zu den Originalempfindungen»        9
                                        dans le cadre d’une étude sur la biologie comportementale des
animaux. Le périmètre de travail de Semon concernait quant à lui l’étude du fonctionnement du
cerveau. Plus précisément au niveau des informations et les reflexes ancrés dans le système limbique
du cerveau. La partie qualifiée comme étant la plus primitive et la moins connue du cerveau sensée
influer sur les émotions. Pour lui, des traces de mémoire biologique de base sont stockées dans le
cerveau et s’expriment sous forme de réponses modifiant les équilibres biophysiques et biochimiques
dans les tissus de cet organe sous l’effet de certains stimuli. Si les découvertes au niveau des équilibres
chimiques provoquant les émotions dans le cerveau semblent donner raison à Semon, sa notion de
traces de mémoire les provoquant à été reprise au pied de la lettre et est restée. Sa description
imprécise due à ses moyens technologiquement limités s’est propagée. Ella a évolué jusqu’à devenir
celle que l’on connait maintenant.
L’apparition de l’expression « Mneme » remonte à la traduction de cet ouvrage en anglais en 1921, le
traducteur L. Simon aura remplacé le long titre d’origine par l’expression «The Mneme»10 issue du
grec ancien afin de raccourcir un titre jugé barbare par le traducteur-scientifique.
Le belge Maurice Maeterlinck (Prix Nobel de Littérature en 1911) reprendra en langue française
l’expression « Mneme » dans son ouvrage « La vie des termites »11 publié en 1926.


Le biologiste anglais Richard Dawkins va apporter la touche finale au mot en investiguant les traces de
mémoires mis en avant par Semon. Dawkins va situer ces « traces » au niveau des gènes, dont
l’existence était inconnue lorsque travaillait le chercheur allemand. Tout ceci, en recherchant comme
évoqué précédemment une expression monosyllabe apte « à définir une unité d'information contenue
dans un cerveau, échangeable au sein d'une société » se rapprochant phonétiquement du mot
« gène »12.
C’est durant ce travail qu’il va donc contracter l’expression « mneme » préalablement utilisée par
Semon pour obtenir par la suite de mot « Meme » en anglais. L’auteur a ensuite étendu son concept au
champ non biologique mais culturel, lui donnant un poids et une signification encore différente. Cette
signification, alors dotée d’un nouveau sens a fait florès.
L’expression Mème est donc instituée suivant un des dictionnaires en langue anglaise référent comme
« Un élément d'une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en




9
 Semon, Richard Wolfgang, (1909). Die Mnemischen Empfindungen in ihren Beziehungen zu den
Originalempfindungen. Leipzig, W. Engelmann. Ouvrage non traduit en français dont le titre pourrait se traduire
par « Les sensations mémorisées par rapport aux sensations d’origine ».
10
   Semon, Richard Wolfgang (1921). The Mneme. London, George Allen & Unwin.
11
   Maeterlinck, Maurice (1927). La vie des termites. Paris, Fasquelles Editeurs.
12
   Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob.

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particulier par l'imitation »13. Avec le recul des années sur le cheminement de cette expression et de
ses diverses reprises on peut voir qu’elle a clairement quitté le champ d’étude premier pour lequel elle
a été créée. Un succès d’usage dépassant son périmètre d’étude biologique strict pour décrire des
phénomènes de communication.


L’aspect séduisant et rassurant de cette expression repose aussi dans ce patrimoine de recherches
dédiées à la biologie. Un concept initialement crée pour servir une théorie dans le cadre d’un champ
d’étude scientifique particulier a été par la suite transposé à un champ totalement différent : celui de la
communication. Ce schéma de pensée a été massivement repris sans faire cas des apports des sciences
sociales dans l’étude de la communication et de la transmission de l’information.
Ce changement de terrain qu’un observateur attentif pourrait condamner ou appréhender n’a pas
empêché les internautes de se servir et de citer cette expression à leur guise. Loin d’avoir fragilisé
cette expression, cette généalogie, cette filiation l’a renforcée. Chacun y a vu un gage de rigueur
scientifique, apte à expliquer les phénomènes de communication avec tout le sérieux et la
méthodologie nécessaire à l’investigation scientifique. C’est par le glissement progressif décrit plus tôt
que ces théories ont évolué du milieu de la biologie à celui de l’étude de la communication.
Un glissement qui a eu lieu sans entamer pour autant le sérieux et le crédit porté à ces théories.
L’image perçue de l’épopée scientifique joue aussi pour cette pensée. Le passé riche d’une quantité de
chercheurs et de savants dont les mérites ont été reconnus et récompensés par leurs pairs.
Cette filiation ancienne permet donc d’apporter encore plus d’eau au moulin des tenants des théories
de la Mémétique. Le prestige de la lignée de ces chercheurs a permis d’éclipser ce phénomène de
glissement progressif. Ce dernier a occulté le changement évident de milieu et les mutations qu’ont
connues ces théories.


Ce nouvel apport joue lui aussi dans le sens du succès des théories Mémétique. Ces théories, déjà très
évocatrices, sont comme légitimées par les travaux rigoureux et antérieurs d’une longue lignée de
savants. Ces personnes ayant fourni un travail reconnu, enseignant et publiant dans de grandes
institutions (Oxford pour Dawkins, le CNRS pour Sperber). Des organismes reconnus pour leur
exigence et leur rigueur ont fourni à ces écoles de pensée un passé crédible et digne de foi pour le
grand public. Il est facile lorsque l’on parle d’épidémiologie des représentations d’imaginer Louis
Pasteur à l’œuvre, travaillant méthodiquement sur l’étude de différents bacilles et souches virales
contagieuses.
Cet imaginaire biologiste et scientifique n’est pas qu’une extrapolation exagérée des travaux liés à ces
mouvances intellectuelles et scientifiques.




13
     Oxford English Dictionnary (EOD) (http://oxforddictionaries.com/definition/meme)

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On étudiera dans la partie suivante, exemples à l’appui les champs lexicaux employés dans les travaux
réalisés par ces mêmes personnes. Un vocabulaire faisant totalement référence à la biologie. L’analyse
de ces extraits, recontextualisés et mis en perspective permettront d’établir encore mieux les raisons
pour lesquelles ces expressions sont si attirantes et séduisantes pour un très grand nombre de
personnes. Une des raisons pouvant servir à expliquer leur succès d’usage et leur adoption.




    3. Une vision de la communication conceptuellement imparfaite

On a pu lors de ces deux premières parties du mémoire en quoi la Mémétique constituait une
théorisation de la communication simple et évocatrice et d’où elle tirait sa force de séduction. On
s’intéressera en détails à l’ensemble des faiblesses conceptuelles défendues par l’école de la
Mémétique ainsi que celle de l’épidémiologie des représentations, plus présente et plus active en
France.
Le but de cette partie est de montrer que si l’expression Mème internet est séduisante et pratique, elle
n’en reste pas moins évasive et inadéquate pour encapsuler toute une série d’éléments permettant la
circulation de la culture sur les réseaux. On se servira pour cela de travaux d’autres chercheurs
étudiant la communication et développant des approches différentes. Ceci afin de voir comment les
approches holistes envisagent la communication : comme une somme de rapports individuels capables
de porter la circulation de culture au sein des sociétés.



         Une conceptualisation de départ issue d’un raccourci métaphorique

Dan Sperber en France n’a pas été le premier à réutiliser un vocable et un champ lexical issu de la
biologie et de la médecine pour tenter de décrire et d’expliciter des mécanismes de communication.
Ce dernier s’est appuyé sur les travaux de chercheurs antérieurs, comme Richard Dawkins mais en
particulier sur ceux de Gabriel Tarde qui avait précédemment utilisé les termes de « contagion » et de
« propagation physique» même si ce dernier a reconnu qu’il ne s’agissait que d’une métaphore
recourant à une analogie utilisée à des fins de simplification.
Cependant Jeanneret souligne que la position de Tarde est ambigüe. Le chercheur est d’accord pour
reconnaitre la primauté du social dans la communication face au physique et au biologique. Toutefois
Tarde a recours à des métaphores venues d’autres champs d’étude pour décrire des interactions
sociales. Jeanneret remarque que ses réflexions sont un peu biaisées, dans la mesure où il ne
déconstruit que partiellement les phénomènes qu’il observe. Tarde raisonne la communication comme
mécanisme de propagation par l’imitation. C’est un trait qui rapproche grandement les théories de




                                                                                                     20
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Tarde et de Dawkins au sujet de sa « Mémétique », que Jeanneret n’hésite pas à rattacher à la théorie
d’imitation tardienne.


           « Les thèses qu’il a alors défendu [Sperber] sont issues d’une œuvre antérieure, celle de
           Gabriel Tarde ».14


Yves Jeanneret n’a pas été le seul à vouloir prendre du recul avec ces raccourcis simplificateurs qui
peuvent s’avérer faux en définitive. Des chercheurs en sciences humaines travaillant actuellement sur
ces phénomènes l’on souligné grâce à une analyse étymologique des expressions « Contamination » et
« Contagion ». Il s’avère que celles-ci, massivement employées par Tarde, Sperber et Dawkins ne sont
pas tout à fait fidèles et à même de décrire avec précision et justesse des interactions sociales.

           « Un premier problème semble accompagner toute utilisation du concept de contagion : il
           décrit un phénomène relationnel, mais le rôle des relata (éléments ou individus mis en
           relation) n’est jamais très clair. Décrire un phénomène contagieux, c’est à la fois dire qu’un
           individu en contamine un autre et dire que ces individus ne sont que les relais de quelque
           chose qu’ils ne maîtrisent pas. C’est plutôt le concept de contamination qui a le rôle de
           préciser ce qu’il advient des relata (un tel a été contaminé ; telle personne a contaminé telle
           autre, etc.).
           Il est intéressant de noter que les deux termes ont la même racine latine renvoyant au sens du
           toucher (contagion = cum tactus et contaminare = cum tangere). On constate cependant une
           asymétrie dans les adjectifs dérivés de ces substantifs : on peut être contaminé (en ce cas on
           est passif et patient), et non « contamineux » ; en revanche on est contagieux, le rire est
           contagieux. On peut décider de contaminer quelqu’un, mais non d’être contagieux. Le
           dédoublement des substantifs, contagion et contamination, est aussi riche d’enseignements.
           D’une part la contamination décrit le changement qui s’opère dans le patient qui subit la
           contagion, alors que l’individu contagieux peut ne contaminer personne. D’autre part on parle
           de la contamination de x par y, et non de contagion de x par y : grammaticalement la
           contamination prend en compte dans son processus des agents et des patients, à la différence
           de la contagion, qui décrit un processus de manière impersonnelle. […]Durkheim mettait en
           garde contre une utilisation irraisonnée du terme de contagion, souvent confondu avec la
           notion d'imitation, tout en précisant que celle-ci ne peut être le résultat d'une contagion que si,




14
     Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels .Paris, Lavoisier p. 28

                                                                                                                     21
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        une fois suscitée de l'extérieur, elle se produit de manière automatique et non volontaire chez
        un sujet ne pouvant pas lui résister (Durkheim, 1897). »15

Comme l’expliquent Coste, Robert, et Minard le paradigme de départ est biaisé, celui-ci empruntant
beaucoup trop aux champs purement scientifiques, procurant aux chercheurs, des expressions
erronées.
Il s’agit ici de la première faiblesse dans le raisonnement mené par cette école de pensée : une
réflexion pétrie de notions scientifiques ignorant dans une grande partie le poids des interactions
sociales.
Dans le modèle de pensée développé par Tarde et plus tard Sperber, chaque être humain est réduit à un
réceptacle et les objets comme les « idées » et les « représentations » des particules plus petites
pouvant l’occuper. Jeanneret met en garde le lecteur au sujet la métaphore épidémiologique que
Sperber n’hésite pas à pousser à l’extrême :


        « Tout comme on peut dire d’une population humaine qu’elle est habitée par une population
        encore plus nombreuse de virus, on peut dire qu’elle est habitée par une population plus
        nombreuses de représentations mentales. La plupart de ces représentations mentales sont
        propres à un individu. Certaines, cependant, sont communiquées par un individu à un autre :
        communiquées, c'est-à-dire transformées par le communicateur en représentations publiques,
        puis retransformées en représentations mentales par leurs destinataires. Une très petite
        proportion de ces représentations communiquées le sont de façon répétée »16


Le reproche majeur qui est fait (en particulier de la part de Jeanneret) à cet usage systématique de la
métaphore est qu’au lieu de simplifier une notion, elle permet à ses auteurs de passer d’un terrain à un
autre. Le tout sans avoir pris le soin de rentrer plus dans les détails, de séparer les notions abordées en
plusieurs morceaux afin de la dénaturaliser complètement.
Toute tentative de démonstration complexe se heurte à une limitation tenant à l’usage systématique de
la comparaison et de la métaphore.
Le discours naturaliste porté par Sperber n’est pas seulement une simple posture rhétorique ou
discursive. Pour lui la communication et l’échange d’information ne relève pas seulement d’une
interaction sociale, mais aussi d’une prédisposition qu’il pense biologique. Comme on peut le lire dans
cet article de presse spécialisée publiée dans la revue Sciences Humaines :

        « Les idées semblent circuler de cerveau à cerveau comme les virus d'un organisme à l'autre.
        Certains se transmettent facilement, d'autres ont plus de mal à s'imposer. Par exemple, les

15
   Coste, Florent. Robert, Aurélien. Minard, Adrien (2010) « Contagion / contamination », Appel à contribution
pour la Revue Tracés n°21 , Calenda, publié le jeudi 20 mai 2010.
16
   Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob p. 39-40

                                                                                                            22
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        enfants comprennent très vite ce qu'est un chien, un chat, ou même ce que sont des girafes ou
        des serpents qu'ils n'ont jamais vus autrement qu'en photos. En revanche, ils ont du mal à
        discerner les pays sur une carte et a fortiori à retenir les tables de multiplication. Pourquoi ?
        Parce que le cerveau, répond Dan Sperber, n'est pas un estomac prêt à digérer n'importe quel
        type de nourriture. Il a des prédispositions à acquérir certaines idées plutôt que d'autres. Les
        figures animales feraient partie de ces idées facilement assimilables parce que dans le cerveau
        humain serait logé un module spécialisé dans la réalisation de cette tâche. Au demeurant, des
        lésions cérébrales très localisées conduisent à des troubles très spécifiques de reconnaissance
        des animaux.
        L'anthropologie cognitive, dont Sperber, comme Pascal Boyer (voir ci-dessous), est l'un des
        tenants, postule donc que la culture n'est pas seulement une construction sociale. Elle est
        soumise aux contraintes d'un cerveau façonné par des millions d'années d'évolution. La
        reconnaissance des animaux, pour nos ancêtres, était une aptitude essentielle à la survie, pas le
        calcul mental.
        Du coup, affirme Sperber avec provocation, il faut « naturaliser » la culture pour mieux la
        comprendre.
        D'où cet appel à un aggiornamento de l'anthropologie : « Anthropologues, encore un effort
        pour être vraiment matérialistes ! »17


Cet article montre l’existence d’une école « naturaliste » de penseurs dont Sperber est un représentant
éminent. Pour lui la communication n’est pas seulement le fruit d’une interaction sociale mais aussi
biologique. La lecture de cet article et de son livre donne la preuve que l’utilisation de ce type de
métaphore n’est pas seulement un raccourci, ni une simplification volontairement réductrice. C’est le
signe d’une vision plus radicale de l’anthropologie sociale qu’il défend dans sa publication, une
« disposition naturelle à intégrer certains concepts de base »18 expliquant avec d’autres facteurs le
fonctionnement des processus de circulation des idées. Les analogies avec le fonctionnement de la
nature et de la biologie ne permettent pas d’adopter d’entrée l’expression Mème internet sans y voir la
marque appuyé d’une conception naturaliste du monde et de la communication.




17
   Dortier, Jean François (2003). La contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture in Sciences Humaines
Hors Série n°42 Septembre-Octobre-Novembre 2003
18
   Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob p. 96

                                                                                                             23
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


        Une négligence des conditions de la médiation

Le paradigme de la communication tel qu’il a été conceptualisé et entretenu par Dawkins, Tarde et
Sperber n’est valable que dans un contexte particulier. Il part du présupposé théorique que la
communication soit directe et non entravée.
Cette obsession de la pureté a été critiquée par Jeanneret dans la mesure où celle-ci délaisse totalement
le terrain des médiations que la communication peut rencontrer. En évoquant l’expression Mème
internet, on se passe de la description méticuleuse de la somme des rapports interpersonnels et
techniques qu’une transmission inclut. Cette vision n’aborde aucunement la quantité sans cesse plus
épaisse des conditions techniques, rhétoriques, économiques et historiques aptes à profondément
influer sur un processus de communication. Une couche de médiation supplémentaire pouvant
impacter de manière importante la transmission de la culture. Une importance que l’on a pu constater
suite aux bouleversements provoqués par l’essor de différents médias.
Les réseaux, des outils de médiation on joué un rôle important dans la diffusion de l’expression Mème.
De même que les conditions techniques ont une importance prépondérante dans l’accessibilité et la
capacité de manipuler et de transmettre les mèmes.
Quand Tarde recherche la pureté dans la communication, il met la conversation entre individus au
centre de toute sa théorie et néglige les autres. Jeanneret remarque que Tarde distingue les bons objets,
les objets « dynamiques » (la conversation) et les mauvais objets « statiques » (les livres), or tous ces
objets, bons ou mauvais selon Tarde peuvent servir à des fins de communication. Comment classifier
les réseaux, des supports à la fois dynamiques et statiques ? Comment qualifier alors les gènes et les
virus utilisés comme modèles par Dawkins et Sperber ?


Jeanneret parvient à résumer la faiblesse de l’approche Tardienne en une seule phrase :


         « Tarde nous offre le modèle d’une théorie plaçant l’activité de communication au centre de la
         société sans rien étudier de la façon dont on communique ».19


Tarde passe sous silence le rôle et l’importance d’une médiation et d’un cadre d’énonciation
particulier dans un processus de communication. Il n’hésite pas d’ailleurs à comparer les messages se
propageant dans le vide intersidéral à la manière des rayons de lumière. Cette théorie néglige et ignore
donc tout l’impact que peut avoir la nature de la médiation sur la réception et la compréhension d’un
message. Il y va de la même manière avec les théories énoncées par Dawkins et Sperber : les gènes
répliqués et imités ainsi que les virus s’imposent chez leurs hôtes s’ils sont assez forts pour le faire. Le



19
  Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels .Paris, Lavoisier.
P.31.

                                                                                                                   24
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


tout en disant que les humains sont naturellement conçus pour imiter, grâce à leurs gènes selon
Dawkins, et grâce à une aptitude naturelle du cerveau humain à héberger des imaginaires.
Dans les deux cas, les sujets n’ont pas le libre-arbitre nécessaire pour changer ou de modifier une
information. La seule instance ayant un certain degré d’autonomie est l’idée en question, luttant seule
pour la poursuite de sa bonne évolution (le virus programmé pour se diffuser lors d’une pandémie, ou
le gène fait pour se répliquer et se reproduire).



       Une vision porteuse d’une forme de déterminisme technique et biologique

Ces critiques faites au sujet du choix de l’expression Mème, même si elles sont tout à fait valables et
justifiées doivent toutefois prendre en compte le cadre historique dans lequel elle s’est forgée. On a vu
plus tôt que les premiers travaux menant à l’aboutissement de l’expression Mème remontent au début
du XXème siècle. Les écrits de Tarde remontent quand à eux à la fin du XIXème siècle. Une époque
d’expansion économique et de progrès technique et intellectuel. Beaucoup de scientifiques et de
chercheurs ont fait preuve d’un véritable enthousiasme face à ces avancées et ont développé la
conviction profonde que ce progrès en marche était irréversible et son expansion impossible à stopper.
Tarde voit parmi les effets de cette philosophie du progrès une multiplication exponentielle des
échanges entre différentes entités (groupe, société, individu, institution).
Non seulement une augmentation statistique des échanges est mise en avant, mais aussi des
assomptions au sujet de leur teneur et de leur qualité sont émises. Tarde pense que des sujets de
conversation étroits, n’intéressant qu’un tout petit nombre d’individus vont céder la place devant le
nombre d’interconnections constatées à des sujets d’ordre général et plus élevés.
Comme si le progrès technique allait venir à bout des clivages pouvant exister entre différentes entités.
Cette assomption n’a pas été totalement vérifiée au sujet d’internet où les sujets les plus discutés sur
les différentes plateformes en ligne sont loin d’être les plus intellectuellement élevés et les individus
qui en parlent ensemble sont aussi loin d’être de parfaits inconnus les uns pour les autres (ce qui est
vrai en particulier au niveau des réseaux sociaux).


On peut ajouter à ces arguments la fracture numérique entre les pays du Nord et du Sud, « le progrès »
tel qu’on le concevait à l’époque de Tarde a durablement marqué cette école de l’épidémiologie des
représentations qui en est aujourd’hui l’héritière.
Jeanneret évoque même la pensée de Tarde comme étant d’une certaine manière fataliste : plus l’on
crée de contact, plus l’on créera de communautés. On verra alors apparaitre comme résultante de ces
échanges un contenu pour le chercheur digne d’intérêt. Ce raccourci est toléré par Tarde dans la
mesure où il est convaincu de l’existence de protocoles de transmission d’informations et de pratiques




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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


sociales prévisibles, et prédictibles. Il appelle d’ailleurs cet ensemble « lois de l’imitation»20 dans
lequel l’individu n’a que peu voire pas de volonté et de pouvoir de décision propre. D’où l’utilisation
des expressions « contagion » et « imitation » analysées précédemment. Sans même évoquer les
travaux de Dawkins et de Sperber qui ont récupéré et poussé plus loin les travaux de tarde.
Jeanneret n’a pas été le seul chercheur à vivement critiquer l’école de pensée de l’épidémiologie des
représentations.
En effet, comme vu plus tôt, cette vision d’une épidémiologie des représentations, ne serait-ce que par
le choix de son intitulé cristallise des imaginaires naturalistes et biologistes. Ces imaginaires qui ont
été analysés et déconstruits par d’autres chercheurs.


Dominique Guillo, chercheur au CRNS (GEMAS) a souligné que les théories et les thèses défendues
par les écoles de l’épidémiologie des représentations et de la Mémétique relevaient d’un glissement
dangereux des théories naturalistes Darwiniennes. Ces dernières étant valables dans le champ de la
biologie pure mais très difficilement transposable vers un domaine de nature tout à fait différent
comme les sciences sociales.


        « Le concept de Mème et, plus largement, la Mémétique, [apparaît] comme le résultat d'un
        simple transfert du lexique biologique dans le domaine de la culture »21


D’autres jeunes chercheurs, lui ont emboité le pas en mettant au jour la dimension naturaliste et
biologiste des textes de Dawkins. Le réplicateur culturel ne serait que le moyen de recouvrir certains
éléments jouant un rôle dans l’évolution et pouvant sortir du champ biologique pur, sans pour autant
les décrire précisément.


Nicolas Claidière, dans sa thèse de doctorat, a démontré que les théories avancées par Dawkins
n’étaient qu’un support à une vision Darwinienne de l’évolution plus large et s’étendant du domaine
de la biologie à celui des sciences sociales :


        « Le gène est, selon Dawkins, un exemple de réplicateur et l’évolution génétique n’est qu’un
        exemple d’évolution darwinienne :


                   « L'argument que j'avancerai, aussi surprenant qu'il puisse sembler de la part de
                   l'auteur des premiers chapitres, est que, pour comprendre l'évolution de l'homme
                   moderne, il nous faut commencer par rejeter le gène comme seul fondement de nos

20
  Tarde, Gabriel (1979). Les lois de l’imitation, Genève, Ed. Slatkine
21
  Guillo, Dominique (2009). La culture, le gène et le virus. La Mémétique en question, Paris, Ed. Hermann. p.
32.

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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


                 idées sur l'évolution. Je suis un darwinien enthousiaste, mais je pense que le
                 darwinisme est une théorie trop vaste pour être réduite au contexte étroit du gène. Le
                 gène ne constituera qu'une analogie dans mon exposé, et rien de plus. » (Dawkins,
                 1976)
                 […] Si la théorie de l’évolution est universelle et que l’évolution culturelle est
                 indépendante de l’évolution biologique, cela suggère qu’il pourrait exister des
                 réplicateurs culturels. Ces réplicateurs, Dawkins les appellent des « mèmes » et ils
                 pourraient constituer, selon lui, les briques de base de la culture humaine. » 22


Dominique Guillo bat en brèche le Mème de Dawkins. Il considère l’expression comme un raccourci
mis en place qui lui permettrait d’expliquer par de simples analogies et des observations comparées le
fonctionnement de toute société humaine.
L’auteur se montre circonspect quant à la base conceptuelle et théorique de cette école de pensée,
c'est-à-dire le Mème comme réplicateur culturel dont la définition est imprécise :


        « [Le Mème, recouvrant] une réalité quelque peu mystérieuse [n'ayant] pas un degré de
        précision suffisant pour servir de point d'appui à un modèle tout à fait solide et fécond »23


Ces éléments résonnent comme autant d’arguments à ajouter au sujet de la mise en question des
théories de l’épidémiologie des représentations et de la Mémétique ayant développé l’expression
Mème. La largeur ainsi que le caractère imprécis cette expression, permettant une grande amplitude
d’interprétations lui confère un caractère équivoque et inadéquat pour décrire la circulation de la
culture sur les réseaux.
Par son imprécision et la nature des imaginaires qu’elle colporte, elle contribue à colporter une vision
de la communication très accessible par le plus grand nombre, mais aussi imparfaite.
On aura vu dans ce premier développement plusieurs éléments cruciaux dans la compréhension de la
réappropriation et du succès sur les réseaux qu’a connu cette expression. On a vu que l’usage de cette
expression n’était pas neutre, et qu’elle favorisait une vision de la communication à la fois simple et
évocatrice. Ces deux éléments sont d’importants atouts lorsque l’on veut favoriser l’usage et la
réappropriation d’une expression.


On ajoutera également une expression fortement liée aux premiers travaux scientifiques au sujet des
sciences de la cognition et du comportement. Des théories travaillées par des chercheurs reconnus et
récompensés pour leurs mérites. Un statut leur permettant de publier le fruit de leur recherche et de les

22
   Claidière, Nicolas (2009). Thèse de doctorat. Théories darwiniennes de l'évolution culturelle : modèles et
mécanismes .Université Pierre et Marie Curie spécialité Cerveau Cognition Comportement. P.76-77.
23
   Guillo, Dominique (2009). La culture, le gène et le virus. La Mémétique en question, Paris, Ed. Hermann. p.
59

                                                                                                                 27
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


partager avec tous. Toutefois, si ces chercheurs ont fourni des travaux remarquables dans le champ de
la biologie, il ne faut pas oublie le glissement dont l’expression Mème à fait l’objet, transposée des
sciences naturelles aux sciences sociales par le glissement d’une expression.
Une expression dont l’origine n’est pas récente dans les faits, mais portant avec elle la caution de
sérieux et de rigueur de plusieurs décennies de travaux scientifiques.
Son adaptation au champ d’étude exigeant et complexe de la communication et la pertinence de celle-
ci reste une autre affaire.




Au final, si l’usage de cette expression et séduisant et a connu un succès d’appropriation, il est
important de pouvoir prendre du recul et de voir qu’elle n’est pas tout à fait adéquate à la description
de transmission de la culture sur les réseaux.
En prenant du recul sur l’expression Mème, la rigueur et la précision, ont dans le cas présent fait place
à la facilité de compréhension et de figuration permettant une appropriation plus facile de l’expression.
Ceci d’autant que la description de la circulation de la culture sur les réseaux avait grandement besoin
d’un mot capable d’incarner de manière simple les phénomènes de réappropriation observés sur
internet.
La commodité et la facilité d’usage de l’expression n’expliquent pas tout. Ces dernières, liées à une
vision facile à projeter de la communication constituent les premières raisons capables d’expliquer la
réappropriation et le succès d’une expression inadéquate pour décrire un phénomène de circulation
dans la culture.
On observera par la suite, d’autres raisons pouvant aussi contribuer à expliquer ce succès de
réappropriation, au-delà des imaginaires qu’une expression peut convoyer avec elle.




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Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


II/ Le Mème, un champ de représentations fonctionnant socialement

            1. Le Mème internet, le fruit d’un cycle de médiations

On a vu que l’expression Mème a été construite et élaborée sous l’influence de divers penseurs, eux
mèmes influencés par des idéologies et des courants de pensée divers. Une fois ce champ investigué,
on a pu comprendre que cette expression, et la manière dont elle a été créée l’ont chargé de
significations. On examinera à présent comment cette expression a été utilisée pour parler de
phénomènes observés sur internet.
Le Mème étant une construction élaborée socialement, un être culturel, on ne peut pas parler de
l’apparition brusque et soudaine d’un premier Mème Internet. Un Mème original et unique,
apparaissant spontanément et donnant naissance à d’autres Mèmes.
Comme on a pu le lire chez Jeanneret, il est strictement impossible de connaitre le premier Mème
apparu. Le Mème étant un être culturel, il existait bien avant l’apparition d’internet et a connu une
grande variété de formes et de définitions24.


Cette expression étant une construction sociale, il serait illusoire de souhaiter remonter à son
apparition. Toutefois, on peut essayer de remonter au moment auquel des phénomènes observés sur
internet, reconnus mais sans nom particulier jusqu’alors, ont étés considérés comme des Mèmes.
Le fait d’ajouter le substantif internet n’a fait que qualifier ces représentations comme étant existantes
sur les réseaux.


Puisqu’il est impossible de retrouver et d’identifier avec certitude le premier Mème crée, on se bornera
à s’approcher du premier phénomène décrit comme étant un Mème internet, lié de manière apparente
aux théories Mémétiques et celles de l’Epidémiologie des représentations.
Si on a pu voir dans la partie précédente ce que l’expression Mème disposait déjà à elle seule d’une
forte charge symbolique. On verra aussi comment elle a pu aussi impacter la vision de la transmission
de l’information sur internet.
Cette étape de développement permettra de connaitre encore plus en détails le succès de la
réappropriation de cette expression sur les réseaux, bien qu’elle soit inadéquate pour qualifier ce type
de phénomène de circulation de la culture.
On verra ensuite comment la maitrise de ce type de théories peut être au cœur d’enjeux économiques
importants. En effet, pour des agents économiques dont l’activité est basée sur la communication via
internet, la maitrise et la connaissance de ces théories peuvent constituer des avantages compétitifs.




24
     Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Paris, Lavoisier.

                                                                                                                      29
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


Cette connaissance est gage pour ces acteurs économiques de crédibilité, d’expertise et donc de
pouvoir dont ils peuvent se servir auprès de leurs clients. On pourra donc voir comment et dans quelle
mesure ce facteur peut influer sur la diffusion de cette expression.



        Le Mème internet : un concept scientifique transposé à l’observation des phénomènes de
         transmission et de la réappropriation de la culture

Bien avant que l’expression Mème soit largement utilisée pour décrire ce phénomène de la circulation
de la culture sur internet, on utilisait le terme encore plus large et plus nébuleux de phénomène
Internet. L’expression phénomène provenant du Grec ancien (φαινόμενον), décrit « Ce qui apparaît,
ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique,
et qui peut devenir l'objet d'un savoir »25. Cette expression, contrairement à celle du Mème a le mérite
de figurer dans les dictionnaires français déjà existants et est d’ailleurs souvent employée à l’heure
actuelle pour parler des Mèmes internet.


Mais alors, quand est-ce que l’expression Mème a-t-elle commencé à être employée pour décrire ce
type particulier d’appropriation de diffusion de la culture sur les réseaux ?


Il a fallut attendre le milieu des années 1990 pour que l’usage d’internet se répande et se démocratise.
Cet essor a permis à un nombre sans cesse croissant d’utilisateurs de pouvoir consulter du contenu via
internet, puis de se l’approprier et de le transmettre.


En 1996, des journalistes s’intéressant aux phénomènes internet tout justes naissants remarquent qu’un
nombre sans cesse croissant d’internautes s’échangent une animation GIF 26 représentant un bébé
dansant de manière saccadée des pas de danse Cha Cha.
Cette animation est le fruit du travail d’un animateur, Michael Girard, employé d’une firme
développant une suite de logiciels d’animation. L’animateur avait programmé cette séquence, afin de
présenter aux prospects de l’entreprise un échantillon d’animations que permettait le logiciel
d’animation appelé Kinetix Character Studio.
La séquence animée en boucle est vite sortie du cadre strictement professionnel et s’est retrouvée
publiée sur de nombreux sites et a surtout été massivement transmise entre internautes par email.
Deux ans plus tard, la séquence, devenue une référence est citée dans des films et des séries télévisées.
Si cette représentation n’a pas été la première massivement diffusées que les internautes se sont
réappropriés, c’est la première à avoir été considérée comme un Mème internet.
25
   Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi)
26
   Graphics Interchange Format (littéralement « format d'échange d'images ») est un format d'image numérique
permettant de gérer les effets de transparence et couramment utilisé sur la Toile. L’affichage d’une succession
d'images au format GIF permet de créer un effet d'animation.

                                                                                                              30
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


Ceci suite à la suite d’une interview de Janelle Brown, alors journaliste au magazine Wired accordée à
la chaîne d’information en continue CNN qui s’intéresse alors au phénomène. Lors de l’interview, la
journaliste fait clairement le rapprochement entre ce type de phénomène et les Mèmes énoncés par
Richard Dawkins :

                 « Janelle Brown, culture writer for Wired News, calls the dancing baby a "meme,"
        which Wired defines as "a contagious idea" -- like the kids of the "South Park" comedy series,
        and "Max Headroom" before them. "These kinds of funny animations and jokes and little
        projects have always proliferated on the Web, and they've always been very much a 'Web
        thing,'" Brown said. »27


Dès 1996 des chercheurs et des intellectuels s’intéressant à la communication et à la culture abordent
la question des Mèmes sur internet sans pour autant questionner directement l’usage de cette
expression qui semblait alors tout a fait à propos pour caractériser ce genre de phénomène.
Même si beaucoup critiquent la vision de la Mémétique telle que Dawkins la théorise, ils mentionnent
dans leurs travaux le Mème sur internet au sens strict, c'est-à-dire tel qu’il est observé et défini sur
internet et non comme un sujet d’appropriation triviale28. Le tout sans avoir remis en cause au
préalable le choix et l’usage d’une telle expression.
Il est intéressant de noter que même si Wired Magazine s’y intéresse dès 199729, aucun rapprochement
n’est fait entre la Mémétique comme théorie générale et la description des Mèmes sur internet. Ceci
même si Wired est une publication centrée sur les nouvelles technologies, l’informatique et les usages
qui accompagnent ses derniers développements.


Or, l’évolution que laisse paraitre cet article dans la perception du Mème est cruciale. Le Mème est
passé d’un concept, d’une manière parmi d’autre de théoriser et expliquer l’évolution des sociétés à
une expression utilisée dans un autre contexte. Il revêt à présent un tout autre sens et porte un
imaginaire différent. La trivialité affectant toute représentation sociale est à l’œuvre dans cet article de
Wired et s’opère sous les yeux du lecteur. Le glissement de l’expression est en marche.
Un concept d’inspiration naturaliste, se voulant rationaliste et scientifique est devenu au fil des années
un objet, une expression altérée par la trivialité. Un mot parvenant à encapsuler un imaginaire riche et
différent chez d’autres personnes. Un mot qui a été compris et utilisé d’une manière encore différente
sur internet. Dans le prolongement de ce cycle, les internautes ont regroupé sous ce mot une foule de
représentations circulant déjà sur internet.


27
   Lefevre, Greg (January 19, 1998 ). Dancing Baby cha-chas from the Internet to the networks, CNN Tech,
(http://edition.cnn.com/TECH/9801/19/dancing.baby/index.html)
28
   Heylighen, Francis (1996). Evolution of memes on the network: from chain letters to global brain, Ars
Electronica Catalogue, éditions Ingrid Fischer, Vienna/New York.
29
   Gabora, Liane (Juin 1997). Memes: the creative spark, Wired, p 110-112.

                                                                                                           31
Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA


Si elle n’avait pas été altérée, la notion Mème internet devrait être perçue d’une manière identique à
celle portée par Dawkins. L’unique différence devrait porter sur la médiatisation et la diffusion
permettant une réappropriation via internet. Toutefois, la définition du Mème telle qu’elle est comprise
sur internet est considérablement plus restreinte.
Les internautes ont repris la définition de Liane Gabora de manière plus stricte et regroupent sous la
catégorie de « Mème » des représentations circulant sur internet que les internautes s’étaient
réapproprié et avaient diffusé. La définition du Mème internet telle qu’ils l’ont comprise et utilisé est
très éloignée de celle formulée par Dawkins qu’on a pu examiner dans la première partie de ce
mémoire.
Le principe de trivialité cher à Yves Jeanneret a tellement affecté l’être culturel « Mème » que son
pendant sur internet recouvre des imaginaires totalement différents chez les publics non familiers avec
les principes de Mémétique et de l’épidémiologie des représentations. La définition de Gabora, sa
vision du Mème a fait date et est restée ancrée dans l’imaginaire collectif sur internet. Sa médiation, sa
vision de ce type de phénomènes a considérablement modifié la vision du Mème internet tel que
Dawkins avait pu l’énoncer : un réplicateur génétique pouvant contribuer à expliquer de quelle
manière les espèces évoluent. Tout un monde existe entre les écrits de Dawkins en 1976 et les articles
écrits par Gabora vingt ans plus tard.
Une théorie conçue pour être appliquée en recherche biologique a glissé progressivement dans le
champ de la communication et a encore été ajustée et réinterprétée pour traiter les phénomènes de
circulation de la culture sur internet. L’expression Mème, entre sa création première et son usage pour
décrire des mécanismes à l’œuvre sur internet a connu des évolutions majeures. Comment alors
expliquer cette versatilité d’emploi, qui peut jouer en faveur de cette expression et multiplier ses
usages possibles ?



       Le Mème internet : une dynamique de braconnage culturel

Comme on l’a vu précédemment, l’association d’un concept né de la recherche scientifique et des
imaginaires relayés en ligne a été un processus long et complexe. Celui-ci est passé par plusieurs
étapes (décrites dans les parties précédentes) avant d’être associé par un jeu différentes médiations à
des phénomènes de transmission de la culture existant en ligne. Ces représentations peuvent prendre
différentes formes, et exister sur différents supports (textes, images, images animées, vidéos).
Ces représentations, reprises, modifiées, détournées et altérées un grand nombre de fois sont très
similaires au comportement de braconnage culturel énoncé en détails par Michel de Certeau.
Ce comportement s’est incarné de manière encore plus visible au cours du XXème siècle, avec
l’établissement et la consolidation d’une classe moyenne instruite exposée à des médias de masse,
comme la presse, la télévision et la radio. Cette activité est le fruit d’individus intéressés par certains
contenus, instruits, et disposant de ressources techniques pour les exprimer dans un but de

                                                                                                        32
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Memoire M2 MISC Nicolas Moreau

  • 1. CELSA – Université Paris IV Sorbonne École des hautes études en sciences de l'information et de la communication MASTER 2ème année Section : Communication, Médias et Médiatisation Option : Medias Informatisés et Stratégies de Communication Les Mèmes internet : de 4chan aux agences de communication Comment comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès, sur les réseaux et dans le monde des professionnels de la communication, d’une expression inadéquate pour caractériser les phénomènes de circulation de la culture ? Préparé sous la direction de Madame le Professeur Véronique Richard Moreau Nicolas Master 2 Medias Informatisés et Stratégies de Communication
  • 2. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA REMERCIEMENTS Avant toutes choses, on ne manquera pas de remercier ici quelques personnes sans lesquelles ce Mémoire tel qu’il est n’aurait jamais pu voir le jour : Mr Etienne Candel, pour ses conseils avisés, et la patience dont il a fait preuve à mon égard Mme Juliette Darbois, pour son soutien et sa disponibilité lors de la rédaction de ce mémoire Mme Céline Leclaire, pour son soutien et ses messages de relances motivants Mr Jérôme Denis, pour ses encouragements lors du choix de la problématique de ce travail Mr Gaetan Duchateau, pour avoir accepté de répondre à mes questions Mr Frédéric F., pour avoir accepté de répondre à mes questions Ma famille, pour son aide à la relecture de ces pages Tous les internautes ayant pris le temps de remplir des questionnaires parfois fastidieux Sans oublier les membres de la promotion 2010 de la filière Communication, Médias et Médiatisation section Medias Informatisés et Stratégies de Communication du CELSA – Paris IV Sorbonne pour leurs conseils et leurs éclairages utiles Qu’elles soient toutes assurées que leurs contributions respectives, ont été, toutes à leurs manières vivement appréciées. 2
  • 3. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Sommaire REMERCIEMENTS ............................................................................................................................. 1 INTRODUCTION ................................................................................................................................. 4 Problématique.......................................................................................................................... 8 Corpus et Méthodologie .......................................................................................................... 9 I/Une expression issue de la Mémétique : une vision de la communication simplifiée et évocatrice ............................................................................................................................................................... 11 1. Une théorisation de la communication simple et évocatrice ..................................................... 13 2. Un schéma de pensée séduisant, hérité de diverses disciplines scientifiques............................ 16 3. Une vision de la communication conceptuellement imparfaite ................................................. 20 Une conceptualisation de départ issue d’un raccourci métaphorique .................................... 20 Une négligence des conditions de la médiation..................................................................... 24 Une vision porteuse d’une forme de déterminisme technique et biologique......................... 25 II/ Le Mème, un champ de représentations fonctionnant socialement ........................................... 29 1. Le Mème internet, le fruit d’un cycle de médiations ..................................................................... 29 Le Mème internet : un concept scientifique transposé à l’observation des phénomènes de transmission et de la réappropriation de la culture ........................................................................ 30 Le Mème internet : une dynamique de braconnage culturel ................................................. 32 2. Un schéma de pensée pouvant s'inscrire dans la mouvance du marketing viral ........................... 37 3. Un type de savoir et de connaissance utilisable et monétisable par des acteurs économiques...... 45 III/Le Mème internet, une cristallisation d'imaginaires liés à internet .......................................... 54 1. Un marqueur d'appartenance et d'identité.................................................................................. 55 2. Le signe de l'émergence d'une culture web ............................................................................... 59 3. Des références non exclusivement endogènes à internet ........................................................... 62 CONCLUSION .................................................................................................................................... 64 BIBLIOGRAPHIE .............................................................................................................................. 70 ANNEXES ............................................................................................................................................ 73 Annexe 1 : Transcription des entretiens avec les professionnels .................................................. 73 Annexe 2 : Résultats du questionnaire en ligne ............................................................................. 78 Annexe 3 : Graphique Google Trends concernant « l’expression Internet Meme » au 25/09/2011 ....................................................................................................................................................... 81 3
  • 4. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA INTRODUCTION Une grande quantité de contenus aussi divers que variés sont échangés et consultés chaque seconde sur internet. Des photographies, des films, des vidéos, des fichiers sonores et textuels, des programmes exécutables et des animations. Tous ces échanges couvrent une infinité aussi grande de buts et de besoins. Par exemple, un film de famille envoyé par email dans lequel des enfants soufflent leurs premières bougies. Un instant qu’un oncle ou un parrain aura eu le sentiment d’avoir fixé pour l’éternité dans un fichier MP4. Ceci dans le but de revivre en partie cet instant, tout en gardant le moyen de le partager avec des personnes alors absentes. Ou encore une chanson de jazz quasi-oubliée, qu’un mélomane averti aura pris soin de numériser à partir de sa précieuse collection de disques vinyles. Une chanson devenue fichier qu’il pourra partager avec d’autres amateurs, réunis autour d’une passion pour cet artiste, cette musique, cette époque, et le lot d’imaginaires attenant qu’elle charrie. Au même moment, un professeur publiera un de ses supports de cours. Ceci afin de permettre aux élèves trop lents à la prise de note, ou absents le jour du cours de bien préparer leurs examens de fin d’année. Pendant ce temps là, ces derniers partageront par le biais d’un réseau social, les photos d’une soirée relevant d’un humour plus ou moins douteux afin de pouvoir les commenter abondamment. Tous ces contenus et les usages gravitant autour des réseaux sont connus et relayés dans les médias. Qu’ils fassent l’objet de recherches et d’études scientifiques, de reportages de journalisme ou de publicités, ils sont à différent degrés connus d’une partie de la population. Ils ont étés catégorisés, et définis. Ils sont décrits par une appellation parfois imparfaite, mais permettant de les classifier et de les ranger sous un nom précis pouvant lui-même se regrouper en différente familles et sous familles. On pourra alors assez aisément définir ce contenu, par rapport à des caractéristiques intrinsèques à celui-ci. Celui-ci sera définissable et déclinable avec différents tons et des niveaux de lectures tous personnels. Néanmoins, un type de contenu échangé et partagé sur internet fait encore exception à ce principe de classement et de catégorisation. Il s’agit des contenus faisant partie de la famille des Mèmes internet. Ce nom provenant d’un anglicisme très récemment adopté sur la sphère francophone dispose d’une définition floue et ténue. On pourrait décrire brièvement ce phénomène comme étant la propagation massive et rapide d’un contenu décliné autour d’un ensemble de règles de bases implicites. Ces règles doivent respecter une poétique spécifique de telle sorte que l’ensemble des contenus produits soient rattachables à une expression, ou une situation de base similaire. L’évolution d’un Mème internet est 4
  • 5. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA une œuvre collective, ainsi portée par une multitude d’additions de la part d’internautes. Chacun d’entre eux apportant à l’ensemble une touche créatrice différente. Cette poétique est cruciale, car elle sert de fil rouge à la déclinaison de contenus utilisant différentes formes et supports (texte, images, séquences d’images, vidéos, son et montages pouvant tous être conjugués selon un spectre très large). L’expression Mème internet est le résultat de l’adaptation au français de l’expression anglo-saxonne « Internet Meme ». Le premier chercheur à énoncer clairement la notion de Mème ou « Meme » en langue anglaise est le chercheur britannique Richard Dawkins. Le terme qui emploie, orthographié de cette manière est apparu dans son ouvrage « Le Gène égoïste », paru pour la première fois en 1976. Si c’est la première fois que l’expression Mème est publiée telle quelle, elle fait référence à la pensée et aux travaux de différents chercheurs antérieurs mentionnant déjà des expressions similaires. Selon Dawkins, Un Mème est « une unité de d’information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d’une société »1. Cette unité est censée définir alors un élément culturel reconnaissable (par exemple : un concept, une habitude, une information, un phénomène, une attitude, une croyance, un culte, un rite etc.), répliqué et transmis par l'imitation du comportement d'un individu par d'autres individus. Ce contenu culturel est pour lui répliquable à l’infini, tout comme une séquence de génome, il peut être transmis et reproduit à l’identique d’un cerveau vers un autre. Cette entité élémentaire insécable, et ses capacités à être transmise est selon lui moteur de l’évolution des sociétés, dictant en partie leur déclin ou leur survie. Dawkins pousse au maximum la théorie de l’évolution d’abord énoncée par Darwin. Là où Darwin voyait des succès évolutifs grâce à des individus ou espèces s’adaptant à un environnement, Dawkins voit des succès évolutifs là où des individus partagent et répliquent (même malgré eux) des séquences d’information fortes et inaltérables. Elles seront capables d’aider des hôtes dont la survie est rendue plus facile grâce à ces dernières. Dawkins parvient par ce raccourci métaphorique à traiter la communication et toute forme de transmission d’une information comme un mécanisme avant tout biologique. La définition du Mème, extrêmement floue et large peut donc s’appliquer à de nombreux domaines. Dawkins utilise dans son ouvrage de nombreuses notions et concepts très éloignés et différents. Il l’applique par exemple dans son propre livre à la notion de divin dans la conception du monde, de célibat dans une société, d’un air de musique populaire ou d’un style de chaussure pour femme à la mode chez différentes catégories de population. La largeur et l’amplitude d’interprétation permise par cette expression a mené à son succès d’usage. Un succès si grand et amplifié suite à la sortie du livre « Le gène égoïste », qu’elle a même été ajoutée dès 1988 au très rigoureux Oxford English Dictionnary, le dictionnaire faisant foi dans l’étendue du 1 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. 5
  • 6. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA monde anglo-saxon. Cette multiplicité d’usages a conduit cette expression floue et imparfaite, employée dans un livre de vulgarisation scientifique à être utilisée pour décrire les phénomènes de transmissions de l’information sur internet. Les défauts de cette vision de la communication ont été mis en évidences par plusieurs chercheurs. Le raccourci que procure l’expression Mème internet a été rapidement mis à profit afin de décrire toutes ces initiatives de braconnage et de production de contenu sur les réseaux qui n’avaient pas véritablement de nom particulier. Cette expression, quoi qu’inadéquate a permis de recouvrir ce que l’on appelait jusqu’alors « un phénomène », ou encore « une sorte de grande blague globale ». L’usage de ces expressions est fait ici sans connotation péjorative mais bel et bien dans le cadre de l’usage d’un ressort comique provenant d’une situation inattendue, inédite, originale ou décalée. Toutefois, à cette notion de poétique correspondant à une situation et/ou une narration précise s’ajoute une autre notion importante définissant un Mème internet. C’est celle de la reprise massive et collective par une frange importante d’internautes du récit de cette situation. En effet, si les phénomènes maintenant appelés Mèmes internet ont été remarqués, c’est d’abord grâce à cette multiplication massive et soudaine de contenus. Ces observations faites de manière empirique sur certains sites et forums de dialogues ont éveillé la curiosité des internautes. D’abord très présents et populaires sur le web anglo-saxon, les Mèmes internet, ainsi que leur folklore et les études s’y rattachant (on reviendra plus tard sur les écoles de pensée de la Mémétique) ont été de plus en plus présent sur le web francophone. Un espace disposant, lui aussi de ses Mèmes francophones riches de leurs propres histoires. La diffusion des Mèmes internet et son étude, qu’elle soit le fruit du travail de passionnés ou de chercheurs ne s’est pas uniquement transmise d’une zone linguistique à l’autre. Ce folklore, autrefois réservé à une frange d’internautes se considérant comme une élite possédant ses propres codes et modes de fonctionnement s’est peu à peu démocratisé. L’échange autour des Mèmes internet était auparavant limité à quelques sites, salles de chats et forums de discussion. Aujourd’hui, ces créations spontanées et leurs dérivés ont échappé à ces tous premiers aficionados et continuent à évoluer en se répandant sur un ensemble plus large de plateformes utilisées par des publics différents. C'est-à-dire d’autres franges d’internautes aux codes, aux usages et aux comportements en ligne dissemblables. Les Mèmes internet ont quitté leurs premiers forums confidentiels et se retrouvent à présent sur certaines plateformes de blogging et autres réseaux sociaux, autrefois épargnés par ce genre de phénomène. Des sites internet entiers sont consacrés à la classification des Mèmes internet, selon leur date et leur type, tout en essayant de retracer leur parcours de diffusion et leur lieu d’origine, sans pour autant remettre en cause une seule seconde cette expression. 6
  • 7. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA L’étendue des usages et du folklore pouvant être regroupée sous le chapeau de cette expression extrêmement floue a retenu l’attention d’autres acteurs. Ces derniers servant quant à eux des objectifs différents. Cet intérêt pour ces représentations échangées et multipliées n’a pas seulement retenu l’attention d’individus plus ou moins isolés et de chercheurs, mais aussi de premiers acteurs économiques, prêts à capitaliser sur ces phénomènes. Ces derniers ont vite compris la manne financière pouvant être récoltée auprès d’internautes toujours plus friands de ces représentations, et désireux de les faire sortir du cadre limité et contraignant de leurs écrans d’ordinateurs. C’est la raison pour laquelle des sites de commerce en ligne vendent maintenant des produits déclinant les différentes blagues globales nées sur internet afin de satisfaire les envies des internautes toujours plus nombreux et sensibles à ces références. Toutefois, cette valorisation économique n’est pas seulement une reprise directe de ces phrases ou de ces images circulant sur internet imprimées sur des tasses ou des t-shirts. En dehors des individus propres, des entreprises évoluent au contact des Mèmes internet et se posent des questions sur la façon de les traiter. Un sujet qui était auparavant obscur et confidentiel est en passe de s’établir comme un élément culturel important de nos sociétés connectées. On le voit, depuis que certains Mèmes internet sont repris dans une logique commerciale, ou alors des références s’y rattachant sont glissées dans des films publicitaires (Wonderful Pistachios, Volkswagen, Bouygues Télécom,…) Dans les campagnes mises en place par les agences de communication, les Mèmes internet sont utilisés comme autant de clins d’œil à un public d’internautes connaisseurs et amateurs de Mèmes. Des professionnels travaillant dans le monde du web les observent et les étudient avec hauteur de vue et recul. Ils essayent de livrer des points de repères et des grilles de lecture afin de planifier et d’élaborer des actions de communication sur internet en utilisant des ressorts identiques. Ce savoir et cette connaissance accumulés permettent à présent de procurer à des agences de communication des avantages compétitifs, qu’elles peuvent faire valoir auprès de leurs clients. L’étude des Mèmes internet permet à présent de nourrir la réflexion tournant autour des actions de marketing viral. Ce type de marketing, destiné à se servir des publics exposés comme relais volontaires de communication auprès de leur cercle de connaissance n’est pas sans rappeler les thèses de Dawkins. On verra si le monde des professionnels s’est mis à employer l’expression Mème internet suite aux diverses appropriations constatées de ce mot. On verra aussi les enjeux de pouvoirs que recouvre l’utilisation de l’expression par des professionnels. L’ampleur du succès de l’expression Mème internet, toujours plus large et grandissant ainsi que ses multiples réappropriations la chargeant de sens nouveaux interroge fatalement le communiquant. Surtout devant l’affirmation grandissante de cette expression sortant maintenant du cadre des réseaux, pour se répandre dans les journaux et sur les écrans de télévision. 7
  • 8. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Il se trouve décidément ici des questions à poser au sujet de la diffusion et de l’appropriation d’une expression censée caractériser les phénomènes de circulation dans la culture. En effet, comment une telle expression, aussi récente dans l’histoire et dans la sphère linguistique française a-t-elle pu se répandre de manière aussi large et rapide au sein de plusieurs strates différentes de la société ? Quelles sont les raisons et les moteurs qui ont pu l’aider à se hisser aussi rapidement et aussi fortement dans les imaginaires de centaines de milliers d’individus ? Quelle vision de la circulation dans la culture nous procure-t-elle ? Que nous dit-elle au sujet de l’émergence d’une culture web ? Les réponses mises au jour permettraient de mieux comprendre une vision répandue de la transmission de la culture. Une vision disposant de forces et de faiblesses qui semble persister aussi bien sur les réseaux que chez les professionnels de la communication.  Problématique Autant de questions que l’on articlera et résumera en une seule problématique : Comment comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès, sur les réseaux et dans le monde des professionnels de la communication, d'une expression inadéquate pour caractériser les phénomènes de circulation dans la culture? On répondra à cette problématique en formulant et éprouvant les trois hypothèses suivantes : Hypothèse 1 : L’expression « Mème internet », issue de l’école de pensée Mémétique a rencontré rapidement le succès grâce à une vision simplifiée et imagée de la communication, parlante et compréhensible par le plus grand nombre. Hypothèse 2 : Le Mème internet est un objet récupérable par un ensemble de différents acteurs individuels et économiques pouvant en tirer différents bénéfices selon des stratégies différentes. Hypothèse 3 : Le Mème internet est un signe de l’émergence d’une culture web et permet à cette culture de s’exprimer. 8
  • 9. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA  Corpus et Méthodologie Avant d’entamer le travail consacré à l’étude de la réappropriation et de la diffusion de l’expression Mème internet, un arrêt sur le corpus des notions que le sujet recouvre est nécessaire. On exposera aussi ici le cheminement et la méthodologie empruntée afin de mener à bien ce travail. En premier on investiguera la notion de « Mémétique » ayant donné naissance à l’expression Mème internet. Développée par une école de pensée défendant une vision de la communication perçue comme une « Epidémiologie des représentations »2. Cette école de pensée conceptualise la culture comme agissant comme une infinité de représentations infectant les individus et les sociétés comme des virus. Le fait d’entretenir cette comparaison implique aussi celui du cycle de vie d’une représentation à l’instar des êtres vivants. Les représentations dans ce paradigme conceptuel sont considérées comme étant des Mèmes, des unités de savoir indivisibles3, capable d’apparaitre, de croitre et de mourir. On verra en quoi cette vision particulière de la culture et de la vie en société découle d’une « vision naturaliste » de la culture et de la société. On examinera comment a pu évoluer dans le temps ce mode de pensée ainsi que sa vision au sujet de la caractérisation des phénomènes de circulation de la culture sur internet. L’étude de cette expression particulière et des traces de sa diffusion sera menée à bien grâce à différentes méthodes. La première de ces méthodes est l’étude documentaire. On analysera des sources sélectionnées les plus fiables possibles permettant de retrouver des traces de la diffusion de cette expression. On analysera aussi cette dernière afin d’essayer de comprendre les raisons de son succès, et les imaginaires la constituant. Les éléments tirés de cette analyse seront utiles à la compréhension de son succès. Cette étude comprendra en dernier lieu l’exposé des limites de cette expression. On verra alors ce qu’elle a d’inadéquat lorsqu’on l’utilise pour décrire et observer les mécanismes de la communication. Après avoir étudié et interrogé l’expression Mème internet, on verra comment différentes entités actives sur les réseaux se la sont approprié. Dans le cadre d’un mémoire professionnel, on étudiera aussi comment divers acteurs professionnels de la communication ont appréhendé et repris cette expression à leur compte. On se basera à nouveau sur une étude documentaire enrichie d’analyses d’écrits d’écrans pour constater cette reprise. Ces études nous permettront de voir non seulement si l’expression a été reprise, mais également l’usage qui est fait des références issues de ce folklore cultivé sur internet. Dans le but d’obtenir des 2 Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob. 3 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. 9
  • 10. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA résultats encore plus proches des réalités professionnelles, on s’est livré à des entretiens individuels semi directifs d’une heure chacun en compagnie de professionnels de la communication sur Internet. Ces entretiens permettront de saisir l’impact de telles théories sur leur quotidien de professionnels et sur l’approche que agences et annonceurs peuvent développer vis-à-vis de ces dernières. Dans un troisième et dernier temps, on verra comment cette expression peut incarner à sa façon tout un imaginaire de la culture existant sur internet. En effet, quelque chose réside au-delà de la promesse faite par l’usage de cette expression. On terminera par une analyse de la charge personnelle que les internautes peuvent appliquer à cette expression. On verra la lecture qu’ils peuvent avoir de leur usage quotidien de cette expression, ceci par le biais d’un questionnaire à remplir en ligne proposé à un échantillonnage d’internautes familiers des Mèmes internet. Ces éléments permettront ensuite d’ouvrir une réflexion sur le poids que peuvent avoir les réseaux dans l’élaboration et la création de la culture. Cette démarche ainsi que les méthodologies employées ont pour seul but de répondre au mieux à la problématique fixée. A savoir comment mieux comprendre la diffusion, la réappropriation et le succès, d'une expression inadéquate pour caractériser les phénomènes de circulation dans la culture. La réponse apportée s’articula trois étapes de réflexion principales. La première étape sera consacrée à l’interrogation de l’expression Mème internet. Ceci dans le but d’essayer de comprendre ce que son usage peut avoir d’attrayant et de séduisant pour tout un ensemble d’acteurs. Il s’agira lors du traitement de cette partie d’isoler les bénéfices concrets pouvant pousser différentes entités à utiliser cette expression. Si les bénéfices perçus liés à l’usage de cette expression peuvent justifier sa diffusion, d’autres facteurs peuvent eux aussi l’expliquer. On examinera donc dans une seconde étape si certains de ces acteurs ont pu tirer une quelconque forme d’intérêt du fait de relayer et de diffuser au maximum cette expression. L’ultime étape de ce mémoire sera consacrée à l’étude des imaginaires développés par les internautes familiers de cette expression. On tentera de déterminer de quelle manière les personnes familières de l’expression, et l’utilisant sur les réseaux la perçoivent. Le fait de savoir de quelle manière les internautes ont eux même chargé cette expression de sens nouveaux peut aussi fournir des informations précieuses au sujet de la réappropriation et du succès d’une telle expression. 10
  • 11. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA I/Une expression issue de la Mémétique : une vision de la communication simplifiée et évocatrice On commencera ce travail par investiguer en détails l’expression Mème internet. On se livrera à une lecture précise de cette expression ainsi que de l’école de pensée qui l’a engendrée. On verra les mécanismes à l’œuvre ainsi que le cheminement intellectuel que ses créateurs ont emprunté afin d’y aboutir. Cette lecture attentive de la théorie Mémétique et de ses connections avec différents champs d’études scientifiques nous permettra de mieux comprendre les origines, le sens de cette expression ainsi que la charge des imaginaires qui y sont liés. En effet, l’usage de ce mot n’est pas neutre. Il dénote d’une certaine vision de la communication comportant des points forts et des points faibles favorisant ou freinant son appropriation dans la société. En se livrant à cette lecture rigoureuse et précise, on sera en mesure de reprendre point par point ses facteurs, afin d’être parfaitement familiarisé avec l’expression et la somme d’imaginaire qu’elle renferme. On commencera tout d’abord par voir comment les écoles de la Mémétique et de l’épidémiologie des représentations abordent et théorisent les phénomènes de communication. Cette approche sera simplement observée et non questionnée. On verra ce que renferment ces théories et on examinera ce que leur vision de la communication a de plaisant et de séduisant. Ces éléments permettront d’avoir de premières explications quant à leur succès d’usage. Grace à cette toute première partie, on pourra commencer par évoquer la simplicité et la clarté de leurs théories. Des théories dont la compréhension générale est aidée par une multitude d’analogies, de métaphores et de comparaisons imagées et truculentes permettant à chacun de se figurer mentalement leurs mécanismes et leur fonctionnement. Ces explications, moins austères et plus visuelles que d’autres existant par ailleurs ont permis de toucher un public beaucoup plus large que les chercheurs, étudiants, et autres spécialistes scientifiques. Un public large qui n’a pas été repoussé par une vision de la circulation de la culture difficile à etudier et ardue à comprendre. Ces parallèles et métaphores illustrant ces théories leur donnent une force évocatrice des digne des contes et légendes. Auparavant racontés au coin du feu, ils sont maintenant communiqués dans des salles de réunions ou sur des sites internet. On verra ce que ces théories, mettant en scène des forces supérieures aux individus ont de simple et de facilement compréhensible par tous. Après cette première partie de description et d’explication de cette expression, on s’attèlera à retracer la provenance de cette dernière. On pourra voir comment cette expression a évolué dans le temps, nous permettant d’embrasser d’un seul regard la galerie de personnages l’ayant façonné dans le temps. En s’intéressant à leurs travaux ainsi qu’à leur pensée, on pourra voir où les théoriciens de l’école 11
  • 12. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Mémétique ont pu tirer leur inspirations et leurs repères afin d’ébaucher cette théorie aboutissant à la création de cette expression. La brève histoire de cette expression pourra nous aider à comprendre pourquoi et comment ces idées ont peu à peu émergé. On verra que les disciplines auxquelles Dawkins à emprunté une partie de son cheminement de pensée ainsi que sa rhétorique se situent bien loin des sciences de l’information et de la communication. Ces champs d’étude, auxquels il a emprunté des expressions ont eu pour lui plusieurs avantages : le premier étant de lui fournir autant de cas et d’analogies nécessaires pour illustrer et argumenter son propos. Le second étant de légitimer un discours emprunté à des sciences formellement connues et étudiées sous le même nom depuis une période bien plus longue que travaux consacrés menés dans les champs de la culture et de la communication. On pourra citer parmi celles-ci la biologie, l’éthologie, la zoologie, l’étude comportementale comparée. Ces pratiques anciennes résonnent avec sérieux et une impression de légitimité scientifique dans le développement des thèses Mémétiques. Elles permettent d’éluder une grande quantité de critiques et de nuances qui pourraient éventuellement apportées par un public plus expert en la question. C’est la raison pour laquelle les références à des champs d’études anciens sont un facteur supplémentaire dans l’adoption de cette expression non dénuée de défauts. Dans le tout dernier développement de la première grande partie de ce mémoire, on s’attardera sur tous défauts inhérents à cette théorie Mémétique. On listera point par point toutes les limites et les reproches qu’ont pu émettre d’autres chercheurs et experts étudiant les phénomènes liés à la communication. La mise en avant de ces limites est importante, car elle nous permettra d’alerter le lecteur. En effet, si cette théorie revêt un aspect séduisant, clair et facile à comprendre, elle est loin d’être parfaite. A la vue de l’appropriation massive de cette expression, il est important de voir que ses limites et ses imperfections n’ont pas pour autant empêché l’usage de celle-ci. Cette mise en perspective de la théorie Mémétique permettra de voir que la validité scientifique n’est pas un élément suffisant pour la discréditer et dissuader les internautes d’utiliser une expression. La simplicité liée à son usage afin de décrire des mécanismes très longs et très complexes est aussi un facteur important d’appropriation. Le développement de ces différentes parties terminé, on verra mieux de quelle manière l’expression Mème est parlante et facile à comprendre par le plus grand nombre. Une simplicité et une puissance évocatrice parlant à un large public, s’appropriant facilement ce mot au fur et à mesure du temps. Les générations précédentes de scientifiques et leurs études ont peu à peu façonné ce mot et l’ont chargé de différents sens, révélateurs de leur pensée et d’une certaine conception du monde. Ces 12
  • 13. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA racines visibles, même attaquables et critiquables d’un point de vue scientifique ont contribué à le légitimer l’expression « Mème ». Au-delà de son caractère imparfait pour décrire de manière exacte ce type de phénomène de circulation de la culture 1. Une théorisation de la communication simple et évocatrice Le premier scientifique à avoir utilisé l’expression Mème orthographié de cette manière est le biologiste Richard Dawkins qui fait abondamment usage de cette expression de son usage dans son ouvrage « Le gène égoïste »4, paru en 1976. Dans ce livre, Dawkins donne son interprétation personnelle de l’évolution des espèces par la sélection naturelle. Contrairement à la théorie de Darwin exposée dans « L’Ébauche de l’Origine des espèces »5, il ne considère pas que la faculté d’adaptation des espèces à leur environnement constitue leur premier facteur d’évolution ou de disparition impactant ces dernières. Pour lui, seuls les gènes des individus et leur aptitude inclusive (la quantité de réplications que ces gènes parviennent à transmettre) décident de la sélection naturelle au niveau des espèces. Il personnifie et qualifie les gènes comme étant égoïstes car luttant pour leur propre survie, même parfois au détriment de la vie de leur hôte. C’est cette lecture qui lui permet de donner une explication à de phénomènes comme l’altruisme ou le sens du sacrifice. Les gènes sont à l’origine de ces décisions afin de sauver des individus du même cadre familial, et ainsi de garantir dans l’absolu une plus large réplication de ces gènes identiques ou similaires. L’auteur de cette théorie, contestée et discutée dans le domaine de la biologie a aussi inventé le concept de Mème comme une unité de l’évolution identique, mais cette fois ci culturelle. Ce Mème fonctionnerait de la même manière, et Dawkins l’utilise comme une analogie directement calquée sur le fonctionnement des gènes. Ce Mème est décrit par Dawkins comme étant « une unité d’information contenue dans le cerveau, échangeable au sein d’une société ». Selon Dawkins, cette unité de savoir, de connaissance peut être, à l’instar des gènes répliquée à l’identique par l’apprentissage et l’imitation, mais elle peut aussi muter et évoluer au cours du temps et par le biais innovations et de découvertes qui vont enrichir ou faire évoluer cette unité d’information. Pour Dawkins, tout comme les gènes, les unités de savoir les plus faibles finissent par être marginalisées et disparaissent, et les plus fortes sont copiées, répliquées et adoptées à plus grande échelle. Dans son propre ouvrage, l’auteur se sert d’exemple concrets afin d’illustrer ces principes. Il prend tour à tour la mode, le célibat, ou la croyance en dieu dans les sociétés pour évoquer ces unités de 4 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. 5 Darwin, Charles (1992). Ébauche de l’Origine des espèces (essai de 1844)’. Two Essays written in 1842 and 184. Lille, Presses universitaires de Lille. 13
  • 14. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA savoir. Ces idées plus fortes que les autres, se frayant de manière irrépressible et imperturbable un chemin dans les cerveaux de populations entières. Ces idées fortes, peuvent selon lui décider, à l’image des ses théories sur les gènes, de la survie ou de la disparition de sociétés entières. Cette analogie poussée en avant, cette expression choisie de manière arbitraire et subjective par Dawkins a obtenu un grand succès d’usage comme on le verra dans les prochaines parties de ce travail. Ce succès d’usage a été tel que l’expression au sens culturel a été reprise lorsque l’on parle des Mèmes internet. Celle-ci a d’ailleurs supplanté et éclipsé une grande partie du travail de Dawkins non dédié à l’étude de la culture et de sa circulation dans son ouvrage. Cette vision simplifiée d’un phénomène si complexe a rencontré un grand succès d’usage. En effet, cette expression a été ajoutée dès 1988 à l’Oxford English Dictionnary, dictionnaire de référence de la langue anglaise. A l’étonnement de Richard Dawkins lui-même, qui n’avait pas prévu cette adoption et le succès d’usage si rapide d’un élément pourtant mineur de son ouvrage. L’usage de ce mot est en effet séduisant, et ceci à plusieurs degrés : L’expression Mème jouit d’une définition si vague et imprécise qu’elle peut être utilisée dans un large éventail de contexte. Une unité de savoir partageable peut s’appliquer à un large champ de phénomènes impliquant une forme d’échange social par exemple une mode, une conception particulière de la vie, une coutume, une croyance, une tradition, un reflexe…Comme on le verra plus tard, cette expression a été à nouveau dérivée car elle a donné naissance au Mème internet, son pendant sur les réseaux. Ces phénomènes de circulation de la culture existants sur internet ne disposant pas encore de nom précis, ils n’ont pas fait exception à l’emploi de cette expression. Il est intéressant de noter qu’un ensemble de chercheurs, y compris en France ont continué à pousser et à développer l’étude des Mèmes internet. Cette école de pensée et celle de l’épidémiologie des représentations représentée par le chercheur Dan Sperber. Une théorie présentée et défendue dans son ouvrage « La contagion des idées »6. Sperber explique comme Dawkins à l’aide d’une métaphore biologique le schéma de partage et de transmission des idées. Cependant pour Sperber, les unités de savoirs et les représentations ne sont pas répliquées et transmises comme des gènes mais elles se propagent entre individus comme un virus. Sperber s’est attelé a mettre en évidence les mécanismes cognitifs humains comme des milieux et des terreaux favorables dans lesquels les idées peuvent circuler et s’épanouir, hors du contrôle de leur hôte. Si ces deux écoles de pensées ne sont pas identiques elles sont très similaires et leurs théories ont séduit. Leur largeur d’interprétation leur ont permis de prospérer et de connaitre un succès d’usage. Lorsque l’on parle de communication virale dans le cadre d’une campagne sur internet, on fait, en en 6 Sperber, Dan. (1996) La Contagion des Idées. Paris, Odile Jacob. 14
  • 15. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA ayant conscience ou non, référence à un schéma de transmission de la culture théorisé par l’école de l’épidémiologie des représentations. La définition vague et large de ces expressions n’est pas le seul facteur d’appropriation lié à ces dernières. Un autre aspect séduisant lorsque l’on évoque les mécanismes de circulation de la culture à l’aide de cette expression est la simplicité. Beaucoup de penseurs se sont heurtés à la complexité des mécanismes de la circulation de l’information. La communication est une matière difficile à observer et à étudier. Les médiations, leurs lots d’innombrables d’infimes modifications, leurs imperfections, les motivations d’acteurs différentes, comportant à chaque fois des enjeux de portée et de pouvoirs spécifiques font de cette étude attentionnée une tache ardue. La seconde force de l’expression en elle-même est donc sa simplicité permettant d’englober et de résumer à elle seule l’étendue de la chaîne d’actions et d’évènements attenante à chaque transmission d’une information. En prenant le soin d’affirmer que cette unité de savoir peut évoluer, survivre ou disparaitre, l’expression multi usages qu’est le Mème peut couvrir à elle seule tous les cycles de médiations possible sans vraiment les décrire, ni les interroger. On reviendra, plus tard sur les imperfections de cette expression, et l’ensemble d’éléments pourtant clef qu’elle passe sous silence. Tous cachés à l’ombre de ce grand chapeau large et inadéquate qu’est le Mème internet. Un chapeau imparfait, certes, mais confortable à utiliser. Après l’amplitude d’usage et la simplicité de la métaphore filée que constitue le Mème, une dernière raison peut expliquer le succès d’usage de cette expression. Il s’agit de la force évocatrice de l’expression Mème et de ses dérivés : Mémétique, Mème internet, épidémiologie des représentations…Ces mots font appel à des imaginaires assez visuels et facilement mentalement et intellectuellement représentables. Lorsque l’on parle de gènes se répliquant et survivant, on peut penser directement au cycle de la vie, au processus de transmission de l’ADN permettant de fusionner ces longues doubles hélices de molécules capables de faire tenir tout le patrimoine génétique d’une personne dans moins d’une goutte de sang. On peur se figurer facilement l’ADN le plus vigoureux se frayer un chemin dans les ramifications de l’évolution des espèces. Ce n’est pas un hasard si les gènes les plus forts sont appelés les gènes dominants et les plus faibles des gènes récessifs, finalement devenant muets et finissant par disparaitre peu à peu. Il y va de même avec la figuration d’une idée virale, dont la pandémie toucherait le monde en se répandant de conscience en conscience. L’expression Mème a ceci de séduisant qu’elle est très facilement figurable et représentable. Plus une expression sera simple à comprendre, plus les individus auront recours à elle. Ceci peu importe son origine ou son caractère inadéquat dans l’absolu. 15
  • 16. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA On peut donc affirmer que trois grands facteurs ont pu faciliter l’appropriation de cette expression afin de définir les phénomènes de circulation dans la culture :  Le premier étant un champ d’usage très vaste et quasiment non clivé, permettant de l’utiliser dans une multitude de contextes, afin de décrire une multitude d’évènements sans avoir à les distinguer les uns des autres.  Le second étant une grande simplicité, un seul mot est nécessaire pour décrire un processus de circulation à la fois très riche et très complexe. Ce raccourci permet une facilité d’usage accrue, permettant une économie de temps, d’efforts et de précautions discursives qu’elle permet.  Le dernier facteur étant d’incarner une métaphore parlante et facilement figurable. Son pouvoir évocateur lui donne une facilité de figuration et d’usage. Ce cheminement de fonctionnement par analogie biologique permet à des individus de décliner dans un autre registre un mécanisme qu’ils connaissent déjà. Un système plus facile à s’approprier rapidement qu’un paradigme pouvant leur sembler original et exotique, c’est à dire difficile à rapidement appréhender. Toutes ces raisons parviennent à expliquer en partie le succès de cette expression, mais cette explication serait incomplète sans une brève histoire de l’évolution de l’expression afin de comprendre les origines du cheminement intellectuel menant à sa création et à l’usage de ce champ métaphorique particulier. 2. Un schéma de pensée séduisant, hérité de diverses disciplines scientifiques Le fait d’observer de quoi relève l’expression Mème est une première étape nécessaire, mais encore insuffisante. Il convient de pousser plus en profondeur l’analyse de l’expression afin de se plonger en elle pour comprendre ce qu’elle renferme de si fort et de si évocateur. On s’attèlera dans cette partie à retracer la genèse de l’expression en question dans le but de mieux la comprendre et la cerner. On s’attardera sur les motifs et les raisons qui ont poussé Dawkins à choisir et retenir cette expression. La découverte de ses racines permettra de voir dans quelle démarche intellectuelle s’inscrit le penseur pour énoncer ainsi ses thèses. En effet, le but de cette partie est aussi de constater que le mot Mème n’est pas un mot neutre et que son élaboration n’est pas seulement le fait de Dawkins, mais de tout un patrimoine antérieur. Dans son ouvrage, le chercheur revient sur son raisonnement afin d’aboutir à une expression de son cru, capable d’encapsuler l’ensemble du concept qu’il avait alors en tête : 16
  • 17. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA « Nous avons besoin d’un nom pour ce nouveau réplicateur, d’un nom qui évoque l’idée d’une unité de transmission culturelle ou d’une unité d’imitation. « Mimème » vient d’une racine grecque, mais je préfère un mot d’une seule syllabe qui sonne un peu comme « gène », aussi j’espère que mes amis, épris de classicisme, me pardonneront d’abréger mimème en mème. Si cela peut vous consoler, pensons que mème peut venir de « mémoire » ou du mot français « même » qui rime avec « crème » (qui veut dire le meilleur, le dessus du panier) »7 Après avoir vu ce que définissait cette expression, une courte analyse étymologique de la racine de ce mot s’impose. Celle-ci permettra de mieux appréhender les imaginaires sous jacents de cette notion. L’expression « Mimème » mentionnée par Dawkins est issue de la racine en grec ancien μιμητισμός (mimetismos) signifiant « copier » par la suite dérivée en «mimema » qui signifie « quelque chose imité » qui donnera en français les mots « mémoire », « mimer » ou encore « imiter »8. Cette racine est chargée de mythes et d’imaginaires depuis l’antiquité grecque. Elle revêt une grande importance dans la mythologie grecque, « Mnémé » était la Muse de la mémoire, fille de Mnémosyne (déesse de la Mémoire) une des trois premières Muses (les Béotiennes). Cette expression d’origine très ancienne, n’a pas resurgi dans notre champ médiatique ex nihilo. Sa création et son appropriation sont le fruit de plus d’un siècle de façonnement dans divers milieux scientifiques. On peut noter ici que Dawkins est parti de la racine d’un mot grec « Mimème », qu’il a souhaité raccourcir pour le rendre à la fois plus facile à prononcer, et plus proche phonétiquement du mot « gène », qui est alors l’élément central d’étude de son ouvrage. Cette troncature n’est donc pas innocente et maximise les chances de reprise facile par le public. Lorsque Dawkins procède à ces modifications, il charge cette expression d’une puissance encore plus évocatrice et imagée que la précédente. Celle d’images et de figures empruntées à la mythologie grecque mêlées à celui de la génétique. Un imaginaire qu’il rend encore plus accessible en l’adaptant d’une langue dite morte (le grec ancien) à des langues vivantes, d’usage plus commun. La prononciation phonétique du mot est ainsi facilitée et son raccourcissement permet d’en faciliter encore plus l’usage. Si les apports de Dawkins sont les plus récents et les plus évidents lorsque l’on étudie les évolutions ayant conduit à l’expression « Mème », il ne faut pas négliger les travaux d’auteurs et de chercheurs l’ayant précédé. En effet, l’usage de cette expression dans un champ de recherche scientifique prend ses racines dans le champ de la biologie, la zoologie et l’éthologie comparée. 7 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. p 257 8 Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) 17
  • 18. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA L’utilisation la plus ancienne de l’expression relevée est celle faite par le biologiste allemand Richard Wolfgang Semon parue en 1904 sous le titre « Die Mnemischen Empfindungen in ihren Beziehungen zu den Originalempfindungen» 9 dans le cadre d’une étude sur la biologie comportementale des animaux. Le périmètre de travail de Semon concernait quant à lui l’étude du fonctionnement du cerveau. Plus précisément au niveau des informations et les reflexes ancrés dans le système limbique du cerveau. La partie qualifiée comme étant la plus primitive et la moins connue du cerveau sensée influer sur les émotions. Pour lui, des traces de mémoire biologique de base sont stockées dans le cerveau et s’expriment sous forme de réponses modifiant les équilibres biophysiques et biochimiques dans les tissus de cet organe sous l’effet de certains stimuli. Si les découvertes au niveau des équilibres chimiques provoquant les émotions dans le cerveau semblent donner raison à Semon, sa notion de traces de mémoire les provoquant à été reprise au pied de la lettre et est restée. Sa description imprécise due à ses moyens technologiquement limités s’est propagée. Ella a évolué jusqu’à devenir celle que l’on connait maintenant. L’apparition de l’expression « Mneme » remonte à la traduction de cet ouvrage en anglais en 1921, le traducteur L. Simon aura remplacé le long titre d’origine par l’expression «The Mneme»10 issue du grec ancien afin de raccourcir un titre jugé barbare par le traducteur-scientifique. Le belge Maurice Maeterlinck (Prix Nobel de Littérature en 1911) reprendra en langue française l’expression « Mneme » dans son ouvrage « La vie des termites »11 publié en 1926. Le biologiste anglais Richard Dawkins va apporter la touche finale au mot en investiguant les traces de mémoires mis en avant par Semon. Dawkins va situer ces « traces » au niveau des gènes, dont l’existence était inconnue lorsque travaillait le chercheur allemand. Tout ceci, en recherchant comme évoqué précédemment une expression monosyllabe apte « à définir une unité d'information contenue dans un cerveau, échangeable au sein d'une société » se rapprochant phonétiquement du mot « gène »12. C’est durant ce travail qu’il va donc contracter l’expression « mneme » préalablement utilisée par Semon pour obtenir par la suite de mot « Meme » en anglais. L’auteur a ensuite étendu son concept au champ non biologique mais culturel, lui donnant un poids et une signification encore différente. Cette signification, alors dotée d’un nouveau sens a fait florès. L’expression Mème est donc instituée suivant un des dictionnaires en langue anglaise référent comme « Un élément d'une culture pouvant être considéré comme transmis par des moyens non génétiques, en 9 Semon, Richard Wolfgang, (1909). Die Mnemischen Empfindungen in ihren Beziehungen zu den Originalempfindungen. Leipzig, W. Engelmann. Ouvrage non traduit en français dont le titre pourrait se traduire par « Les sensations mémorisées par rapport aux sensations d’origine ». 10 Semon, Richard Wolfgang (1921). The Mneme. London, George Allen & Unwin. 11 Maeterlinck, Maurice (1927). La vie des termites. Paris, Fasquelles Editeurs. 12 Dawkins, Richard (2003). Le gène égoïste. Paris, Odile Jacob. 18
  • 19. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA particulier par l'imitation »13. Avec le recul des années sur le cheminement de cette expression et de ses diverses reprises on peut voir qu’elle a clairement quitté le champ d’étude premier pour lequel elle a été créée. Un succès d’usage dépassant son périmètre d’étude biologique strict pour décrire des phénomènes de communication. L’aspect séduisant et rassurant de cette expression repose aussi dans ce patrimoine de recherches dédiées à la biologie. Un concept initialement crée pour servir une théorie dans le cadre d’un champ d’étude scientifique particulier a été par la suite transposé à un champ totalement différent : celui de la communication. Ce schéma de pensée a été massivement repris sans faire cas des apports des sciences sociales dans l’étude de la communication et de la transmission de l’information. Ce changement de terrain qu’un observateur attentif pourrait condamner ou appréhender n’a pas empêché les internautes de se servir et de citer cette expression à leur guise. Loin d’avoir fragilisé cette expression, cette généalogie, cette filiation l’a renforcée. Chacun y a vu un gage de rigueur scientifique, apte à expliquer les phénomènes de communication avec tout le sérieux et la méthodologie nécessaire à l’investigation scientifique. C’est par le glissement progressif décrit plus tôt que ces théories ont évolué du milieu de la biologie à celui de l’étude de la communication. Un glissement qui a eu lieu sans entamer pour autant le sérieux et le crédit porté à ces théories. L’image perçue de l’épopée scientifique joue aussi pour cette pensée. Le passé riche d’une quantité de chercheurs et de savants dont les mérites ont été reconnus et récompensés par leurs pairs. Cette filiation ancienne permet donc d’apporter encore plus d’eau au moulin des tenants des théories de la Mémétique. Le prestige de la lignée de ces chercheurs a permis d’éclipser ce phénomène de glissement progressif. Ce dernier a occulté le changement évident de milieu et les mutations qu’ont connues ces théories. Ce nouvel apport joue lui aussi dans le sens du succès des théories Mémétique. Ces théories, déjà très évocatrices, sont comme légitimées par les travaux rigoureux et antérieurs d’une longue lignée de savants. Ces personnes ayant fourni un travail reconnu, enseignant et publiant dans de grandes institutions (Oxford pour Dawkins, le CNRS pour Sperber). Des organismes reconnus pour leur exigence et leur rigueur ont fourni à ces écoles de pensée un passé crédible et digne de foi pour le grand public. Il est facile lorsque l’on parle d’épidémiologie des représentations d’imaginer Louis Pasteur à l’œuvre, travaillant méthodiquement sur l’étude de différents bacilles et souches virales contagieuses. Cet imaginaire biologiste et scientifique n’est pas qu’une extrapolation exagérée des travaux liés à ces mouvances intellectuelles et scientifiques. 13 Oxford English Dictionnary (EOD) (http://oxforddictionaries.com/definition/meme) 19
  • 20. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA On étudiera dans la partie suivante, exemples à l’appui les champs lexicaux employés dans les travaux réalisés par ces mêmes personnes. Un vocabulaire faisant totalement référence à la biologie. L’analyse de ces extraits, recontextualisés et mis en perspective permettront d’établir encore mieux les raisons pour lesquelles ces expressions sont si attirantes et séduisantes pour un très grand nombre de personnes. Une des raisons pouvant servir à expliquer leur succès d’usage et leur adoption. 3. Une vision de la communication conceptuellement imparfaite On a pu lors de ces deux premières parties du mémoire en quoi la Mémétique constituait une théorisation de la communication simple et évocatrice et d’où elle tirait sa force de séduction. On s’intéressera en détails à l’ensemble des faiblesses conceptuelles défendues par l’école de la Mémétique ainsi que celle de l’épidémiologie des représentations, plus présente et plus active en France. Le but de cette partie est de montrer que si l’expression Mème internet est séduisante et pratique, elle n’en reste pas moins évasive et inadéquate pour encapsuler toute une série d’éléments permettant la circulation de la culture sur les réseaux. On se servira pour cela de travaux d’autres chercheurs étudiant la communication et développant des approches différentes. Ceci afin de voir comment les approches holistes envisagent la communication : comme une somme de rapports individuels capables de porter la circulation de culture au sein des sociétés.  Une conceptualisation de départ issue d’un raccourci métaphorique Dan Sperber en France n’a pas été le premier à réutiliser un vocable et un champ lexical issu de la biologie et de la médecine pour tenter de décrire et d’expliciter des mécanismes de communication. Ce dernier s’est appuyé sur les travaux de chercheurs antérieurs, comme Richard Dawkins mais en particulier sur ceux de Gabriel Tarde qui avait précédemment utilisé les termes de « contagion » et de « propagation physique» même si ce dernier a reconnu qu’il ne s’agissait que d’une métaphore recourant à une analogie utilisée à des fins de simplification. Cependant Jeanneret souligne que la position de Tarde est ambigüe. Le chercheur est d’accord pour reconnaitre la primauté du social dans la communication face au physique et au biologique. Toutefois Tarde a recours à des métaphores venues d’autres champs d’étude pour décrire des interactions sociales. Jeanneret remarque que ses réflexions sont un peu biaisées, dans la mesure où il ne déconstruit que partiellement les phénomènes qu’il observe. Tarde raisonne la communication comme mécanisme de propagation par l’imitation. C’est un trait qui rapproche grandement les théories de 20
  • 21. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Tarde et de Dawkins au sujet de sa « Mémétique », que Jeanneret n’hésite pas à rattacher à la théorie d’imitation tardienne. « Les thèses qu’il a alors défendu [Sperber] sont issues d’une œuvre antérieure, celle de Gabriel Tarde ».14 Yves Jeanneret n’a pas été le seul à vouloir prendre du recul avec ces raccourcis simplificateurs qui peuvent s’avérer faux en définitive. Des chercheurs en sciences humaines travaillant actuellement sur ces phénomènes l’on souligné grâce à une analyse étymologique des expressions « Contamination » et « Contagion ». Il s’avère que celles-ci, massivement employées par Tarde, Sperber et Dawkins ne sont pas tout à fait fidèles et à même de décrire avec précision et justesse des interactions sociales. « Un premier problème semble accompagner toute utilisation du concept de contagion : il décrit un phénomène relationnel, mais le rôle des relata (éléments ou individus mis en relation) n’est jamais très clair. Décrire un phénomène contagieux, c’est à la fois dire qu’un individu en contamine un autre et dire que ces individus ne sont que les relais de quelque chose qu’ils ne maîtrisent pas. C’est plutôt le concept de contamination qui a le rôle de préciser ce qu’il advient des relata (un tel a été contaminé ; telle personne a contaminé telle autre, etc.). Il est intéressant de noter que les deux termes ont la même racine latine renvoyant au sens du toucher (contagion = cum tactus et contaminare = cum tangere). On constate cependant une asymétrie dans les adjectifs dérivés de ces substantifs : on peut être contaminé (en ce cas on est passif et patient), et non « contamineux » ; en revanche on est contagieux, le rire est contagieux. On peut décider de contaminer quelqu’un, mais non d’être contagieux. Le dédoublement des substantifs, contagion et contamination, est aussi riche d’enseignements. D’une part la contamination décrit le changement qui s’opère dans le patient qui subit la contagion, alors que l’individu contagieux peut ne contaminer personne. D’autre part on parle de la contamination de x par y, et non de contagion de x par y : grammaticalement la contamination prend en compte dans son processus des agents et des patients, à la différence de la contagion, qui décrit un processus de manière impersonnelle. […]Durkheim mettait en garde contre une utilisation irraisonnée du terme de contagion, souvent confondu avec la notion d'imitation, tout en précisant que celle-ci ne peut être le résultat d'une contagion que si, 14 Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels .Paris, Lavoisier p. 28 21
  • 22. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA une fois suscitée de l'extérieur, elle se produit de manière automatique et non volontaire chez un sujet ne pouvant pas lui résister (Durkheim, 1897). »15 Comme l’expliquent Coste, Robert, et Minard le paradigme de départ est biaisé, celui-ci empruntant beaucoup trop aux champs purement scientifiques, procurant aux chercheurs, des expressions erronées. Il s’agit ici de la première faiblesse dans le raisonnement mené par cette école de pensée : une réflexion pétrie de notions scientifiques ignorant dans une grande partie le poids des interactions sociales. Dans le modèle de pensée développé par Tarde et plus tard Sperber, chaque être humain est réduit à un réceptacle et les objets comme les « idées » et les « représentations » des particules plus petites pouvant l’occuper. Jeanneret met en garde le lecteur au sujet la métaphore épidémiologique que Sperber n’hésite pas à pousser à l’extrême : « Tout comme on peut dire d’une population humaine qu’elle est habitée par une population encore plus nombreuse de virus, on peut dire qu’elle est habitée par une population plus nombreuses de représentations mentales. La plupart de ces représentations mentales sont propres à un individu. Certaines, cependant, sont communiquées par un individu à un autre : communiquées, c'est-à-dire transformées par le communicateur en représentations publiques, puis retransformées en représentations mentales par leurs destinataires. Une très petite proportion de ces représentations communiquées le sont de façon répétée »16 Le reproche majeur qui est fait (en particulier de la part de Jeanneret) à cet usage systématique de la métaphore est qu’au lieu de simplifier une notion, elle permet à ses auteurs de passer d’un terrain à un autre. Le tout sans avoir pris le soin de rentrer plus dans les détails, de séparer les notions abordées en plusieurs morceaux afin de la dénaturaliser complètement. Toute tentative de démonstration complexe se heurte à une limitation tenant à l’usage systématique de la comparaison et de la métaphore. Le discours naturaliste porté par Sperber n’est pas seulement une simple posture rhétorique ou discursive. Pour lui la communication et l’échange d’information ne relève pas seulement d’une interaction sociale, mais aussi d’une prédisposition qu’il pense biologique. Comme on peut le lire dans cet article de presse spécialisée publiée dans la revue Sciences Humaines : « Les idées semblent circuler de cerveau à cerveau comme les virus d'un organisme à l'autre. Certains se transmettent facilement, d'autres ont plus de mal à s'imposer. Par exemple, les 15 Coste, Florent. Robert, Aurélien. Minard, Adrien (2010) « Contagion / contamination », Appel à contribution pour la Revue Tracés n°21 , Calenda, publié le jeudi 20 mai 2010. 16 Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob p. 39-40 22
  • 23. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA enfants comprennent très vite ce qu'est un chien, un chat, ou même ce que sont des girafes ou des serpents qu'ils n'ont jamais vus autrement qu'en photos. En revanche, ils ont du mal à discerner les pays sur une carte et a fortiori à retenir les tables de multiplication. Pourquoi ? Parce que le cerveau, répond Dan Sperber, n'est pas un estomac prêt à digérer n'importe quel type de nourriture. Il a des prédispositions à acquérir certaines idées plutôt que d'autres. Les figures animales feraient partie de ces idées facilement assimilables parce que dans le cerveau humain serait logé un module spécialisé dans la réalisation de cette tâche. Au demeurant, des lésions cérébrales très localisées conduisent à des troubles très spécifiques de reconnaissance des animaux. L'anthropologie cognitive, dont Sperber, comme Pascal Boyer (voir ci-dessous), est l'un des tenants, postule donc que la culture n'est pas seulement une construction sociale. Elle est soumise aux contraintes d'un cerveau façonné par des millions d'années d'évolution. La reconnaissance des animaux, pour nos ancêtres, était une aptitude essentielle à la survie, pas le calcul mental. Du coup, affirme Sperber avec provocation, il faut « naturaliser » la culture pour mieux la comprendre. D'où cet appel à un aggiornamento de l'anthropologie : « Anthropologues, encore un effort pour être vraiment matérialistes ! »17 Cet article montre l’existence d’une école « naturaliste » de penseurs dont Sperber est un représentant éminent. Pour lui la communication n’est pas seulement le fruit d’une interaction sociale mais aussi biologique. La lecture de cet article et de son livre donne la preuve que l’utilisation de ce type de métaphore n’est pas seulement un raccourci, ni une simplification volontairement réductrice. C’est le signe d’une vision plus radicale de l’anthropologie sociale qu’il défend dans sa publication, une « disposition naturelle à intégrer certains concepts de base »18 expliquant avec d’autres facteurs le fonctionnement des processus de circulation des idées. Les analogies avec le fonctionnement de la nature et de la biologie ne permettent pas d’adopter d’entrée l’expression Mème internet sans y voir la marque appuyé d’une conception naturaliste du monde et de la communication. 17 Dortier, Jean François (2003). La contagion des idées. Théorie naturaliste de la culture in Sciences Humaines Hors Série n°42 Septembre-Octobre-Novembre 2003 18 Sperber, Dan, (1996). La contagion des idées. Paris, Odile Jacob p. 96 23
  • 24. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA  Une négligence des conditions de la médiation Le paradigme de la communication tel qu’il a été conceptualisé et entretenu par Dawkins, Tarde et Sperber n’est valable que dans un contexte particulier. Il part du présupposé théorique que la communication soit directe et non entravée. Cette obsession de la pureté a été critiquée par Jeanneret dans la mesure où celle-ci délaisse totalement le terrain des médiations que la communication peut rencontrer. En évoquant l’expression Mème internet, on se passe de la description méticuleuse de la somme des rapports interpersonnels et techniques qu’une transmission inclut. Cette vision n’aborde aucunement la quantité sans cesse plus épaisse des conditions techniques, rhétoriques, économiques et historiques aptes à profondément influer sur un processus de communication. Une couche de médiation supplémentaire pouvant impacter de manière importante la transmission de la culture. Une importance que l’on a pu constater suite aux bouleversements provoqués par l’essor de différents médias. Les réseaux, des outils de médiation on joué un rôle important dans la diffusion de l’expression Mème. De même que les conditions techniques ont une importance prépondérante dans l’accessibilité et la capacité de manipuler et de transmettre les mèmes. Quand Tarde recherche la pureté dans la communication, il met la conversation entre individus au centre de toute sa théorie et néglige les autres. Jeanneret remarque que Tarde distingue les bons objets, les objets « dynamiques » (la conversation) et les mauvais objets « statiques » (les livres), or tous ces objets, bons ou mauvais selon Tarde peuvent servir à des fins de communication. Comment classifier les réseaux, des supports à la fois dynamiques et statiques ? Comment qualifier alors les gènes et les virus utilisés comme modèles par Dawkins et Sperber ? Jeanneret parvient à résumer la faiblesse de l’approche Tardienne en une seule phrase : « Tarde nous offre le modèle d’une théorie plaçant l’activité de communication au centre de la société sans rien étudier de la façon dont on communique ».19 Tarde passe sous silence le rôle et l’importance d’une médiation et d’un cadre d’énonciation particulier dans un processus de communication. Il n’hésite pas d’ailleurs à comparer les messages se propageant dans le vide intersidéral à la manière des rayons de lumière. Cette théorie néglige et ignore donc tout l’impact que peut avoir la nature de la médiation sur la réception et la compréhension d’un message. Il y va de la même manière avec les théories énoncées par Dawkins et Sperber : les gènes répliqués et imités ainsi que les virus s’imposent chez leurs hôtes s’ils sont assez forts pour le faire. Le 19 Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels .Paris, Lavoisier. P.31. 24
  • 25. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA tout en disant que les humains sont naturellement conçus pour imiter, grâce à leurs gènes selon Dawkins, et grâce à une aptitude naturelle du cerveau humain à héberger des imaginaires. Dans les deux cas, les sujets n’ont pas le libre-arbitre nécessaire pour changer ou de modifier une information. La seule instance ayant un certain degré d’autonomie est l’idée en question, luttant seule pour la poursuite de sa bonne évolution (le virus programmé pour se diffuser lors d’une pandémie, ou le gène fait pour se répliquer et se reproduire).  Une vision porteuse d’une forme de déterminisme technique et biologique Ces critiques faites au sujet du choix de l’expression Mème, même si elles sont tout à fait valables et justifiées doivent toutefois prendre en compte le cadre historique dans lequel elle s’est forgée. On a vu plus tôt que les premiers travaux menant à l’aboutissement de l’expression Mème remontent au début du XXème siècle. Les écrits de Tarde remontent quand à eux à la fin du XIXème siècle. Une époque d’expansion économique et de progrès technique et intellectuel. Beaucoup de scientifiques et de chercheurs ont fait preuve d’un véritable enthousiasme face à ces avancées et ont développé la conviction profonde que ce progrès en marche était irréversible et son expansion impossible à stopper. Tarde voit parmi les effets de cette philosophie du progrès une multiplication exponentielle des échanges entre différentes entités (groupe, société, individu, institution). Non seulement une augmentation statistique des échanges est mise en avant, mais aussi des assomptions au sujet de leur teneur et de leur qualité sont émises. Tarde pense que des sujets de conversation étroits, n’intéressant qu’un tout petit nombre d’individus vont céder la place devant le nombre d’interconnections constatées à des sujets d’ordre général et plus élevés. Comme si le progrès technique allait venir à bout des clivages pouvant exister entre différentes entités. Cette assomption n’a pas été totalement vérifiée au sujet d’internet où les sujets les plus discutés sur les différentes plateformes en ligne sont loin d’être les plus intellectuellement élevés et les individus qui en parlent ensemble sont aussi loin d’être de parfaits inconnus les uns pour les autres (ce qui est vrai en particulier au niveau des réseaux sociaux). On peut ajouter à ces arguments la fracture numérique entre les pays du Nord et du Sud, « le progrès » tel qu’on le concevait à l’époque de Tarde a durablement marqué cette école de l’épidémiologie des représentations qui en est aujourd’hui l’héritière. Jeanneret évoque même la pensée de Tarde comme étant d’une certaine manière fataliste : plus l’on crée de contact, plus l’on créera de communautés. On verra alors apparaitre comme résultante de ces échanges un contenu pour le chercheur digne d’intérêt. Ce raccourci est toléré par Tarde dans la mesure où il est convaincu de l’existence de protocoles de transmission d’informations et de pratiques 25
  • 26. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA sociales prévisibles, et prédictibles. Il appelle d’ailleurs cet ensemble « lois de l’imitation»20 dans lequel l’individu n’a que peu voire pas de volonté et de pouvoir de décision propre. D’où l’utilisation des expressions « contagion » et « imitation » analysées précédemment. Sans même évoquer les travaux de Dawkins et de Sperber qui ont récupéré et poussé plus loin les travaux de tarde. Jeanneret n’a pas été le seul chercheur à vivement critiquer l’école de pensée de l’épidémiologie des représentations. En effet, comme vu plus tôt, cette vision d’une épidémiologie des représentations, ne serait-ce que par le choix de son intitulé cristallise des imaginaires naturalistes et biologistes. Ces imaginaires qui ont été analysés et déconstruits par d’autres chercheurs. Dominique Guillo, chercheur au CRNS (GEMAS) a souligné que les théories et les thèses défendues par les écoles de l’épidémiologie des représentations et de la Mémétique relevaient d’un glissement dangereux des théories naturalistes Darwiniennes. Ces dernières étant valables dans le champ de la biologie pure mais très difficilement transposable vers un domaine de nature tout à fait différent comme les sciences sociales. « Le concept de Mème et, plus largement, la Mémétique, [apparaît] comme le résultat d'un simple transfert du lexique biologique dans le domaine de la culture »21 D’autres jeunes chercheurs, lui ont emboité le pas en mettant au jour la dimension naturaliste et biologiste des textes de Dawkins. Le réplicateur culturel ne serait que le moyen de recouvrir certains éléments jouant un rôle dans l’évolution et pouvant sortir du champ biologique pur, sans pour autant les décrire précisément. Nicolas Claidière, dans sa thèse de doctorat, a démontré que les théories avancées par Dawkins n’étaient qu’un support à une vision Darwinienne de l’évolution plus large et s’étendant du domaine de la biologie à celui des sciences sociales : « Le gène est, selon Dawkins, un exemple de réplicateur et l’évolution génétique n’est qu’un exemple d’évolution darwinienne : « L'argument que j'avancerai, aussi surprenant qu'il puisse sembler de la part de l'auteur des premiers chapitres, est que, pour comprendre l'évolution de l'homme moderne, il nous faut commencer par rejeter le gène comme seul fondement de nos 20 Tarde, Gabriel (1979). Les lois de l’imitation, Genève, Ed. Slatkine 21 Guillo, Dominique (2009). La culture, le gène et le virus. La Mémétique en question, Paris, Ed. Hermann. p. 32. 26
  • 27. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA idées sur l'évolution. Je suis un darwinien enthousiaste, mais je pense que le darwinisme est une théorie trop vaste pour être réduite au contexte étroit du gène. Le gène ne constituera qu'une analogie dans mon exposé, et rien de plus. » (Dawkins, 1976) […] Si la théorie de l’évolution est universelle et que l’évolution culturelle est indépendante de l’évolution biologique, cela suggère qu’il pourrait exister des réplicateurs culturels. Ces réplicateurs, Dawkins les appellent des « mèmes » et ils pourraient constituer, selon lui, les briques de base de la culture humaine. » 22 Dominique Guillo bat en brèche le Mème de Dawkins. Il considère l’expression comme un raccourci mis en place qui lui permettrait d’expliquer par de simples analogies et des observations comparées le fonctionnement de toute société humaine. L’auteur se montre circonspect quant à la base conceptuelle et théorique de cette école de pensée, c'est-à-dire le Mème comme réplicateur culturel dont la définition est imprécise : « [Le Mème, recouvrant] une réalité quelque peu mystérieuse [n'ayant] pas un degré de précision suffisant pour servir de point d'appui à un modèle tout à fait solide et fécond »23 Ces éléments résonnent comme autant d’arguments à ajouter au sujet de la mise en question des théories de l’épidémiologie des représentations et de la Mémétique ayant développé l’expression Mème. La largeur ainsi que le caractère imprécis cette expression, permettant une grande amplitude d’interprétations lui confère un caractère équivoque et inadéquat pour décrire la circulation de la culture sur les réseaux. Par son imprécision et la nature des imaginaires qu’elle colporte, elle contribue à colporter une vision de la communication très accessible par le plus grand nombre, mais aussi imparfaite. On aura vu dans ce premier développement plusieurs éléments cruciaux dans la compréhension de la réappropriation et du succès sur les réseaux qu’a connu cette expression. On a vu que l’usage de cette expression n’était pas neutre, et qu’elle favorisait une vision de la communication à la fois simple et évocatrice. Ces deux éléments sont d’importants atouts lorsque l’on veut favoriser l’usage et la réappropriation d’une expression. On ajoutera également une expression fortement liée aux premiers travaux scientifiques au sujet des sciences de la cognition et du comportement. Des théories travaillées par des chercheurs reconnus et récompensés pour leurs mérites. Un statut leur permettant de publier le fruit de leur recherche et de les 22 Claidière, Nicolas (2009). Thèse de doctorat. Théories darwiniennes de l'évolution culturelle : modèles et mécanismes .Université Pierre et Marie Curie spécialité Cerveau Cognition Comportement. P.76-77. 23 Guillo, Dominique (2009). La culture, le gène et le virus. La Mémétique en question, Paris, Ed. Hermann. p. 59 27
  • 28. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA partager avec tous. Toutefois, si ces chercheurs ont fourni des travaux remarquables dans le champ de la biologie, il ne faut pas oublie le glissement dont l’expression Mème à fait l’objet, transposée des sciences naturelles aux sciences sociales par le glissement d’une expression. Une expression dont l’origine n’est pas récente dans les faits, mais portant avec elle la caution de sérieux et de rigueur de plusieurs décennies de travaux scientifiques. Son adaptation au champ d’étude exigeant et complexe de la communication et la pertinence de celle- ci reste une autre affaire. Au final, si l’usage de cette expression et séduisant et a connu un succès d’appropriation, il est important de pouvoir prendre du recul et de voir qu’elle n’est pas tout à fait adéquate à la description de transmission de la culture sur les réseaux. En prenant du recul sur l’expression Mème, la rigueur et la précision, ont dans le cas présent fait place à la facilité de compréhension et de figuration permettant une appropriation plus facile de l’expression. Ceci d’autant que la description de la circulation de la culture sur les réseaux avait grandement besoin d’un mot capable d’incarner de manière simple les phénomènes de réappropriation observés sur internet. La commodité et la facilité d’usage de l’expression n’expliquent pas tout. Ces dernières, liées à une vision facile à projeter de la communication constituent les premières raisons capables d’expliquer la réappropriation et le succès d’une expression inadéquate pour décrire un phénomène de circulation dans la culture. On observera par la suite, d’autres raisons pouvant aussi contribuer à expliquer ce succès de réappropriation, au-delà des imaginaires qu’une expression peut convoyer avec elle. 28
  • 29. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA II/ Le Mème, un champ de représentations fonctionnant socialement 1. Le Mème internet, le fruit d’un cycle de médiations On a vu que l’expression Mème a été construite et élaborée sous l’influence de divers penseurs, eux mèmes influencés par des idéologies et des courants de pensée divers. Une fois ce champ investigué, on a pu comprendre que cette expression, et la manière dont elle a été créée l’ont chargé de significations. On examinera à présent comment cette expression a été utilisée pour parler de phénomènes observés sur internet. Le Mème étant une construction élaborée socialement, un être culturel, on ne peut pas parler de l’apparition brusque et soudaine d’un premier Mème Internet. Un Mème original et unique, apparaissant spontanément et donnant naissance à d’autres Mèmes. Comme on a pu le lire chez Jeanneret, il est strictement impossible de connaitre le premier Mème apparu. Le Mème étant un être culturel, il existait bien avant l’apparition d’internet et a connu une grande variété de formes et de définitions24. Cette expression étant une construction sociale, il serait illusoire de souhaiter remonter à son apparition. Toutefois, on peut essayer de remonter au moment auquel des phénomènes observés sur internet, reconnus mais sans nom particulier jusqu’alors, ont étés considérés comme des Mèmes. Le fait d’ajouter le substantif internet n’a fait que qualifier ces représentations comme étant existantes sur les réseaux. Puisqu’il est impossible de retrouver et d’identifier avec certitude le premier Mème crée, on se bornera à s’approcher du premier phénomène décrit comme étant un Mème internet, lié de manière apparente aux théories Mémétiques et celles de l’Epidémiologie des représentations. Si on a pu voir dans la partie précédente ce que l’expression Mème disposait déjà à elle seule d’une forte charge symbolique. On verra aussi comment elle a pu aussi impacter la vision de la transmission de l’information sur internet. Cette étape de développement permettra de connaitre encore plus en détails le succès de la réappropriation de cette expression sur les réseaux, bien qu’elle soit inadéquate pour qualifier ce type de phénomène de circulation de la culture. On verra ensuite comment la maitrise de ce type de théories peut être au cœur d’enjeux économiques importants. En effet, pour des agents économiques dont l’activité est basée sur la communication via internet, la maitrise et la connaissance de ces théories peuvent constituer des avantages compétitifs. 24 Jeanneret, Yves (2008). Penser la trivialité volume 1 : La vie triviale des êtres culturels, Paris, Lavoisier. 29
  • 30. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Cette connaissance est gage pour ces acteurs économiques de crédibilité, d’expertise et donc de pouvoir dont ils peuvent se servir auprès de leurs clients. On pourra donc voir comment et dans quelle mesure ce facteur peut influer sur la diffusion de cette expression.  Le Mème internet : un concept scientifique transposé à l’observation des phénomènes de transmission et de la réappropriation de la culture Bien avant que l’expression Mème soit largement utilisée pour décrire ce phénomène de la circulation de la culture sur internet, on utilisait le terme encore plus large et plus nébuleux de phénomène Internet. L’expression phénomène provenant du Grec ancien (φαινόμενον), décrit « Ce qui apparaît, ce qui se manifeste aux sens ou à la conscience, tant dans l'ordre physique que dans l'ordre psychique, et qui peut devenir l'objet d'un savoir »25. Cette expression, contrairement à celle du Mème a le mérite de figurer dans les dictionnaires français déjà existants et est d’ailleurs souvent employée à l’heure actuelle pour parler des Mèmes internet. Mais alors, quand est-ce que l’expression Mème a-t-elle commencé à être employée pour décrire ce type particulier d’appropriation de diffusion de la culture sur les réseaux ? Il a fallut attendre le milieu des années 1990 pour que l’usage d’internet se répande et se démocratise. Cet essor a permis à un nombre sans cesse croissant d’utilisateurs de pouvoir consulter du contenu via internet, puis de se l’approprier et de le transmettre. En 1996, des journalistes s’intéressant aux phénomènes internet tout justes naissants remarquent qu’un nombre sans cesse croissant d’internautes s’échangent une animation GIF 26 représentant un bébé dansant de manière saccadée des pas de danse Cha Cha. Cette animation est le fruit du travail d’un animateur, Michael Girard, employé d’une firme développant une suite de logiciels d’animation. L’animateur avait programmé cette séquence, afin de présenter aux prospects de l’entreprise un échantillon d’animations que permettait le logiciel d’animation appelé Kinetix Character Studio. La séquence animée en boucle est vite sortie du cadre strictement professionnel et s’est retrouvée publiée sur de nombreux sites et a surtout été massivement transmise entre internautes par email. Deux ans plus tard, la séquence, devenue une référence est citée dans des films et des séries télévisées. Si cette représentation n’a pas été la première massivement diffusées que les internautes se sont réappropriés, c’est la première à avoir été considérée comme un Mème internet. 25 Trésor de la Langue Française informatisé (TLFi) 26 Graphics Interchange Format (littéralement « format d'échange d'images ») est un format d'image numérique permettant de gérer les effets de transparence et couramment utilisé sur la Toile. L’affichage d’une succession d'images au format GIF permet de créer un effet d'animation. 30
  • 31. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Ceci suite à la suite d’une interview de Janelle Brown, alors journaliste au magazine Wired accordée à la chaîne d’information en continue CNN qui s’intéresse alors au phénomène. Lors de l’interview, la journaliste fait clairement le rapprochement entre ce type de phénomène et les Mèmes énoncés par Richard Dawkins : « Janelle Brown, culture writer for Wired News, calls the dancing baby a "meme," which Wired defines as "a contagious idea" -- like the kids of the "South Park" comedy series, and "Max Headroom" before them. "These kinds of funny animations and jokes and little projects have always proliferated on the Web, and they've always been very much a 'Web thing,'" Brown said. »27 Dès 1996 des chercheurs et des intellectuels s’intéressant à la communication et à la culture abordent la question des Mèmes sur internet sans pour autant questionner directement l’usage de cette expression qui semblait alors tout a fait à propos pour caractériser ce genre de phénomène. Même si beaucoup critiquent la vision de la Mémétique telle que Dawkins la théorise, ils mentionnent dans leurs travaux le Mème sur internet au sens strict, c'est-à-dire tel qu’il est observé et défini sur internet et non comme un sujet d’appropriation triviale28. Le tout sans avoir remis en cause au préalable le choix et l’usage d’une telle expression. Il est intéressant de noter que même si Wired Magazine s’y intéresse dès 199729, aucun rapprochement n’est fait entre la Mémétique comme théorie générale et la description des Mèmes sur internet. Ceci même si Wired est une publication centrée sur les nouvelles technologies, l’informatique et les usages qui accompagnent ses derniers développements. Or, l’évolution que laisse paraitre cet article dans la perception du Mème est cruciale. Le Mème est passé d’un concept, d’une manière parmi d’autre de théoriser et expliquer l’évolution des sociétés à une expression utilisée dans un autre contexte. Il revêt à présent un tout autre sens et porte un imaginaire différent. La trivialité affectant toute représentation sociale est à l’œuvre dans cet article de Wired et s’opère sous les yeux du lecteur. Le glissement de l’expression est en marche. Un concept d’inspiration naturaliste, se voulant rationaliste et scientifique est devenu au fil des années un objet, une expression altérée par la trivialité. Un mot parvenant à encapsuler un imaginaire riche et différent chez d’autres personnes. Un mot qui a été compris et utilisé d’une manière encore différente sur internet. Dans le prolongement de ce cycle, les internautes ont regroupé sous ce mot une foule de représentations circulant déjà sur internet. 27 Lefevre, Greg (January 19, 1998 ). Dancing Baby cha-chas from the Internet to the networks, CNN Tech, (http://edition.cnn.com/TECH/9801/19/dancing.baby/index.html) 28 Heylighen, Francis (1996). Evolution of memes on the network: from chain letters to global brain, Ars Electronica Catalogue, éditions Ingrid Fischer, Vienna/New York. 29 Gabora, Liane (Juin 1997). Memes: the creative spark, Wired, p 110-112. 31
  • 32. Nicolas Moreau / Master 2 MISC / Université Paris IV Sorbonne - CELSA Si elle n’avait pas été altérée, la notion Mème internet devrait être perçue d’une manière identique à celle portée par Dawkins. L’unique différence devrait porter sur la médiatisation et la diffusion permettant une réappropriation via internet. Toutefois, la définition du Mème telle qu’elle est comprise sur internet est considérablement plus restreinte. Les internautes ont repris la définition de Liane Gabora de manière plus stricte et regroupent sous la catégorie de « Mème » des représentations circulant sur internet que les internautes s’étaient réapproprié et avaient diffusé. La définition du Mème internet telle qu’ils l’ont comprise et utilisé est très éloignée de celle formulée par Dawkins qu’on a pu examiner dans la première partie de ce mémoire. Le principe de trivialité cher à Yves Jeanneret a tellement affecté l’être culturel « Mème » que son pendant sur internet recouvre des imaginaires totalement différents chez les publics non familiers avec les principes de Mémétique et de l’épidémiologie des représentations. La définition de Gabora, sa vision du Mème a fait date et est restée ancrée dans l’imaginaire collectif sur internet. Sa médiation, sa vision de ce type de phénomènes a considérablement modifié la vision du Mème internet tel que Dawkins avait pu l’énoncer : un réplicateur génétique pouvant contribuer à expliquer de quelle manière les espèces évoluent. Tout un monde existe entre les écrits de Dawkins en 1976 et les articles écrits par Gabora vingt ans plus tard. Une théorie conçue pour être appliquée en recherche biologique a glissé progressivement dans le champ de la communication et a encore été ajustée et réinterprétée pour traiter les phénomènes de circulation de la culture sur internet. L’expression Mème, entre sa création première et son usage pour décrire des mécanismes à l’œuvre sur internet a connu des évolutions majeures. Comment alors expliquer cette versatilité d’emploi, qui peut jouer en faveur de cette expression et multiplier ses usages possibles ?  Le Mème internet : une dynamique de braconnage culturel Comme on l’a vu précédemment, l’association d’un concept né de la recherche scientifique et des imaginaires relayés en ligne a été un processus long et complexe. Celui-ci est passé par plusieurs étapes (décrites dans les parties précédentes) avant d’être associé par un jeu différentes médiations à des phénomènes de transmission de la culture existant en ligne. Ces représentations peuvent prendre différentes formes, et exister sur différents supports (textes, images, images animées, vidéos). Ces représentations, reprises, modifiées, détournées et altérées un grand nombre de fois sont très similaires au comportement de braconnage culturel énoncé en détails par Michel de Certeau. Ce comportement s’est incarné de manière encore plus visible au cours du XXème siècle, avec l’établissement et la consolidation d’une classe moyenne instruite exposée à des médias de masse, comme la presse, la télévision et la radio. Cette activité est le fruit d’individus intéressés par certains contenus, instruits, et disposant de ressources techniques pour les exprimer dans un but de 32